Producteur de Mon colonel, Costa-Gavras, connu pour son goût pour un cinéma engagé, parle de la nécessité de touner un tel film aujourd'hui : "Mon colonel est un film sur le passé autant que sur le présent. Le présent ne finissant pas d'être prégnant du passé il était indispensable d'associer l'un à l'autre, psychologiquement, historiquement, politiquement (...) Nous avons pensé qu'un film axé uniquement sur le passé risquait d'être anesthésiant, aussi délétère que l'absence de film. Il accélérerait le travail de l'oubli déjà instauré. Les victimes sont toujours parmi nous et les responsables le sont aussi (...) La présence de ce passé est une constante dans la vie politique et sociale de notre pays. La récente loi sur " les bienfaits de la colonisation ", la stèle célébrant l'OAS, des assassins, sont autant de preuves que notre pays continue à être contaminé, hanté, blessé par cette période. Aujourd'hui, dans d'autres pays ont lieu les mêmes horreurs commises par des " colonels " et des démocrates comme il y en avait dans la France d'alors."
L'Algérie, le cinéma, l'Histoire : autant d'univers qu'a traversés Francis Zamponi, auteur du roman dont est tiré le film. Né à Constantine en 1947, fils d'un policier corse, il passe son enfance dans les commissariats d'Agérie. Diplômé de sociologie, il travaille comme assistant réalisateur et assistant monteur pour le cinéma avant de se lancer dans le journalisme, notamment pour le quotidien Libération. Il signe ensuite plusieurs documentaires pour la télévision et la radio, sur des sujets tels que les RG, Jean Moulin ou l'affaire Markovic. Lorsque Zamponi fait part de son souhait de rédiger un essai sur la Guerre d'Algérie à Jean-Christophe Brochier, directeur de collection de Babel Noir (Actes Sud), celui-ci lui suggéré de choisir la forme du roman afin de toucher un public large, et pas uniquement les spécialistes de la question. C'est ainsi qu'il se lance dans le projet Mon Colonel, finalement publié en 1999. La guerre d'Algérie et ses fantômes seront encore au coeur de ses livres suivants, In nomine patris, publié en 2000 et Le Don du sang (2001).
Francis Zamponi précise ses intentions, et évoque les modèles qui l'ont inspiré pour le personnage de Duplan : "Je n'aurais jamais écrit ce livre si je n'avais pas vécu les premières années de la guerre d'Algérie dans le commissariat de police de Sétif. Jusqu'à l'installation de ma famille en banlieue parisienne, je croyais que le monde entier vivait au rythme de la guerre. À Paris, j'ai été surpris de voir qu'on pouvait entrer dans un cinéma sans présenter son cartable ouvert à un militaire et que lorsqu'on entendait un bruit on ne pensait pas automatiquement à l'explosion d'une bombe. J'imagine que c'est le lot de tous les enfants qui sont nés dans un pays en guerre. J'ai eu envie, non pas de décrire ce quotidien de mon enfance mais de Saint-Arnaud. Mon colonel est le fils spirituel de plusieurs officiers dont j'ai lu les écrits. Il doit en particulier beaucoup aux colonels Argoud et de Saint Marc. Mais il doit aussi beaucoup à tous les officiers que je voyais défiler à la maison. Mon père était, ce qui était paradoxal à l'époque pour un policier, un humaniste. Les militaires qu'ils recevaient dans sa famille n'étaient donc pas des caricatures mais des hommes qui se posaient des questions."
