Un Linceul n’a pas de poches est un Mocky un peu à part. Adaptation d’un classique du roman noir, d’une durée de 2 heures, il est atypique, et s’avère peut-être le film le plus ambitieux du réalisateur. Il a cependant bidé à sa sortie, et il faut avouer que le métrage n’est pas tout à fait réussi. Déjà, le rythme du film est plutôt chaotique. On sent que Mocky n’est pas à l’aise avec ce format. Il y a des baisses de rythme, beaucoup de sous-intrigues peu intéressantes, voire carrément des scènes sorties du chapeau qui ne font pas avancer le schmilblick. Mocky se sent obligé d’adjoindre par exemple de nombreuses scènes érotiques très années 70 (on comprend pourquoi il a notamment engagé Sylvia Kristel sur le tournage), le souci, c’est qu’elles ne servent à rien, hormis entretenir une vague dimension vaudevillesque qui dessert clairement le sérieux du propos. Mocky se disperse, perd, surtout dans la première partie, le fil de son propos principal, et c’est dommage car par ailleurs le côté coup de poing et grande gueule du réalisateur est bien là et ne fait pas dans la demi mesure. On pourra faire se reproche au film aussi, il n’est pas du tout subtil et même clairement manichéen, mais d’un autre côté, ça fait plaisir ce genre de métrage totalement libertaires et rentre-dedans, ne serait-ce que pour voir à quel point notre époque est corsetée. Du reste, il semble que le livre avait également ce ton, donc on peut louer cette fidélité au matériau d’origine.
Le film est servi par une impressionnante galerie d’acteurs, comme souvent chez Mocky. On retrouve toutes les têtes connues de cette époque, dont Francis Blanche dans son dernier rôle. Mocky s’empare du rôle titre. Il est plutôt bon, mais on ne peut s’empêcher d’y voir un curieux mélange entre Alain Delon (pour le côté tragique du personnage, incorruptible, déterminé) et Belmondo (pour le côté séducteur gouailleur). En moins bien dans les deux cas. Il se fait souvent voler la vedette par les seconds rôles, dont les toujours remarquables Michel Serrault, Francis Blanche, Jean-Pierre Marielle. A noter la présence de la charmante Myriam Mézières, très convaincante également (et la seule qui ne se met pas à poil côté casting féminin !). De bons acteurs pour des personnages souvent hauts en couleurs et volontiers caricaturaux.
Formellement, le métrage ressemble à du Mocky. Des choses assez bizarres (les cadrages biscornus de l’ouverture du film par exemple) voisinent avec des champs contre-champs qui s’éternisent lors de certains dialogues. Des décors excentriques et hyper années 70 (l’appart du héros !) voisinent avec des extérieurs minimalistes qui se résument souvent à quelques rues et fleurent bon le studio. Le métrage reste correct, mais la forme manque quand même d’ambition pour un métrage de 2 heures qui en avait dans son propos. Quant à la bande son, elle est bercée par un tube de cette époque qui a rencontré un vaste succès. Il faut le dire, elle est tellement employée tout le long du film que ça finit par faire musique d’ascenseur !
Pour ma part, Un linceul n’a pas de poche est un film correct de Mocky, sans plus. Porté surtout par son excellent casting et par un propos qui reste brulant d’actualité, Mocky était sûrement le réalisateur tout indiqué pour porter ce scénario irrévérencieux qui envoie des uppercut à tout le monde, mais peut-être pas pour le porter sur la forme. Le réalisateur est un peu dépassé, et il fera beaucoup mieux la même année avec un projet plus adapté à son style, à sa patte, à son côté pressé et un peu foutraque, à savoir L’Ibis rouge. 3