A l'instar de Henry Fonda dans 12 hommes en colère, Paul Newman propose dans Le Verdict une performance extraordinaire. Il incarne un avocat détruit, qui cumule un certain nombre de tares (alcoolisme, paresse, amoralité, négligence de soi,...) et ne semble pas désireux de sortir du trou dans lequel il est tombé. Puis, sonne le réveil. L'affaire qu'on lui confie le rappelle à l'ordre. Lorsqu'il aperçoit sa cliente pour la première fois, une femme à qui une négligence médicale a coûté la vie (elle est dans le coma), alors l'injustice lui redonne la force de refaire surface. Commence alors un combat pénible entre un David (Frank) et un Goliath (une horde d'avocats réputés et sans âme), qui paraît vraisemblablement perdu d'avance. Paul Newman nous fait vivre ces variations d'espoir et de désespoir de façon prodigieuse. On est euphorique lorsqu'il gagne un témoin capital, et complètement anéanti lorsque la défense le lui reprend... On n'oublie jamais non plus que Frank est en plein sevrage et quitte plusieurs année d'un alcoolisme autodestructeur. Alors, lorsque tout paraît perdu, on le voit trembler, transpirer, à bout de forces... prêt à tout instant à replonger dans son enfer personnel. Mais les prises de conscience s'enchaînent, notamment en milieu de film, lorsque les enjeux sont complètement réévalués. On pensait, comme Frank, que cette affaire ne serait qu'une histoire personnelle, de reconquête d'un honneur perdu, mais un twist nous ramène brutalement à la réalité. En effet, jusqu'à sa confrontation avec ses clients, c'est bien de son point de vue que nous observions les événements. Les offres transactionnelles entre les deux parties semblent le concerner personnellement, non ses clients, alors même qu'il les représente et parle en leur nom. On pense alors que ceux-ci ne sont intéressés que par l'argent, égoïstes comme le reste de la Terre (car ils sont présentés comme tel), et l'on ne saisit que tardivement qu'ils vivent en fait un calvaire depuis plusieurs années et désirent simplement en sortir... Alors, Frank se décompose complètement. Les événements prennent une tournure terrifiante et Paul Newman nous la fait endurer avec une justesse épatante. En particulier, une phrase lui/nous assène un fort coup à la tempe et le/nous sonne complètement : "Les gens comme nous vivent avec les erreurs commises par les gens comme vous pour le restant de nos jours". Frank est alors identifié aux "gens comme vous", les faux puissants, ceux qui se servent des autres pour parvenir à leurs fins propres et sont à l'origine des pires injustices qu'il entendait pourtant combattre... On est alors comme dans le cauchemar de Scottie dans Vertigo, sauf que Frank le vit éveillé. Tout le film est puissant comme cela, d'autant qu'il est extrêmement réaliste, juridiquement correct et porteur d'un message fort sur la justice et le "sentiment de justice". Un film à citer sans souci dans une dissertation de droit, peu importe lequel, car il donne à apprécier la matière de façon plus concrète, moins distante, et transmet alors une moralité là où seule la rigueur est permise.