Très tôt, dans les films français, des allusions sont faites à la guerre d'Algérie. Le héros d'Adieu Philippine de Rozier (1963) se prépare à faire son service, mais les "événements" séparent aussi les amants des Parapluies de Cherbourg de Demy (1964). Godard traite le sujet de façon frontale dans Le Petit Soldat, un film qui, pour cause de censure, ne sortira qu'en 1963, soit trois ans après son tournage. Dans les années 60 toujours, Alain Cavalier signe deux films politiques, Le Combat dans l'ile et L'Insoumis. Citons ensuite Avoir 20 ans dans les Aurès de René Vautier (1971), Elise ou la Vraie Vie de Michel Drach (1970) et R.A.S. de Yves Boisset (1973). Après ces oeuvres de dénonciation, les cinéastes peuvent évoquer le sujet de manière plus apaisée (Outremer de Brigitte Roüan en 1990, Les Roseaux sauvages d'André Techiné en 1994), même si Nico Papatakis signe en 1991 le très sombre Les Equilibristes. En 1999, pour Vivre au paradis, Bourlem Guerdjou, un film sur la vie des immigrés algériens à Nanterre dans les années 60, la manifestation du 17 octobre 1961 est évoquée à travers une reconstitution. Ce rassemblement (et la répression qui a suivi) sont au coeur de Nuit noire 17 octobre 1961. En 2006, on a déjà pu voir La Trahison de Philippe Faucon, adaptation du récit d'un ancien sous-lieutenant, et, la même année, Florent Emilio Siri a tourné L'Ennemi intime, un film avec Benoît Magimel et Albert Dupontel. Ces deux films, comme Mon colonel, abordent le thème de la torture pendant la Guerre d'Algérie.
En 2003, Costa-Gavras et Michèle Ray-Gavras contactent Olivier Gourmet, pour lui proposer de jouer le rôle-titre. L'acteur se montre immédiatement enthousiaste, mais le film ne se tournera que deux ans plus tard. Entretemps, les producteurs lui demandent d'interpréter le PDG affable du Couperet, le film réalisé par Costa-Gavras avec José Garcia, et sorti en 2005. Ce film est d'ailleurs, comme Mon Colonel, co-produit par les deux complices du comédien belge, les réalisateurs Jean-Pierre et Luc Dardenne.
Michèle Ray-Gavras parle de la composition du casting : "Quand on a commencé à sentir que le film pouvait être là, était presque là, Olivier Gourmet s'est alors mis à perdre ces 27 kilos nécessaires pour interpréter le Colonel Duplan. Et nous avons continué le casting (...) Mais en janvier, à quelques semaines du tournage, c'était l'angoisse. Nous n'avions pas de père Rossi. Un acteur avait décliné car nous égratignions Mitterrand et nous avions ensuite tourné en rond, sans arriver à un consensus.Mais le film avait la baraka ! Seule à Paris un vendredi soir, je zappe et je tombe sur Star Academy que je n'avais jamais vu (...) Charles Aznavour était l'invité de Star Ac ! Merci Charles, vous êtes émouvant, vrai. Vous êtes le Père Rossi."
S'ils sont à l'initiative du projet, Costa-Gavras et Michèle Ray-Gavras ont souhaité que la jeune génération s'empare de cette histoire. C'est ainsi qu'ils ont travaillé avec le jeune cinéaste Laurent Herbiet, né en 1961, jusqu'alors assistant réalisateur pour Alain Resnais et Claude Lelouch. Herbiet les avait contactés après avoir écrit un scénario à partir du livre Mon colonel. Ils ont aussi choisi comme coproducteur Salem Brahimi, né en 1972, un de leurs anciens collaborateurs au sein de la maison de production KG et qui venait de créer sa propre société de production Wamip Films.
Avant de signer ce premier long métrage, Laurent Herbiet avait réalisé en 2000 un court métrage portant sur un autre conflit majeur du XXe siècle, la Première Guerre mondiale. Intitulé Le Poids du ciel, ce film était inspiré d'un texte de Jean Giono.
D'autres collaborateurs de Costa-Gavras figurent au générique de Mon colonel : le chef-opérateur Patrick Blossier qui a travaillé sur 6 longs métrages du cinéaste, de La Main droite du diable au Couperet, la costumière Edith Vesperini, qui a travaillé à trois reprises avec lui, le compositeur Armand Amar, à qui on doit les partitions d' Amen et du Couperet, et même le chef machiniste Yves Vandersmissen. Notons également que, comme ces deux derniers films (ainsi que La Petite Apocalypse), Mon colonel a été co-écrit par le scénariste et dramaturge Jean-Claude Grumberg. La fille de celui-ci, Olga Grumberg, fait d'ailleurs une apparition dans le film, de même qu'Alexandre Gavras, le fils de Costa...
Eric Caravaca et Robinson Stévenin s'étaient déjà donné la réplique dans Son frère de Patrice Chéreau.
