Fort Apache a l’intelligence d’entrecouper ses séquences de vie quotidienne au sein de la cavalerie américaine par des scènes d’affrontement souvent brèves – et donc marquantes – qui font évoluer la situation des personnages, contraints de se retrouver dans ce fort basé loin des honneurs militaires, depuis l’anecdotique vers la tragédie historique. À mesure qu’éclatent les rivalités au sein des détachements, que se multiplient les dysfonctionnements et les désaccords entre les gradés, nous sentons que le vent tourne à l’orage et couve quelque chose de plus grave encore, quelque chose qui concerne les Indiens, associés au camp par le nom de ce dernier. John Ford mobilise d’ailleurs le modèle de la tragédie lorsqu’il réunit les mères et les épouses éplorées qui regardent leurs hommes partir à l’horizon, conscientes qu’elles ne les retrouveront pas pour la plupart, soucieuses de les savoir en prise directe avec leur condition de soldat et avec la gloire qui les attend une fois de l’autre côté. Aussi, le cinéaste regarde-t-il le microcosme qu’est la cavalerie avec un mélange d’ironie et d’attachement sincère, la clausule offrant par la même occasion une réflexion puissante sur la construction des légendes et la matière dont sont faites les icônes, soit un mélange de sang, d’irresponsabilité collective et de bravoure individuelle au combat. Le personnage interprété par John Wayne se situe curieusement en retrait, condamné à terme à camper une position de témoin en compagnie d’Owen : choisir l’éloignement spatial pour incarner à l’écran le désaveu de la manœuvre militaire constitue une idée brillante, que Ford renforce par l’introduction de jumelles qui servent aux deux soldats à observer depuis l’extérieur le massacre en question ; ils sont spectateurs d’un chaos qu’ils n’ont pas voulu, contre lequel ils ont souhaité marcher. De la même façon, proches de ces deux protagonistes hauts en couleurs et loyaux, nous sommes détachés de ce spectacle sanglant et portons sur lui un regard critique. Fort Apache s’affirme donc tel un modèle d’élaboration du récit et de mise en scène – de nombreux plans restent en mémoire après visionnage, comme ce miroir qui sert à Philadelphia de vecteur pour accéder à l’image de son amant ou ce plan sur John Wayne perçu par le prisme d’une fenêtre ouvrant sur le régiment d’outre-tombe. Un grand film porté par d’excellents acteurs.