L'appât s'inspire d'un fait divers survenu à Paris dans les années 80. En moins de 10 jours, deux hommes riches sont retrouvés morts à leur domicile après avoir été assassinés dans des conditions effroyables. Grâce à deux traces identifiables, trois jeunes sont interpellés et condamnés devant la Cour d'Assises de la Seine en janvier 1988. Les trois jeunes impliqués ont un profil inhabituel : Valérie S., 18 ans à l'époque des faits, est fille de cadres supérieurs et prend des cours d'esthéticienne et travaille dans un magasin de prêt-à-porter ; Laurent H., 19 ans, est le chef de bande, très frimeur et fils d'un parrain du sentier ; Jean-Rémy S., 20 ans, a été abandonné par sa mère à 6 ans, traîne de petits boulots en petits boulot et vit au crochet des "gosses de riches". Leurs réactions lors de leur procès dénotent une inconscience totale face à la gravité de leurs actes. L'un d'eux déclare même " : "c'est facile de tuer, ça va très vite, tout le monde peut le faire".
L'écrivain Morgan Sportès s'intéresse à l'affaire et publie en 1990 L'Appât, une longue enquête qui reconstitue minutieusement la spirale fatale des trois jeunes. Société productrice de Bertrand Tavernier, Little Bear achète les droits du livre et Colo Tavernier, l'épouse de Bertrand, écrit une première version du scénario qui reflète les obsessions du cinéaste : une faillite morale de la société, accentuée par une dictature de l'apparence et de l'argent, qui conduit à une perte de repères et certains jeunes fragilisés à commettre l'irréparable. En approfondissant le sujet, le cinéaste développe la thèse selon laquelle les trois assassins ont en fait pris pour cibles leurs doubles : de nouveaux riches qui ne jurent que par le fric, les bagnolles et les filles.
Bertrand Tavernier a coécrit plusieurs scénario avec son épouse Colo Tavernier : Une semaine de vacances, Un dimanche à la campagne, La Passion Béatrice, Daddy Nostalgie et L'Appât.
Alain Sarde est intervenu en tant que producteur sur plusieurs films de Bertrand Tavernier : Un dimanche à la campagne, L. 627, Capitaine Conan, Ca commence aujourd'hui et Laissez-passer. il a également fait des apparitions dans L. 627 et dans L'Appât, film sur lequel il n'est pourtant pas travaillé en tant que producteur.
Bertrand Tavernier et Alain Choquart ont collaboré sur plusieurs films : L 627, L'Appât, Capitaine Conan, Ca commence aujourd'hui, le documentaire Histoires de vies brisées : les double peine de Lyon et Laissez-passer.
C'est en juin 1993, au Festival du cinéma français de Yokohama, que Bertrand Tavernier découvre Marie Gillain. A l'occasion d'un cocktail, le cinéaste s'entretient avec la jeune fille révélée dans Mon père ce héros alors qu'elle n'a pas encore 16 ans, mais lui dit qu'elle est "trop sage, trop bourgeoise". Marie Gillain réagit ainsi : "J'étais vexée, se souvient Marie Gillain. Notre conversation a dû néanmoins faire du chemin dans sa tête. Quelques mois plus tard, il m'a rappelée pour me proposer le rôle. Jusque-là, je ne jouais que des adolescentes. J'ai senti qu'une chance s'ouvrait à moi". Pendant le tournage, le cinéaste s'est montré paternel et attentif et lui envoie même un mot : "Rushes épatants. Tu es formidable, fragile, vulnérable, enfantine, insouciante, irresponsable et touchante. Tu entres au coeur des choses. Tu es belle, limpide et ambiguë. (...) Je ne sais pas comment te remercier sinon en en te disant : continue..."
Pour le choix des deux comédiens, Shula siegfried, la directrice de casting, propose à Bertrand Tavernier une demi-douzaine d'acteurs parmi lesquels Olivier Sitruk. Le cinéaste le teste : "Ca ne marche pas. Vous êtes trop gentil". Sans nouvelle au bout d'un mois, Olivier Sitruk tente de convaincre Tavernier par lettre, repasse des essais et emporte finalement le rôle. Le début du tournage fut difficile : "La première semaine, Bruno et moi, on pensait qu'on allait être virés. On savonnait les prises. jeunots plongés au milieu d'une époque rodée, on avait l'angoisse de ne pas être à la hauteur des personnages. Je jouais en toute inconscience, avec l'impression de ne pas faire le même film que le réalisateur. Il voulait un petit con du Sentier ; je ne prenais pour Al Pacino dans Scarface..."
