Les Particules élémentaires : les secrets du tournage

Les Particules élémentaires a été présenté au Festival de Berlin en 2006, lors d'une édition marquée par la présence massive du jeune cinéma allemand, avec des oeuvres telles que Requiem ou Sehnsucht. Le film d'Oskar Roehler a valu au comédien Moritz Bleibtreu l'Ours d'argent du Meilleur acteur.

Best seller au parfum de soufre paru à la rentrée 1998, Les Particules élémentaires est le deuxième roman publié par Michel Houellebecq. Le premier,Extension du domaine de la lutte, avait déjà fait l'objet d'une adaptation cinématographique, par Philippe Harel en 1999. Signalons que l'écrivain avait alors participé au travail d'adaptation -ce qui n'est pas le cas cette fois. Harel et Houellebecq avaient d'ailleurs envisagé de refaire équipe pour adapter Les Particules élémentaires, mais ont dû abandonner, faute de financements (José Garcia, héros de Extension... était prévu au casting). Ce sont donc deux producteurs allemands, Bernd Eichinger et Oliver Berben, qui ont mis en oeuvre cette adaptation, ce qui n'est guère étonnant, car l'écrivain français est très populaire outre-Rhin. Peu après la présentation du film d' Oskar Roehler au Festival de Berlin, le romancier, qui a déjà réalisé quelques courts métrages, a annoncé qu'il s'attellerait lui-même à l'adaptation d'un autre de ses livres, La Possibilité d'une île.

Le producteur Oliver Berben se souvient des discussions avec Michel Houellebecq au moment de se lancer dans ce projet : "J'ai commencé par discuter pendant un an et demi avec François Samuelson, son agent à l'époque, avant d'avoir la possibilité de le rencontrer. Lorsque le jour du rendez-vous est arrivé, je suis parti à Bruxelles avec mon traducteur et mon collaborateur à l'écriture. Pendant la première heure, Houellebecq n'a pas prononcé un seul mot d'anglais. Ensuite, nous sommes allés manger, et discuter de choses et d'autres. Tout d'un coup, Houellebecq s'est penché vers moi et m'a dit dans un anglais parfait : “Je pense que nous allons faire un très bon film ensemble.” Je crois qu'il aime bien se livrer à ces petites farces. Passons sur les détails, mais notre second entretien est aussi sorti de l'ordinaire. Mais on ne s'ennuie pas avec lui, ça, c'est sûr ! (...) La dernière discussion que nous ayons eue à ce sujet avec Houellebecq date d'il y a à peu près deux ans [ces propos datent de 2006]. Après des négociations qui n'en finissaient pas, je lui ai dit : si vous voulez vraiment qu'on fasse ce film ensemble, dites-moi seulement oui ou non ! Il s'est investi entièrement dans le projet, il a travaillé avec Bernd Eichinger, et ensuite Oskar Roehler a écrit le scénario."

Bernd Eichinger, qui est à l'origine des Particules élémentaires, est un habitué des adaptations de romans-cultes. Il a notamment produit L'Histoire sans fin de Wolfgang Petersen d'après Michael Ende, Le Nom de la rose de Jean-Jacques Annaud d'après Umberto Eco ou encore Le Parfum de Tom Tykwer d'après Patrick Süskind.

A propos des rapports entre l'écrit et l'écran, le producteur Bernd Eichinger note : "La littérature et le cinéma sont deux formes d'art distinctes, et il me paraît presque incorrect de dire : “filmer un roman”. Il me semble plus approprié de définir notre travail comme : “bâtir un film à partir d'une matière première romanesque”. Nous ne nous serions pas facilité la tâche si nous avions essayé de commencer le film Les Particules Elémentaires par l'adaptation de la première page du livre. Un livre, on met plusieurs jours ou semaines à le lire, alors qu'un film ne dure que deux heures de temps. Tandis qu'un livre fonctionne sur les images et les scènes qu'il va pouvoir évoquer chez son lecteur, un film doit précisément fournir lui-même ces images : il ne peut donc fonctionner sur le même tempo qu'un livre. L'intrigue et la construction de l'oeuvre doivent être orchestrées de manière différente, la structure même du film doit être orchestrée dans le but de mettre en images le roman."

