C'est sûrement l'un des films les plus originaux de Woody Allen. Pas forcément le plus en verve sur le plan comique (encore que la fantaisie soit réjouissante et parfois délirante), mais l'un des plus inventifs sur le plan visuel et riches sur le plan thématique. Formellement, d'abord, Zelig apparaît comme un brillant "faux documentaire", très pro, très parodique. Énorme travail de fabrication. Pendant trois ans, entre deux tournages, le réalisateur a rassemblé et "truqué" des images d'archives, monté de faux extraits de journaux, pris mille et une photos, recueilli des commentaires d'éminents intellectuels (Susan Sontag, Bruno Bettelheim, Saul Bellow notamment), tourné un faux film... Autant de pièces assemblées ensuite pour brosser le portrait d'un hurluberlu polymorphe, dont le paradoxe est de se fondre tellement dans la masse qu'il en devient singulier, d'être à la fois tout le monde et personne, transparent et mis en lumière. Un personnage et une histoire symboliques, qui ouvrent tout un champ de réflexions et d'interprétations. On peut y voir une drôle d'allégorie sur la tentation du conformisme (Leonard Zelig trouve sécurisant de ressembler aux autres, il a besoin d'être aimé), les dangers d'une trop grande passivité (embrigadement dans les troupes hitlériennes), la défense d'une liberté d'expression et de création. Ce personnage est aussi une métaphore de l'acteur en général, qui endosse différents rôles, ou peut-être du cinéma protéiforme, multigenre, de Woody Allen. En outre, le film se donne à voir comme une méditation amusée et ironique sur la mécanique des foules, la naissance et l'évolution des phénomènes médiatiques, ou bien encore sur l'intégration sociale des Juifs aux États-Unis. D'ailleurs, on pourra s'interroger sur le choix du nom Zelig ("l'élu" en yiddish). Bref, en 1 heure 15, le réalisateur donne, avec humour, malice et intelligence, toute la mesure de son inspiration.