Né en 1938 à Leninakan, ville d'Arménie soviétique, Artavazd Pelechian fut d'abord ouvrier, puis dessinateur industriel et constructeur technique. Il intègre en 1963 l'école de cinéma de Moscou, section mise en scène, aux côtés notamment d'un élève nommé Andrei Tarkovski. Il tourne ses premiers films dans le cadre de ces études, notamment Début, dédié aux 50 ans de la Révolution d'Octobre. En France, Serge Daney et Jean-Luc Godard contribuent à faire connaître l'oeuvre expérimentale de ce cinéaste, qui compose des films-montages très personnels à partir d'images d'archives et de plans documentaires. En 1992, Pelechian fait l'objet d'une première rétrospective à Paris, à la Galerie nationale du jeu de Paume.
Interrogé par Les Cahiers du cinéma en 1991, le cinéaste livrait quelques clés sur la théorie du "montage à distance" : "L'originalité de cette théorie tient peut être dans ceci : a contrario du montage selon Koulechov ou Eisenstein -pour qui mettre deux plans en rapport leur donnent un sens- le montage à distance, en tenant éloignés deux plans qui se parlent et font sens, communique leur tension et fait qu'ils se parlent à travers toute la chaîne des plans qui les relient. Par exemple : le montage à la Koulechov, ce serait un coup de canon suivi de l'explosion ; le montage à distance, ce serait une réaction en chaîne. Mais il y a quelque chose dans le montage à distance qui va plus loin qu'une explosion atomique, c'est la rétroaction, l'effet en retour qui boucle la séquence ou le film sur lui-même. Flux et reflux. Mouvement de la naissance à la mort mais aussi de la mort à la naissance :croissance-dégradation, mort-résurrection."
L'un des trois films rassemblés dans ce programme est Nous (Grand Prix au Festival d'Oberhausen en 1970). A propos de ce court métrage, le cinéaste déclara : "C'est lors de mon travail sur le film Nous que j'ai acquis la certitude que mon intérêt était attiré ailleurs, que l'essence même et l'accent principal du montage résidait pour moi moins dans l'assemblage des scènes que dans la possibilité de les disjoindre, non dans leur juxtaposition mais dans leur séparation. Il m'apparut clairement que ce qui m'intéressait avant tout ce n'était pas de réunir deux éléments de montage, mais bien plutôt de les séparer en insérant entre eux un troisième, cinquième, voire dixième élément. En présence de deux plans importants, porteurs de sens, je m'efforce non pas de les rapprocher, ni de les confronter, mais plutôt de créer une distance entre eux. Ce n'est pas par la juxtaposition de deux plans mais bien par leur interaction par l'intermédiaire de nombreux maillons que je parviens à exprimer l'idée de façon optimale. L'expression du sens acquiert alors une portée bien plus forte et plus profonde que par collage direct. L'expressivité devient alors plus intense et la capacité informative du fi lm prend des proportions colossales. C'est ce type de montage que je nomme montage à contrepoint."