Nadav Lapid est né en 1975 à Tel-Aviv, en Israël. Il fait ses études entre Israël et la France, avant d'obtenir son diplôme de cinéma à l'école Sam Spiegel, à Jérusalem. Il réalise un court-métrage documentaire-expérimental, Mahmud travaille à l'industrie, qui fait partie de Border Project sélectionné à la Cinéfondation en 2004. Il réalise ensuite Road, puis passe au moyen-métrage avec La Petite amie d'Emile, présenté à la Cinéfondation au festival de Cannes 2006. Il travaille actuellement à l'écriture de son premier long, Le policier, l'histoire de deux groupes dont les chemins se croisent un instant à la suite d'une prise d'otage.
La Petite amie d'Emile est présenté en salles précédé de Road, court-métrage de 17 minutes réalisé en 2005. L'histoire est celle d'un patron de chantier juif, kidnappé par quatre travailleurs israéliens qui lui organisent un procès brouillon, l'accusant des injustices du sionisme et des crimes de l'occupation israélienne.
L'amitié qui unit les deux amis, Yoav l'Israélien et Emile le Français, connectés ici par la présence de Delphine, peut se lire sur le modèle d'une relation amoureuse, malgré l'absence de dimension érotique. Les mots remplacent ici les baisers, sont même plus puissants que l'amour que Delphine porte à Yoav. Nadav Lapid explique : "Yoav et Emile sont capables de discuter jusqu'à l'aube, de se parler une nuit entière sans faire attention au temps qui passe, puis de reprendre leur conversation trois mois plus tard exactement au même point où ils l'avaient interrompue, comme s'ils se retrouvaient dans une étreinte langagière mutuelle."
La bande-son, les rimes sonores donnent une respiration essentielle à La Petite amie d'Emile. Israël est un pays agité, sans cesse en mouvement, et les prises de vue étaient alourdies par ces sonorités ambiantes de tous bords. Au montage, la bande-son en était pleine. Sur l'avis de son ingénieur du son, Nadav Lapid décide alors de garder ces bruits, qui donnent une atmosphère particulière au film. "(Le film) tourne autour de Tel-Aviv, et Tel-Aviv est comme ça, bruyante. C'est pour cette raison que nous avons décidé de ne pas nettoyer la bande-son et de garder le bruit."
C'est l'aspect matériel, corporel et physique des choses qui intéresse le réalisateur, Nadav Lapid, également auteur du scipt. Mais pas le physique des corps; celui des mots et des idées : "Je pense les phrases du scénario d'une manière physique. (...) au-delà de ce qui se dit dans la phrase elle-même, je me demande de quoi aura l'air le corps du personnage qui prononcera telle phrase ou tel mort (...), quel sens le corps du personnage donnera-t-il aux mots qui sortent de sa bouche?" La représentation corporelle des idées prend tout son sens au musée de la Shoah, où les monuments incarnent physiquement le souvenir et l'Histoire, la conscience que les gens ont de la relation entre passé et présent.
Les personnages des films de Nadav Lapid n'envisagent pas la question de la mémoire collective. Ils refoulent, comme si le passé n'existait pas. A l'instar du chef de chantier juif dans son court-métrage Road, Lapid fait ici de Yoav un garçon insouciant vis-à-vis de l'Histoire, qui ne tient pas compte de ce qui n'est pas là, maintenant, présent. Il ignore "la mémoire, l'historique, le politique. Yoav efface le contexte historique national. De son point de vue, il n'existe que lui, Delphine et la mer." Ces personnages tentent - en vain - de gommer le passé pour ne vivre que dans l'actualité.
Dans une séquence du film, Delphine prend la décision d'aller visiter le musée de la Shoah Yad Vashem, un endroit particulièrement difficile pour les Israéliens, un lieu "tellement lourd et pesant qu'il finit par être enterré sous son propre poids, et tellement symbolique qu'il en est vidé de toute sa substance. Ne reste que l'enveloppe. Tellement sérieux que ça finit par ressembler à une plaisanterie. A force d'y être surreprésentée, l'Histoire est effacée." (Nadav Lapid)
La progression de l'histoire part d'un point de départ comique pour arriver au drame. Mais le scénario, écrit de manière totalement naturelle, instinctive même, n'était pas consciemment rédigé dans ce sens. Nadav Lapid raconte : "(...) il ne me serait pas venu à l'esprit d'envisager un début comique. Je ne le voyais pas comme drôle. Je savais certes qu'il y avait ici et là des moments chargés d'ironie ou incongrus, tout au plus amusants...". C'est lors des projections auxquelles il assiste que le cinéaste se rend compte du renversement de ton entre le début et la fin du film, de la comédie au drame.
Delphine est une Française, "la petite amie d'Emile", que Yoav reçoit chez lui, à Tel-Aviv, pour lui faire visiter le pays. La rencontre de ces deux personnages, originaires de deux mondes à la fois si différents et si semblables, "est en quelque sorte une plateforme pour doner les mystères de l'âme israélienne" (Nadav Lapid). Durant cette demi-journée de voyage où nous suivons Delphine, elle découvre la société israélienne qui grave ses diverses empreintes sur son visage - l'un des motifs principaux du film.
Avec ce film, l'intention de Nadav Lapid est de parler de son pays, Israël, et des Israéliens, de l'âme de la nation, de l'axe Europe/France - Israël. Cette manière de regarder Israël et ses habitants passe par la confrontation avec une Européenne - une Française - car, pour le cinéaste, l'Europe est le miroir occidental de la nation israélienne : "dans quelle mesure sommes-nous semblables ou différents des Européens? Si nous sommes différents, sommes-nous meilleurs ou pires qu'eux? Qui sommes-nous?".