Sur une musique de valse musette, Manda, le charpentier joué par le moustachu et longiligne Serge Reggiani, fait virevolter d'un seul bras la belle et blonde Marie, Simone Signoret resplendissante femme de petite vertu à l'aube du XXè siècle. Jacques Becker atténue par ce souvenir tourbillonnant la conclusion
tragique
de ce mélodrame inspiré librement de personnages réels. Il revient en conclusion sur la danse qui présida à la rencontre initiale dans une guinguette où l'on buvait l'absinthe avant qu'elle ne soit interdite.
Il est alors temps de réécouter plus attentivement, pendant le générique final, les paroles du Temps des Cerises, rengaine souvent associée à la commune de Paris de 71, mais dont le thème est aussi celui d'un grand chagrin d'amour.
Casque d'or c'est l'histoire d'un coup de foudre immédiat, un dimanche au bord de l'eau, entre deux êtres aux antipodes: la vie besogneuse du travailleur semainier, fiancé à la fille de son patron, d'une part, et de l'autre la soumission d'une prostituée soumise aux caprices et à la brutalité d'un souteneur frimeur. Le printemps est là et fait oublier aux deux amoureux toute capacité à voir les nuages qui s'accumulent.
Casque d'or, c'est aussi une histoire d'amitié d'enfance, que rien ne pourra entamer, malgré les routes divergentes prises par chacun des deux hommes. Raymond est resté voyou, Manda s'est rangé des affaires. Le premier essaye d'arranger les embrouilles qu'il provoque naïvement et involontairement, et se trouve lui-même pris dans les combines machiavéliques du chef de bande Leca. Le second, ne trahira pour rien au monde, son ami de toujours, quoiqu'il en coute. Manda, est un homme d'honneur. Ne possédant rien, il n'a rien à perdre.
Mais Becker ne s'arrête pas à cette histoire somme toute banale de confrontation entre plusieurs coqs pour conquérir les faveurs de la blonde Marie, il explore avec minutie la société de l'époque. Les bourgeois viennent s'encanailler dans les cabarets de banlieue, les ouvriers logent dans l'atelier et mangent à la même table que l'artisan. Les commodités n'existent pas et les façades des quartiers populaires sont décrépies. Leca, le meneur des "Apaches" s'habille chic pour tromper son monde (Le "Parrain" Corleone fera de même lorsqu'il aura réussi!), fréquenter et trinquer avec l'inspecteur de la police ou endormir la confiance des richards. Il exige de ses acolytes de porter un melon plutôt qu'une vulgaire casquette qui fait trop "ouvrier". Mais derrière les beaux atours, Leca recourt sans aucun remords, à l'élimination physique des traitres
et des opposants
, pour préserver sa position, ses revenus et conquérir la Marie qui lui résiste.
Dans un Paris qui grossit, les différentes couches de la société se croisent sans se voir. Les policiers habillés de pèlerines désuètes accompagnent nonchalamment les inculpés vers la prison la plus proche .
Le récit est dépouillé, les images de crime et de sexe sont hors de propos dans le cinéma des années cinquante, mais cela n'empêche pas de tuer ni d'aimer! Le film est illuminé par le taiseux Reggiani et la rebelle Signoret. L'amour est tragique et la photographie noir et blanc magique.
TV3 -Décembre 2018