Avec "L'amour en fuite", François Truffaut bouclait la boucle des aventures sentimentales d'Antoine Doinel, son personnage emblématique et son miroir. Bavard et un brin cérébral, construit sur le mode des flashbacks à répétition imbriquant au présent des extraits des "400 coups", de "Baisers volés" et de "Domicile conjugal", le film charrie une bonne dose de nostalgie. L'occasion pour le spectateur de revoir des scènes cultes des précédents opus, comme la mémorable gifle aller/retour destinée à faire passer l'envie à l'écolier Doinel d'inventer des bobards aussi énormes que celui de la mort de sa mère. 20 ans plus tard, on retrouve notre héros toujours mytho et immature, angoissé, nerveux, le sourcil froncé et l'air pénétré, occupé à décortiquer sa vie sentimentale comme on dissèque une grenouille. Dissertation sur les rapports de couple, la fidélité et les errances des coeurs intermittents, incapables de se fixer, l'histoire s'écrit au rythme des chapitres des "Salades de l'amour", mi-fiction, mi-vécu, ballotée entre conquêtes passées -mais pas tout à fait- et présentes -mais pour combien de temps ? Dans ce carrousel sentimental où défilent les visages de Colette, Christine, Liliane et Sabine (Marie-France Pisier, Claude Jade, Dani et Dorothée), Jean-Pierre Léaud cabotine avec bonheur, parfait en écorché vif égoïste et impulsif, comme enfermé dans son monde et pourtant à l'aise partout. La direction d'acteurs très libre de la Nouvelle Vague, particulièrement axée sur l'improvisation, convenait idéalement à son jeu personnel, spontané, incroyablement transparent dans le registre des émotions. Avec cette façon bien à lui de déclamer, sur un ton sérieux, certain de la valeur de ce qu'il énonce, Antoine Doinel était drôle à son insu (un peu comme le sera plus tard Christophe Bourseiller dans "Un éléphant ça trompe énormément"). Le rôle a si bien collé à la peau de l'interprète que la suite de sa carrière en a souffert. Identification trop forte, c'est le syndrome Michèle Mercier. Sur un rythme alerte, servi par d'excellents dialogues, "L'Amour en fuite" s'achève doucement, comme il a commencé, sur la chanson éponyme et la voix de Souchon. "Caresses photographiées sur ma peau sensible...".