Nue propriété a été présenté en Sélection officielle, en compétition, à la 63e Mostra de Venise.
L'une des singularités de Nue propriété réside dans le fait que les deux frères du film sont interprétés par deux authentiques frères dans la vie : Jérémie Renier et son ainé (de 6 ans) Yannick. Si les spectateurs français connaissent bien le premier, révélé au milieu des années 90 par les frères Dardenne, ils ignoraient sans doute l'identité du second, pourtant populaire en Belgique. Premier prix d'art dramatique au Conservatoire Royal de Bruxelles en 1996, celui-ci a aussi suivi une formation de marionnettiste. Très actif sur les planches et sur le petit écran (la série Septième ciel Belgique), il n'avait jusqu'à présent tourné que dans des courts métrages. Depuis Nue propriété, plusieurs cinéastes ont fait appel à lui, dont Christophe Honoré (pour le film Les Chansons d'amour), ce réalisateur qui dirigea... Isabelle Huppert dans Ma mère. A propos du souhait de réunir à l'écran les frères Rénier, Joachim Lafosse explique : "C'est plus qu'un choix délibéré, c'est intrinsèque au projet. Dès le début, je les ai associés à l'écriture du scénario. Dans la vie, comme à l'écran, ce lien de fraternité existe réellement. Je cherchais une émotion authentique, et dans le dispositif mis en place, il était plus juste de regarder que d'essayer de fabriquer." Précisons que le réalisateur a lui-même un frère jumeau.
Nue propriété est le troisième long métrage de Joachim Lafosse, cinéaste belge né à Uccle en 1975. Très tôt passionné par le théâtre et le cinéma, il avait d'abord envisagé de devenir acteur. Diplôme de l'IAD, il tourne dans ce cadre le film de fin d'études Tribu, présenté dans de nombreux festivals. Suivront Folie privée et Ca rend heureux, présenté à Locarno en 2004 et 2006. Ajoutons que, comme son confrère Benoît Mariage, il a réalisé un reportage pour le magazine de télévision à succès Strip-tease.
Le cinéaste précise ses intentions, en revenant sur la genèse du projet : "Ce film s'inspire d'un histoire familiale. A une époque, j'ai éprouvé ce sentiment d'avoir un pouvoir qui n'était pas le mien. Comme une logique de vie qui n'était pas respectée ; j'avais le pouvoir d'empecher ma mère de vivre la vie qu'elle avait envie. C'est ce qui m'a donné l'idée d'écrire l'histoire de ces deux frères qui se comportent avec leur mère comme s'ils étaient eux-mêmes ses parents. Elle se retrouve alors dans la situation étrange de devoir demander l'autorisation de s'émanciper."
C'est ce qui s'appelle "creuser un sillon". Dans son court métrage Tribu (2001), comme dans son premier long métrage, Folie privée (2004) et dans Nue propriété, Joachim Lafosse il est question d'une séparation douloureuse, et notamment du sort du ou des enfants (plus ou moins âgés). On note que, dans les trois cas, deux des protagonistes se prénomment Jan et Pascale (et dans Tribu, l'enfant se prénomme Thierry comme Jérémie Renier dans Nue propriété...). Autre point commun : Kris Cuppens, acteur-fétiche du cinéaste, qui campe tantôt le premier mari, tantôt le nouveau compagnon...
Joachim Lafosse revient sur le rôle très important joué dans le film par la maison : "(...) c'est le lien que partage chacun des membres de la famille, y compris le père, le grand absent de l'histoire. Nue propriété est une réflexion sur la jouissance que l'on peut avoir à la propriété. Finalement, faire du cinéma, c'est aussi jouir d'un tas de choses sans en être propriétaire."
Le titre du film est un terme juridique : la "nue-propriété" (avec tiret...) est un droit de propriété partiel (par opposition à la "pleine propriété". L'expression "nue-propriété" désigne le fait de posséder un bien sans être toutefois autorisé à en faire usage ni à en tirer des revenus (l'usufruit).
Au cours de sa carrière, Isabelle Huppert a beaucoup voyagé, notamment en Europe, travaillant avec des cinéastes de différentes nationalités : suisse (Claude Goretta, pour un de ses premiers grands rôles, La Dentellière), hongroise (Marta Meszaros), italienne (Mauro Bolognini, Marco Ferreri), allemande (Werner Schroeter), russe (Igor Minaiev), polonaise Andrzej Wajda) ou encore autrichienne (Michael Haneke), mais c'est la première fois qu'elle collabore avec un réalisateur belge.
Un des thèmes sous-jacents qu'aborde Nue propriété est celui des rapports entre le peuple wallon et le peuple flamand. Le cinéaste donne quelque précisions, en reliant cette question à sa collaboration avec l'acteur Kris Cuppens (qui incarne Jan, le nouveau compagnon de Pascale) : "Quand j'ai commencé à travailler avec Kris Cuppens sur Tribu, c'était d'abord dû à l'envie de travailler avec cet acteur qui est aussi un ami. Et puis je me suis rendu compte qu'en le faisant travailler en français, il y avait une qualité de jeu qui arrivait, parce qu'il ne faisait plus attention à ce qu'il jouait mais à ce qu'il avait à dire. De par son origine flamande et les rapports entre Francophones et Flamands, en aussi découlé involontairement une symbolique supplémentaire sur la question de la difficulté à vivre ensemble. Vouloir vivre chacun de son côté, derrière sa frontière, c'est un fantasme pas seulement de la Flandre, mais d'une certaine Wallonie qui vit coincée dans ses préjugés. Si on reste entre nous, il arrive ce qui arrive à cette famille : si on ne laisse pas entrer le tiers, c'est le chaos."
Joachim Lafosse, qui privilégie dans film le plan séquence, justifie ici ses choix de mise en scène : "Je voulais que chacun des personnages soit obligé, s'il veut s'éloigner, de quitter le cadre. Le cadre est comme une maison que les personnages n'arrivent pas à quitter. Et lorsque deux personnages sont dans le cadre et qu'apparaît un troisième, il traverse presque systématiquement le champ en l'occultant. Je voulais montrer à travers ces plans fixes que lorsqu'il n'y a que deux personnages, ça fonctionne bien mais que l'arrivée d'un tiers engendre du conflit. Un plan fixe, c'est donner aux acteurs et à leur travail une véritable place, mais c'est aussi permettre au spectateur de regarder ce qu'il veut."
Dominique Reymond avait été pressentie pour le rôle de Pascale.
A peine cinq mois après la présentation à Venise de Nue propriété (et avant sa sortie française), le prolifique Joachim Lafosse recevait le Grand Prix du Festival d'Angers pour son Ca rend heureux, un film tourné juste avant Nue propriété.