Très bon premier film de Terrence Malick, qui aborde avec un brio sans failles l'aventure de deux êtres aimants, Kit (Martin Sheen, révélé par ce rôle), et Holly (Sissy Spacek, quasi pareil). Bon c'est une histoire, malgré tout, courante, dont on trouve les prémisses dans le mythe Bonnie and Clyde, repris entre autres par Spielberg (la même année que ce Malick, d'ailleurs), puis par Stone dans Tueurs nés (sous l'impulsion du scénariste Tarantino) - je crois qu'on a un peu tort d'identifier ces films avec Kalifornia, c'est un peu différent, mais bref. Voilà le topo archi-connu donc : un couple, amoureux jusqu'à la folie, quitte tout et s'adonne à un massacre criminel. Bon cela dit, il y a le mythe, et puis y a le film en question, La balade sauvage donc (soit dit en passant, extrêmement mauvais titre, et à la limite, on aurait pu garder l'équivoque de "ballade", étant donné l'importance de la musique par rapport au texte narratif, mais là, je m'emballe, avec deux l). Bref, Malick nous livre là une partition à mon avis quasi-parfaite, parce qu'il traite cette folie monstrueusement criminelle non pas à la manière d'un Tarantino-Stone, c'est-à-dire dans l'hémoglobine, le coulant et l'excès de tout ce qu'on peut imaginer, violence, brutalité aussi bien visuelle que morale que sonore que... Bref donc Malick choisit non pas la voie de la transgression dégoulinante, mais celle de la beauté, de l'esthétisme, de l'art pur. Et là, c'est très très fort, tout de même, pour un premier film, d'arriver à un tel travail sur la forme, sur l'image et la lumière (genre le mec vire deux responsables photo pour arriver à ce qu'il veut avec le troisième). Et cette volonté de beau, ou ce refus du subversif, se manifeste jusque dans la relation des deux amants : pas de sexe, pas de vulgarité, pas de mocheté, rien qu'une sorte d'amour thétique, exclusivement positionnel, qui donne à la proximité (mais avec nécessité d'une distance) la primauté sur le contact. On pourrait évidemment parler d'amour platonique, si l'on confondait tout et que l'on ne comprenait rien à ce qu'est vraiment l'amour platonique (chez Platon, je veux dire).
La narration posée a posteriori par Holly sur toute cette aventure, mêlée à la musique choisie avec une intelligence rare (on parle souvent d'un parallèle Kubrick/Malick, je crois que là en tous les cas c'est assez juste : une musique classique, ici du Orff ou du Satie, très légère, et ce encore davantage que chez Stanley, se pose sur l'image, et prend petit à petit de l'importance, jusqu'à porter cette image, jusqu'à la vaincre, la guider avec une spiritualité qu'on ne trouve que très rarement), fait de cette Balade sauvage (non seulement une ballade, donc, mais aussi et surtout) une oeuvre d'art à part entière : le texte, les mots, le langage, vocalisés, entrent en harmonie avec les notes pluvieuses d'Orff, et tout ça, évidemment, baigné dans les images absolument fabuleuses que Malick arrive à peindre (le thème de la peinture dans le film, qui accrédite encore davantage l'hypothèse d'un art total, est présent avec la figure du père de Holly). Je dois avouer que le rendu est vraiment réussi, enfin bref, c'est beau quoi : on croit voir des poèmes animés, une sorte de poésie cinématographique, et pour ça tout est réfléchi : le rythme, les césures, les événements, les rimes et les silences.
Bon sinon tout un tas d'autres thèmes, comme bien sûr celui de la folie : doit-on dire que Kit est fou, qu'il a complètement perdu la raison, qu'il ne sait tout simplement pas distinguer le bien du mal (grâce au ciel (magnifique, dans La balade sauvage), on échappe à une réflexion stupide sur le Bien et le Mal, pourtant bien présente, voire omniprésente dans Tueurs nés), ou doit-on supposer plutôt que Kit, anéanti par la vie sociétale, ne veut plus que vivre, qu'expérimenter, qu'intensifier ? Bref, à l'horizon de cette poésie magistrale, un vieux fond de folie, qu'on ose jamais résoudre. Saloperie d'alternative, excellemment traitée ici parce que simplement esquissée : folie/intensité/perte de soi VS raison/ennui/identité. Enfin de tout façon, il ne faut pas parler de fuite des deux amants, il ne faut pas parler de folle échappée : il n'est pas question de cela, mais d'une exploration, d'une tentative/tentation, d'une recherche sur les possibilités vitales et relationnelles. Bref ce n'est pas encore une question morale, c'est une question d'intensité, complètement amorale, par-delà bien et mal (le film insiste énormément dessus en optant pour un pur esthétisme contre un pur moralisme : ce qui importe Malick, c'est l'apparence, ce n'est pas la norme morale). C'est d'ailleurs pour ça que le titre est fâcheux, voire mauvais : il n'y a pas un retour fou à une animalité inconsciente de la part des deux amants, mais une recherche entièrement consciente d'intensités vitales... C'est du très lourd, je mets 17/20.
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