"Out of Africa" est un immense poème. Un poème à l’amour, un poème à l’Afrique, un poème à la nature, bref, une ode à la vie. Car même si la romance entre la Baronne Karen Blixen et l’aventurier Denys est très belle, elle ne sert que de toile de fonds à l’hommage qui est rendu à l’Afrique, ici le Kenya, comme l'Afrique ne sert que de toile de fonds à cette histoire d'amour. Tout ce qui a bercé la vie de la Baronne à partir du moment où elle quitte son Danemark natal est conté comme un récit authentique. L’authenticité, voilà le véritable fil rouge de ce pur chef-d’œuvre. En plus du récit, on peut voir cette authenticité dans l’expression pudique des sentiments, dans cette romance née des vraies valeurs de la vie qui a su éveiller chez nos deux personnages principaux un romantisme que ni l’un ni l’autre n’aurait osé soupçonner en lui, mais aussi dans les paysages de cette contrée qu’il nous a été permis, nous spectateurs, de découvrir puisque le film a été tourné en milieu naturel. Filmé parfois comme un documentaire où tout commentaire est rendu inutile par la beauté des paysages (à l’image de cette virée en avion biplan), nous suivons cette romance basée sur rien de concret avec grand plaisir, car on sent que rien ni personne ne peut venir la gâcher. Pour autant, nous avons droit à des dialogues qui donnent parfois à réfléchir, leur teneur étant d'une profondeur démesurée. D’un côté nous avons une femme à la fois sage et pas sage, tantôt posée tantôt irréfléchie, ouverte et réservée en même temps, aussi généreuse qu’égoïste (je veux dire égoïste de par sa relative possessivité), à la fois raisonnée et passionnée, pudique et coquine. De l’autre, nous avons un homme qui est plus ou moins un loup solitaire, profitant de la vie à son avantage dès que quelque chose se présente, tout en ne prenant aucune responsabilité si ce n’est ses faits et gestes. Mais avant tout, le jeu de séduction à laquelle ils cèdent tous les deux malgré eux est admirable dans le langage du corps, que ce soit dans le regard ou les mimiques. On peut le constater lorsque la Baronne conte avec conviction une histoire inventée de toute pièce, ou encore lors du shampoing dispensé en plein cœur de la nature. A une époque où la femme n’avait pas la place dans les clubs fermés masculins, la Baronne a su forcer le respect, forcée par l’abandon lâche de son mari alors que lui-même avait pris à contre-pied toutes les décisions prises quant au fonctionnement de leur ferme sur cette terre kényane colonisée. La beauté des paysages suffit à elle-même à condamner le colonialisme, lequel n’est pas forcément montré sous son mauvais jour, même si on a droit à un discours honteux qualifiant la population locale de (je cite) métèques, ou encore lors du plan sur la femme somali restée en arrière alors qu’on enterre son amant blanc et britannique. Sydney Pollack a su signer une œuvre basée sur le récit autobiographique de Karen Blixen, remportant du même coup en 1986 deux Oscars en ayant été élu comme le meilleur réalisateur, et celui qui a signé le meilleur film. John Barry, le compositeur de la bande originale, sublime tant elle a su porter des moments d’émotion intense, en total contraste avec ses périodes de mutisme afin de laisser habilement les périodes de silence s’exprimer, a été elle aussi récompensée. Ne soyez pas surpris, les décors ont été eux aussi récompensés, ainsi que la photographie et le meilleur scénario adapté. Vient compléter ce prestigieux tableau de chasse le meilleur son. Ne vous y trompez pas, voir ce film équivaut à lire une longue et sublime poésie qui a su traverser bien des années, et qui en traversera encore beaucoup tout simplement parce qu’elle s’appuie sur l’essentiel.