Le principe de base du film d'horreur efficace consiste à faire naître la menace là où on ne l'attend pas. Dans ce cadre, quoi de mieux qu'un enfant maléfique, oxymore à la base de nombreux classiques du genre, du "Village des Damnés" à "L'Exorciste", en passant par "La Mauvaise Graine" ou "Birth", jusqu'au très récent "Joshua", de George Ratliff. Ce dernier raconte l'histoire d'un couple qui vient d'avoir une petite fille, dont le grand frère se révèle progressivement extrêmement mature et manipulateur, et qui parvient à faire passer sa mère pour folle et son père pour maltraitant.
La ressemblance entre "Esther" et "Joshua" est troublante, renforcée par la présence de Vera Farmiga pour jouer la mère dans les deux films, et l'on retrouve au scénario de nombreux éléments communs. Le début du film ne donne d'ailleurs pas vraiment une impression de grande originalité, avec un cauchemar d'accouchement gore qui rappelle "Le Monstre est vivant", et le truc de filmer chaque moment de la vie quotidienne en attendant l'arrivée d'Esther comme si un psychopathe était caché dans le placard devient vite pesant.
Et puis apparaît Esther. Alors que les autres pensionnaires de l'orphelinat courent partout pendant la journée portes ouvertes, elle s'est isolée dans une classe pour peindre des scènes de paradis perdu en chantant un cantique. Attiré par le chant de la sirène, John la découvre et engage avec elle une conversation où la gamine fait montre d'une étonnante maturité, et d'une forme de séduction. Kate ne semble pas partager le même enthousiasme que son mari, comme si elle avait un présentiment, mais elle se laisse convaincre quand la fillette lui affirme d'un air grave qu'elle est différente.
Différente, elle l'est clairement : capable de communiquer en langue des signes après quelques jours, de jouer du Tchaïkovski après quelques leçons de piano, et surtout de renvoyer ses nouveaux parents, et particulièrement sa mère, à leurs fragilités les plus profondes. C'est peu dire que le film repose sur la composition de la jeune actrice, Isabelle Fuhrman, qui réussit parfaitement à rendre crédible ce personnage, et encore plus retrospectivement à la lumière de la révélation finale.
Il n'existe pas vraiment de suspense, car on devine assez vite le projet destructeur d'Esther, et on comprend aussi très tôt qu'elle n'en est pas à son coup d'essai. Mais la force du film réside dans l'intelligence qu'elle met à retourner les qualités de ceux qu'elle qualifie elle-même de bons parents pour en faire des brèches par lesquelles elle va s'engouffrer. Ainsi, la relation qu'elle établit avec sa petite soeur qu'elle instrumentalise pour lire les dialogues que ses parents veulent lui cacher est terrifiante, car elle repose sur un mélange d'attraction et de peur qui est le ressort de tous les pervers pour obtenir le silence de leurs victimes.
J'ai pu mesurer l'efficacité d'"Esther"en voyant comment le film parvenait en moins de dix minutes à réduire au silence les pétasses (au sens Bégaudeau) particulièrement nombreuses un samedi après-midi à l'UGC Citéciné de la Défense, et qui ne se sont réveillées que pour applaudir la dernière réplique de la mère à sa fille. Même si je ne partage pas ce bruyant enthousiasme pour la scène finale qui rejoint sans surprise les standards du genre, et si je trouve qu'il y a un bon quart d'heure de trop, je considère que "Esther", par son scénario malin, un indéniable sens du rythme et le jeu effrayant de son héroïne représente plus qu'une quelconque série B de l'horreur.
http://www.critiquesclunysiennes.com