Michèle Ray-Gavras tenait à ce que Mon colonel fût tourné en Algérie, c'est pourquoi elle a attendu deux ans, jusqu'à ce que la situation dans le pays rende possible ce tournage : "(...) je ne voulais pas faire une reconstitution en Tunisie ou au Maroc. C'était un problème franco-algérien et ça devait se tourner en Algérie. L'Algérie et le Maroc – surtout sur le plan architectural - sont différents. Nous avions construit en Algérie pour toujours et l'architecture du film fait partie du “non dit” de notre Histoire. J'ai tenu à ce que nous fassions à Blida la place de l'attentat du 14 juillet même si pour deux jours de tournage nous avons dû faire un convoi et 500 kilomètres." Elle ajoute, à propos de ses liens avec ce pays : "[Costa et moi] nous sommes mariés au consulat d'Alger en 68 pendant le tournage de Z, l'Oscar a été remporté par l'Algérie sans laquelle le film n'aurait pas existé, et nous étions alors voisins d'Abdelaziz Bouteflika [l'actuel président algérien]. Nous avions tous trente ans... et Boutef faisait des discours magnifiques aux Nations Unies."
Pour le jeune producteur Salem Brahimi, Mon colonel est un peu "le film du retour" : né à Londres, il a passé une partie de son enfance et de son adolescence en Algérie avant de s'installer en France. Il évoque ici ce qu'il considère comme "la plus significative anecdote" à propos du tournage, et qui concerne "ce commandant venu superviser le rendu de certains matériels à la fin de notre première journée de tournage, à deux heures du matin. L'heure de quitter les lieux après une très longue journée avait enfin sonné et alors que j'entrais dans la voiture, il s'approcha de moi et me dit d'une voix douce : "Nous sommes très fiers, très heureux de travailler avec vous, vos collaborateurs sont formidables, votre organisation parfaite et la coordination avec notre armée est professionnelle... Mais si vous pouviez descendre le drapeau français le soir ça serait bien..." Le Colonel n'a de cesse de le répéter : les symboles ont leur importance ! Ce film est algérien autant que français. Avec l'aide de nos partenaires et de ce que chaque pays avait à offrir, nous sommes revenus sur la portion la plus douloureuse de notre histoire commune et heurtée."
Mon colonel est marqué par une alternance de séquences contemporaines, en couleur, et de scènes se déroulant pendant la Guerre d'Algérie, en noir et blanc. "La grande force de l'adaptation du livre a été de mettre en évidence, à travers la partie contemporaine, l'écart entre l'indifférence quasi-générale qui prévaut toujours dans l'opinion publique au sujet de cette guerre et la vivacité des souvenirs, des douleurs de ceux qui l'ont vécu", précise le réalisateur Laurent Herbiet, qui justifie : "Le choix du noir et blanc et de la couleur s'est imposé. Dans l'inconscient collectif, les images de la Guerre d'Algérie sont très majoritairement en noir et blanc. La seconde raison est due à l'alternance dans l'histoire de deux époques : l'Algérie en 1956 et la France de 1993. Parfois nous passons d'une époque à l'autre le temps d'un seul plan. Le contraste permet au spectateur de se repérer." A propos des passerelles entre passé et présent, le cinéaste confie par ailleurs que, pour "moderniser la manière de bouger des soldats", il s'est inspiré de documentaires sur les GI's stationnés en Irak.
Après avoir lu le scénario, Mathieu Kassovitz, héros de Amen de Costa-Gavras, avait confié à Michèle Ray-Gavras qu'il aimerait incarner Rossi. Mais le temps que le projet se monte, l'acteur n'était plus disponible.
Mon colonel a été présenté en Sélection Officielle, en compétition, à la 1ère Fête internationale de Rome qui s'est tenue en octobre 2006 dans la capitale italienne.
Après le tournage de Mon colonel, les producteurs du film, Michèle Ray-Gavras, Costa-Gavras et Salem Brahimi, se sont lancés dans la production d'un autre film sur la Guerre d'Algérie, Cartouches gauloises de Mehdi Charef.
La voix du Commandant de Villedieu vous dit quelque chose ? C'est sans doute parce que le comédien qui joue ce rôle, Hervé Pauchon, officie depuis plusieurs années sur les ondes de France inter. On a pu entendre ses chroniques et reportages dans les émissions de Philippe Bertrand et, en 2006, dans La Bande à Bonnaud.