Est-ce moi qui suis en ce moment d'une humeur maussade, ou bien la critique est-elle particulièrement complaisante ces temps-ci ? Après son enthousiasme pour "Charly" et "La Question humaine", qui m'ont valu 4 heures d'ennui profond, nouvel emballement du Landerneau parisien pour ce premier film : Le Monde parle de "la stupéfiante justesse de la mise en scène, aussi précise, sensible et fulgurante qu'un rayon laser", Les Inrocks de "premier film bouleversant à la clarté magique", et Libé affirme que "Comme film, il est à son tour irréprochable".
Diantre. Voilà qui est alléchant, et le fait que la réalisatrice soit une ex-consœur, qui plus est des Cahiers du Cinéma, ne rentre certainement pas en ligne de compte dans ce dithyrambe... Jugeons donc sur pièce. Côté mise en scène au laser, rien de bien original, juste ce qui est dans l'air du temps, côté Garrel ou Assayas, une caméra un peu parkinsonienne, un montage cut, des faux raccords signifiant "je connais les codes mais je m'en émancipe pour me rapprocher de la vraie vie".
Côté clarté magique, je dois être un peu moldu, car j'ai trouvé que la narration embrouillait à dessein une intrigue bourrée de clichés : les scènes délibérément inachevées, les ellipses impromptues avec un brouillage intentionnel des repères temporels ne permettent pas de dissimuler l'essentiel, à savoir la succession d'événements attendus et leur traitement encore plus prévisible : la violence conjugale due à l'alcool, l'overdose, l'écrivain maudit et son angoisse de la page blanche.
Mais le pire est sans doute du côté des dialogues et de la direction d'acteurs (adultes). Il y a un aspect terriblement désuet dans certaines scènes, très littéraire, quelque chose qui rappelle Truffaut sans sa légèreté grave. Comme Isild Le Besco nous exhumant Paul Wedekind, Mia Hansen-Løve nous sort Georg Trakl et Joseph Von Eichendorff, références pesantes à l'homme qui aimait les livres.
Et puis les acteurs, surtout masculins, ont un jeu à la Jean-Pierre Léaud, et le "Tu m'as humilié !" de Paul Blain (fils de Gérard Blain, acteur fétiche de la Nouvelle Vague) lors de sa dispute avec Annette sonne aussi faux que les premiers essais de l'atelier théâtre de la 3° B. Quant à Pascal Bongard, lorsqu'il explique à sa belle-fille Paméla qu'il y a un virus terrible qui attaque les ordinateurs, on se demande si l'impression de gêne que l'on ressent est due à son jeu ou à la dissonance du dialogue qu'il est obligé d'ânonner.
Heureusement, il y a les sœurs Rousseau, Victoire (qui joue Paméla à 6 ans) et Constance (qui joue Paméla à 17 ans). L'idée de confier les rôles d'un personnage à deux moments de sa vie à deux sœurs donne une vraisemblance que l'on ne retrouve pas quand le casting n'a été fait que sur des critères de ressemblance morphologique. Et puis toutes deux jouent étonnamment juste, et entraînent leurs partenaires adultes dans cette authenticité. Quand Paméla retrouve Martine, puis Victor, l'intensité de sa présence, reposant sur un port de tête aérien et un regard étrangement mobile parvient enfin à nous raccrocher à l'histoire et à nous émouvoir.
Philippe Azoulay dans Libération évoque "Bergman, Garrel, Eustache, Doillon, Bresson, Blain. Comme chez eux, la maturité consiste ici à dire la fugue et ne lui faire aucun reproche". Tiens donc ; Victor est quand même un adulescent particulièrement agaçant, perpétuellement dans la négation, la fuite, l'esquive ; et si Paméla lui pardonne, tout à son contentement d'avoir retrouvé un père, je ne suis pas persuadé que la présentation qu'en a fait la réalisatrice était exempte de reproches.
Espérons juste que Mia Hansen-Løve réussisse à se débarrasser à l'avenir de ses citations indigestes et de ses poncifs narratifs, et qu'elle sache prolonger la grâce de certains passages, comme la conversation sur les ponts viennois entre Victor et Paméla à 6 ans, ou la façon que la même Paméla adolescente a de parler de "son frère par alliance". Espérons pour cela qu'elle ne prenne pas trop les critiques pour argent comptant.
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