Bertrand Tavernier rencontre Bruno Putzulu, nouveau pensionnaire de la Comédie-Française, par l'intermédiaire de Philippe Torreton qui est, lui, sociétaire. Le cinéaste, qui recherchait au départ un grand blond pour jouer l'immature du groupe, est hésitant face au profil de Putzulu mais finit par faire appel au jeune comédien. Si le tournage s'est bien passé, le jeune comédien dit avoir souffert de l'effet boomerang de son rôle : "Après L'Âppât, on me faisait venir dans les castings uniquement pour me voir. On voulait savoir si je ressemblais vraiment au personnage sanguinaire de Bruno. Des metteurs en scène qui n'avaient aucune envie de me proposer leur film me toisaient comme un animal".
Bertrand Tavernier met en conditions le trio d'acteurs. Il exige que personne ne cherche à se renseigner sur le fait divers pour ne pas être tenté de copier les criminels mais leur demande au contraire de se construire leurs propres personnages. Bruno Putzulu : "Ce fut une préparation intelligente, souterraine. On dînait souvent ensemble. Notre trio se cimentait sans effort. Bertrand, de son côté, saisissait toutes les occasions pour nous voir". A son domicile, le cinéaste projette à ses acteurs La Balade sauvage (1974) de Terrence Malick, un film-poursuite inspiré d'une histoire vraie qui raconte la dérive criminelle de Caril Fugate et Charles Starkweather, deux jeunes que rien ne semblait prédisposer à la violence. Bertrand Tavernier : "Marie Gillain a compris qu'elle devait jouer Nathalie sans jamais être au-dessus de son personnage, sans le juger. Je lui ai dit que je voulais retrouver le même regard que celui de Malick sur ses personnages. Et la même manière de parler de l'inconscient d'un pays à travers le comportement très physique des personnages".
L'Appât emporte l'Ours d'Or au Festival de Berlin en 1995. C'est sous l'influence de Frédéric Bourboulon, René Cleitman et Jean Philippe Labadie, distributeur de Bac Films que Bertrand Tavernier avait présenté son oeuvre. Le palmarès est conspué par une partie de la critique qui avait préféré Smoke de Paul Auster et Wayne Wang. Tavernier réagit ainsi sur scène : "I agree with you but what can I do ? (Je suis d'accord avec vous mais que puis-je faire ?)". La salle s'est mise à rire et les cinéaste est reparti sous les applaudissements.
Le film est nommé deux fois aux César, dans les catégories de Meilleur espoir masculin pour Olivier Sitruk et Meilleur espoir féminin pour Marie Gillain. Perdante, cette dernière remportera toutefois le Prix du jeune espoir romantique (!!!) au Festival de Cabourg.
La critique est partagée sur le film. Jean-Marc Lalanne des Cahiers du Cinéma estime que le cinéaste "condamne le mouvement même du désir", Didier Péron dans Libération ironise sur "les convictions étroites et le pessimisme réac" de Bertrand Tavernier. En revanche, Positif défend le film : "La maîtrise des cadrage mouvants qui enveloppent les personnages donne une dimension onirique au pointilleux de la reconstitution".
L'Appât est présenté aux Etats-Unis sous le titre Fresh Bait. Si le film est globalement bien acueilli par la presse américaine, on lui fait le reproche de ne pas désigner un vrai coupable, identifiable. Il ne trouve par conséquent pas de distributeur.
Dans la conférence de presse de rentrée de France 2, la diffusion prochaine de L'Appât est annoncée comme un des évènements importants de la chaîne. Un mois plus tard, Bertrand Tavernier apprend par le journal de son film est programmé à 23h05 et s'insurge auprès de la chaîne et en appelle à la SACD, l'ARP et la SFR qui dénoncent le fait que le Service Public diffuse des films américains violents en début de soirée et relèguent les longs métrages français en fin de soirée. Xavier Gouyou-Beauchamp reviendra sur sa décision et fera diffuser le film à 20h30.