Contrairement aux films de guerre sur le conflit de 39-45, ceux qui traitèrent de la guerre du Vietnam n'occultèrent pas les bavures des GIs, en en faisant même le moteur du récit, comme dans "Platoon" d'Oliver Stone ou "Outrages" de Brian De Palma. Mais dans ces deux films ainsi que dans la plupart des autres sur le conflit indochinois, les adversaires et les victimes civils n'étaient vus qu'au travers de la vision des soldats américains, un peu comme les mutants de "Je suis une Légende".
Peut-être parce qu'il est réalisé par un Britannique, le film de Nick Broomfield choisit une autre approche, celle de nous montrer chronologiquement les évènements du point de vue des trois groupes concernés : l'unité des US Marines, les poseurs de bombe et leurs commanditaires, et les habitants dont le malheur fut d'habiter à côté de là où eut lieu l'embuscade.
Le style est celui du documentaire, genre que Broomfield a pratiqué depuis 25 ans : caméra portée, mise au point approximative, grand angle pour réussir à capter les visages dans l'espace réduit d'un Humvee, et même des interviews face à la caméra en ouverure, où les GIs expliquent qu'ils ne savent pas ce qu'ils font ici.
Il n'y a aucun suspens, puisqu'un intertitre annonce d'entrée que 24 civils ont trouvé la mort lors d'une opération de représailles des soldats américains. On sait donc quel sera le dénouement de cette histoire, et mieux, on devine que les marines et les civils que nous voyons vivre en serons les protagonistes. Les moments de détente, les doutes, les conflits quotidiens des Américains prennent donc une autre dimension, comme quand l'un d'entre eux se moque de son camarade : "T'as quitté Philapdelpie, la capitale américaine du meurtre, pour aller à Haditah, la capitale mondiale ?"
De même, les difficultés du ravitaillement, l'espoir de pouvoir trouver refuge en Jordanie, l'attente d'un enfant, la préparation de la circoncision du petit dernier rythment la vie de ces Irakiens, la vie malgré tout, et font d'eux pour les spectateurs autre chose que ce qu'ils seront pour les Américains, des cibles.
Pour rendre plus crédible ces scènes, Nick Broomfield a choisi le parti pris du réalisme : "J'ai cherché à faire un film aussi réaliste que possible. D'habitude je filme sur le lieu de l'action avec de "vrais" gens, c'est pourquoi j'ai choisi d'ex-Marines pour les rôles de soldats, et des Irakiens récemment exhilés en Jordanie pour les rôles des Irakiens. La caserne est une vraie caserne où vivent des militaires, les maisons aussi sont habitées. Et l'équipe de tournage était réduite, comme pour réaliser un documentaire."
La partie la plus faible est celle consacrée aux poseurs de bombes, car trop démonstrative : il s'agit notamment d'un ancien soldat de l'armée de Saddam chassé de son travail par les occupants avec un billet de 50 $, bon père et brave gars qui ne rechigne pas à boire un petit coup de temps en temps, téléguidé par les Cheiks et les étrangers d'Al-Qaeda ; cette opposition entre résistants patriotes et terroristes manipulateurs est un peu simpliste, d'autant plus qu'elle est soulignée par quelques répliques didactives après l'attentat.
Mais ce propos trop appuyé est contrebalancé par de nombreuses scènes bien plus sobres et qui en disent encore plus, comme ces images filmées par un drone défilant sur un écran de contrôle du PC américain, permettant de guider les missiles qui viennent faucher les petites silhouettes anonymes comme dans un macabre jeu vidéo, ou le plan dans l'hélicoptère sur un marine blessé tenant la photo de sa femme et de son gosse, alors que défile en-dessous la campagne irakienne.
Par sa véracité et sa limpidité narrative, "Battle For Haditha" réussit à suciter à la fois l'émotion et la révolte, à l'instar de deux films étrangement eux-aussi réalisés par des Anglais : "Warriors" de Peter Kosminsky, sur l'impuissance des casques bleus en Bosnie, et "Vol 93", de Paul Greengrass sur le 11 septembre.
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