Avec The Verdict, Sidney Lumet prolonge sa réflexion engagée depuis ses débuts sur la mise à mort de l’homme respectable et respecté. Tous ses protagonistes cultivent l’ambiguïté morale dans la mesure où ils appartiennent à un milieu professionnel et social spécifique tout en y apparaissant comme des marginaux : le sergent Johnson de The Offence (1972), le psychiatre Martin Dysart de Equus (1977), le frère
incapable de comprendre sa sœur et entretenant avec la disparition de ses parents, accusés d’espionnage, une relation confuse
dans Daniel (1983), etc. Ici, maître Frank Galvin apparaît d’entrée de jeu comme un escroc contraint d’écumer les cérémonies mortuaires dans l’espoir d’y convaincre des futurs clients.
Le récit de réapprentissage dans lequel il s’engage malgré lui suit deux trajectoires : celle, existentielle, qui redonne du sens à une vie sinon limitée au traintrain quotidien (payer des tournées au bar, jouer au flipper) et celle, spirituelle, qui le conduit à la rédemption. Toutes les deux rassemblées dans une relecture eschatologique de la justice américaine, comme l’atteste l’insistance réitérée de l’avocat de la défense sur les conséquences d’avoir prêté serment sur la Bible. Les motivations profondes de l’avocat repenti demeurent obscures, y compris pour lui qui ne sait quoi répondre à ses amis, à ses détracteurs et à ses clients quand ces derniers apprennent l’arrangement financier décliné. Galvin s’engage, en somme, dans une croisade judiciaire dont la finalité n’est autre que la justice elle-même ; en cela, il est dénigré par ses collègues parce qu’il refuse de faire partie d’un système corrompu – dont l’avatar est le juge, occupé à abréger les audiences pour aller béqueter et boire du Coca – reposant sur les accommodements tacites et les rapports de pouvoir.
Sidney Lumet prouve une fois encore qu’il est un cinéaste de la révolte tranquille, entendue comme marche du protagoniste principal vers sa vérité qui coïncide, dans le cas de The Verdict, avec la vérité établie au tribunal. Le personnage interprété par Charlotte Rampling peut d’ailleurs être perçu comme une allégorie de la justice : tour à tour froide et insaisissable, revendiquant sa liberté profonde,
elle est un écran sur lequel les hommes projettent leurs fantasmes ainsi que leur conception de la vérité. Trahison, rivalité amoureuse, disparition
sont autant de biais par lesquels raccorder Frank Galvin à une pugnacité qui jusqu’alors lui faisait défaut, en témoignent les répliques suivantes : « Tu voulais trouver de la sympathie mais tu t’es trompé d’endroit… Personne ne veut investir dans un avocat raté ». Un grand film campé par de très bons comédiens, mention spéciale à Paul Newman.