Le titre "français" est "I Feel Good !", pour une fois plus judicieux que l'original qui ne fait que reprendre le nom de la chorale. En effet, I Feel Good se révèle bien être le double enjeu de ce documentaire de facture très classique (une unité de temps : les huit semaines de répétition, de lieu : Northampton, Ma, et d'action : la préparation d'un concert, avec la voix off du réalisateur qui raconte son cheminement, un peu comme le fait Michael Moore) : d'une part, il se trouve que parmi les répétitions des nouvelles chansons, celles de James Brown s'avèrent catastrophiques, puisque les deux solistes se plantent à tous les coups, Dora sur le rythme et Stan sur ses deux malheureuses phrases de texte.
D'autre part, il apparaît très vite que la vie de cette chorale ne ressemble à aucune autre, et que sa particularité réside dans l'importance que ses membres se "feel good" ; doux euphémisme, puisque durant les huit semaines du tournage, deux des choristes passeront de vie à trépas, notamment celui qui était au centre de l'affiche du concert qui proclamait "Alive and well". Comme dans tout documentaire sur un groupe ("Etre et Avoir", "La Vie est immense et pleine de dangers", "Jesus Camp"), Stephen Walker a casté, fait des choix parmi ces 24 choristes, pour nous les montrer dans leur intimité, en résidence (comme Eileen dont on nous dit qu'elle est la seule pensionnaire à avoir la clé parce qu'elle rentre souvent après que le personnel soit parti se coucher) ou chez eux.
C'est d'ailleurs une chose qui frappe parmi ces octogénaires, leur incroyable autonomie, à l'image de Lenny qui a un emploi du temps d'ado surdoué entre Young@heart, la chorale de l'église, The Harmonicas et son club de vélo, Steve qui conduit son bolide à fond ou Stan qui fait le taxi après les répétitions dans sa minuscule auto japonaise pour ses copains Joe et Eileen.
Autre qualité frappante partagée par les choristes, leur humour et leur vivacité d'esprit : Fred raconte ses tournées dans le monde entier : "de continent en continent, j'ai fini par devenir incontinent" ; Stan, un livre de sonnets de Shakespeare à la main, qui justifie sa participation à la chorale : "J'essaie d'élargir mon horizon" ; Eileen qui après avoir fait du gringue à l'équipe de tournage, constate : "J'ai eu une belle vie".
Il s'agit donc et d'abord du récit de la préparation d'un spectacle, avec ses moments de doute, de découragement, mais aussi ses instants de grâce et ses miracles. Ces répétitions permettent de comprendre le rôle du maître de choeur et fondateur de la chorale, Bob Cilman. Il montre un mélange de fermeté et de bienveillance : fermeté, quand il exerce un chantage à peine voyant ("Si vous n'êtes pas capables d'apprendre les paroles de "Yes we can can" - 71 fois "can"-, ce n'est pas grave, on la raye du programme"), ou quand il engueule devant tout le monde Stan qui s'emmêle dans ses deux pauvres phrases : on en vient à se dire que son comportement de chefaillon est intolérable, jusqu'à ce que Stan lui-même avoue malicieusement que si Bob est parfois dur, lui peut l'être bien plus.
Comme le dit Fred, "c'est un maître exigeant, mais c'est pourquoi Young@heart est ce qu'il est". Sa bienveillance se ressent à tout moment, dans sa façon d'encourager l'un, de confier une responsablilité à l'autre, de rappeler un autre que la maladie a écarté de la chorale. Et, puis, il est le responsable du choix provocateur des chansons. Provocateur par le style (faire chanter "Should I stay or should Igo" à Eileen, amatrice de musique classique), mais plus encore par le choix des textes qui prennent une autre dimension dans ces bouches-là : "Forever Young", "I Wanna Be Sedated" ou "Staying Alive", d'autant plus qu'il constate : "Avec eux, on entend bien les paroles".
Pour accepter que Stephen Walker vienne filmer sa chorale, Bob Cilman avait mis une condition : qu'il tourne les clips de plusieurs chansons : "I Wanna Be Sedated" des Ramones, "Road to Nowhere" des Talking Heads, "Staying Alive" des Bee Gees et "Golden Years", de David Bowie. Ils viennent ponctuer le suivi des répétitions, les visites chez les choristes et le récit des maladies de Bob Salvini et Joe Benoit. Points d'orgue de cette narration, les deux concerts : celui dans la prison du comté où ils viennent d'apprendre la disparition de Bob et chante en son honneur "Forever Young", et le concert final où l'on sait enfin si Dora et Stan s'en sortent avec I Feel Good.
Il y a du "Buena Vista Social Club" dans cette oeuvre dont on peut dire, malgré la gravité des sujets collatéraux, la même chose que ce que dit une participante de sa chorale : "elle est pleine de vie, comme nous".
http://www.critiquesclunysiennes.com