"Rabia", ça signifie la rage. Il s'agit de celle de Jose Maria, ouvrier du bâtiment équatorien traité comme un moins que rien sur les chantiers d'une grande ville (Bilbao ?), moqué par les voisins de l'immeuble d'un marchand de sommeil où il partage une chambre avec huit de ses collègues et dont on se dit comme Rosa que finalement on ne sait pas grand chose de lui, de même que lui se rend compte à la fin du film qu'il ne connait pas le nom de famille de Rosa.
La rage, c'est le déclencheur du drame : c'est à cause de sa violence que Jose Maria est renvoyé de son travail, et c'est à cause de ce renvoi qu'il précipite son contremaître dans une chute mortelle. A chaque fois qu'elle survient, Jose Maria est filmé en plans serrés, y compris en traveling quand il se déplace, effaçant de la vision du spectateur tout ce qui l'entoure, comme la colère aveugle celui qui en est victime.
A cet enfermement d'une homme qui travaille pourtant en plein air s'oppose l'espace qui environne Rosa, celui de cette grande demeure Art Nouveau qui constitue à elle seule un personnage, un peu comme les maisons de "Psychose" ou d"Amityville". Rosa est souvent filmé depuis une autre pièce, en plongée d'un escalier ou d'une fenêtre, pour préparer le spectateur à se glisser dans la position de voyeur qui sera celle de Jose Maria dans toute la seconde moitié du film. On pense forcément à "Fenêtre sur Cour" pour l'impuissance de celui qui observe, dans une version encore un peu plus perverse, puisque l'invalidité du voyeur est ici due à son statut de fugitif qui l'oblige à voir l'insupportable sans réagir.
Ce n'est pas étonnant de retrouver au générique le nom de Guillermo Del Toro comme producteur, tant les éléments de parenté avec "Le Labyrinthe de Pan " sont nombreux : le choix de l'Espagne comme décor pour un réalisateur Sud-Américain, la présence comme personnage principal d'une femme victime de sa relation avec un homme constituant une menace, et surtout un style propre au fantastique ibérique, en filmant de vieilles maisons de façon inquiétante comme dans "[Rec] " ou "L'orphelinat". Pas de monstres à cornes où de vielles succubes ; le fantastique se niche dans la manière de capter les détails du capharnaüm des greniers de la demeure, dans la façon de faire surgir Jose Maria du nuage de dératisant, ou dans la lente transformation kafkaienne du même Jose Maria.
Curieusement, un autre film sud-américain a traité récemment de la relation de la bonne avec la famille qui l'emploie : "La Nana ", du Chilien Sebastian Silva. Même s'il n'est pas le thème essentiel de "Rabia", ce rapport est assez finement abordé, avec une opposition entre la morgue paternaliste du père et l'humanité lucide de la mère, jouée par Concha Velasco. L'actrice colombienne Martina Garcia interprète Rosa avec la même fragilité grave que sa compatriote Catalina Sandino Moreno dans "Maria, pleine de grâce".
Aussi bien du point de vue formel, par la qualité de sa photographie, l'adaptation des choix de cadre à l'écrin de la demeure et la justesse de l'interprétation, que du point de vue de ses différents sujets (la place des immigrés, la distance et la proximité dans les rapports amoureux), "Rabia" parvient tout à la fois à tenir la tension d'un thriller, à raconter un drame romantique et à se faire le reflet de la rage autodestructrice.
Critiques Clunysiennes
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