A propos du difficile travail d'adaptation, Oskar Roehler précise : "Nous avons rapidement compris qu'il était impossible de faire correspondre fidèlement l'histoire du livre à la structure narrative d'un film. Nous avons dû retranscrire les différentes péripéties que traversent les personnages sans donner à l'ensemble un aspect trop noir. Quand on fait un film, autant essayer au moins d'exprimer une certaine passion pour la vie... L'histoire que nous avons tournée est divisée en deux histoires d'amour, représentant deux frères. Nous avons essayé d'aller au fond des choses lors des moments les plus forts de ces relations amoureuses. Et nous avons aussi dû recourir à un autre artifice : pour évoquer la vie des deux frères quand ils étaient jeunes, nous avons utilisé le flash-back." Concernant le choix de se focaliser sur l'histoire des deux frères, il ajoute : "Nous avons voulu montrer le grand fossé qui sépare leurs vies et leurs amours. Ainsi, le film se définit essentiellement comme un mélodrame de la vie quotidienne, et non une critique sociale théorique."

Le réalisateur évoque sa proximité intellectuelle avec Michel Houellebecq : "Nous avons le même sensde l'humour, et la même relation aux autres. Même nos parcours personnels sont assez similaires : ce sont nos grand-mères qui nous ont tous deux élevés. D'ailleurs, Houellebecq décrit la génération de ses grand-parents avec une véritable compassion qui lui est assez inhabituelle (...) Lorsque j'ai fini de lire le livre, j'ai su immédiatement que j'aurais aimé l'écrire. Houellebecq a réussi l'exploit de résumer deux siècles d'histoire des valeurs de l'Europe occidentale. Son postulat de départ est que les relations familiales et personnelles, ainsi que les conditions économiques de base, se détériorent peu à peu parce que les gens se sont détournés de la religion, et sont obsédés par leur soif de connaissance et de progrès scientifique. Les relations humaines, si l'on en croit Houellebecq, sont devenues des jungles sauvages."

Si la réputation de poil à gratter de Michel Houellebecq est bien connue, le cinéaste Oskar Roehler est lui aussi connu pour son impertinence. Né en 1959, d'abord journaliste et écrivain, il a évoqué, dans L'Insaisissable (2000), le destin de sa mère, Gisela Eslner, une militante d'extrême gauche des années 60. Et dans Une famille allemande, sorti en France en 2005, il brossait le portrait acide d'une fratrie peu commune : Hans-Jörg, inhibé et obsédé sexuel, Werner, homme politique en pleine crise conjugale et Agnes, transsexuel. Les Particules élémentaires est son huitième long métrage.

Les Particules élémentaires réunit la jeune garde du cinéma allemand, des comédiens qui ont également tourné dans des productions françaises ou hollywoodiennes. On y retrouve en effet les deux protagonistes de Cours, Lola, cours (énorme succès au box-office allemand) : Franka Potente (vue depuis à Hollywood, notamment dans La Mémoire dans la peau et La Mort dans la peau) et Moritz Bleibtreu (à l'affiche en 2006 du Concile de pierre de Guillaume Nicloux). A leurs côtés figure entre autres Martina Gedeck, héroïne en 2001 de Chère Martha, choisie depuis par Francis Girod pour donner la réplique à Antoine de Caunes dans Un ami parfait.

Jeune acteur peu connu du grand public, Christian Ulmen, qui a débuté comme journaliste (il a été par exemple présentateur sur MTV) brosse le portrait de son personnage, l'introverti Michael, en osant une comparaison inattendue : "Je le vois comme une sorte de Terminator qui devient insensible dès que la sphère émotionnelle est concernée. Pour jouer Michael, je gardais à l'esprit le jeu d' Arnold Schwarzenegger dans Terminator 2, qui, quand il voit une femme, enregistre sur sa rétine de robot les mots “femme, vingt ans, célibataire”. Et même lorsqu'il doit séduire, il est d'une part très confus, et d'autre part, très introverti. Même quand il a sa première relation sexuelle, il analyse cela à la manière de Terminator. Mais, de mon point de vue, il est une personne aimable, tout comme son frère Bruno."