A la lecture du résumé, on peut avoir l'impression de trois histoires sans grands rapports entre elles. D'ailleurs, le film est découpé en trois chapitres distincts, séparés par des intertitres évocateurs : "Le maffieux obstiné et sa quête de gloire éternelle", "L'introspectif vidangeur de fosses septiques" et "L'épicier sourd et muet et ses aventures au pays de la viande froide".
Pourtant, cette construction reprend le principe de "Pulp Fiction" : raconter différents morceaux d'une même intrigue en se fichant de la chronologie, et en montrant un même événement du points de vue des différents personnages. Du coup, chaque épisode éclaire d'un jour nouveau les péripéties vues précédemment, avec comme lien le quartier de Staten Island qui a donné son titre original ; une nouvelle fois, les distributeurs français ont trouvé pertinent de traduire un titre anglais par autre titre anglais... Peur de la confusion avec le "Shutter Island" à venir de Martin Scorsese, ou volonté de capitaliser la notoriété de New York, en récupérant au passage la clientèle de "Little Odessa" ?
Le film commence d'ailleurs par un documentaire en couleurs sixties sur Staten island, dont on nous explique qu'il s'agit du seul quartier de New York à ne pas avoir le droit à des prévisions de températures sur le bulletin météo, le conseil municipal l'ayant oublié quand il a voté les crédits. Puis le commentateur se met à vanter la mixité sociale de l'île, qui accueille des hommes d'affaires, des avocats, et autres professions libérales, mais aussi des pompiers ou des policiers... avant de souligner son exceptionnelle population de maffieux, attirés par ses bois qui facilitent l'enterrement des corps.
On l'a compris, la tonalité est volontairement décalée, avec des personnages plus proches des stéréotypes des films maffieux que de la pure réalité sociologique. Parmie, incarné par un Vincent d'Onofrio d'anthologie, possède tout l'attirail du goodfella : costard blanc, pompes bicolores, lunettes à grosse monture : mais il a aussi son violon d'Ingres : le projet de battre le record d'apnée en piscine, sans doute un reminiscence du personnage de Baleine dans "Full Metal Jacket" ?
Ethan Hawke, méconnaissable, campe le vidangeur magouilleur avec un mélange de suractivité et de fragilité plutôt convaincant, même si une ou deux scènes basculent dans le too much quand il se trouve confronté aux conséquences angoissantes de ses petites affaires. Quant à l'épicier sourd et muet, il est joué brillamment par Seymour Cassel, acteur fétiche de John Cassavettes, à qui James DeMonaco inflige un traitement malicieux mais légèrement grandguignolesque.
Il y a un certain nombre de scènes savoureuses, filmées avec un sens de la composition qui souligne bien l'intention du réalisateur, comme ces plans de la mère de Parmie en fauteuil roulant s'adressant avec un mégaphone à son fils perché dans un arbre suite à une brusque prise de conscience écologique un brin intéressée, ou la boîte en fer blanc où Jasper collectionne les boutons, macabres trophées de son petit boulot imposé par Parmie.
Tout n'est pas parfait dans ce "Little New York", et certains effets font flop, comme le ralenti sur le le lancer de saucisson ou la rencontre un peu appuyée entre l'aigle et lé néo-écolo maffieux. Mais il y a un véritable sens du rythme, une construction à la fois ambitieuse et futée qui ne tombe pas dans l'exercice de style mais au contraire se met au service d'un intrigue qui fonctionne, et une distribution d'acteurs dont on sent le plaisir à participer à cette aventure qu'est toujours un premier film.
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