Le thème du voyeurisme parce qu'il touche chacun d'entre nous à divers degrés sans que l'on veuille se l'avouer a souvent inspiré les plus grands réalisateurs et donné des films qui ont marqué les esprits. On pense bien sûr immédiatement à "Fenêtre sur cour", le brillant exercice de style d'Alfred Hitchcock (1954), au "Voyeur", le film dérangeant de Michael Powell (1960) ou encore au révolutionnaire "Blow up" de Michelangelo Antonioni (1967). De bien des manières, le thème continuera tout au long des décennies suivantes d'imprégner la pellicule via des réalisateurs de tous calibres. Brian De Palma un des plus fascinés par le phénomène y consacrera deux films référentiels avec "Blow out" en 1981 et "Body Double" en 1984, sortes de synthèses entre "Fenêtre sur cour", ""Blow-up" et "Vertigo". Coppola toujours intrigué par les nouvelles technologies écrit le scénario de "Conversation secrète" en 1967 après s'être longuement documenté sur le sujet des écoutes longues distances auprès de Hap Lipset (qui analysera les bandes du Watergate) qui lui a été présenté par le réalisateur Irvin Kershner. Il saisit l'opportunité du laps de temps entre les deux épisodes du "Parrain" pour réaliser le film. C'est en réalité le portrait d'un homme écartelé par ses préjugés moraux que le jeune réalisateur nous propose derrière un suspense mené de main de maitre malgré quelques incohérences narratives. Harry Caul (Gene Hackman) est "un plombier" ou en termes plus explicites, un expert reconnu dans le domaine des écoutes. Il loue ses services à tous particuliers ou entreprises qui ont de bonnes raisons d'interroger la vie d'autrui mais aussi les moyens de se les payer. Devant exploiter les écoutes et les photos qu'il recueille, la condition première du bon exercice de sa pratique est de ne jamais s'impliquer dans les motivations de ses clients.
Mais quelques années auparavant à New York, une des interventions de Caul pour un syndicat puissant a provoqué la mort par assassinat de trois personnes
. Depuis le doute et le remords assaillent Harry Caul qui progressivement s'est installé dans une forme de paranoïa qui lui embrouille l'esprit, le conduisant à des précautions inutiles qui lui masquent parfois les évidences qui sont sous son nez. Sa vie personnelle rebâtie sur la côte Ouest est essentiellement recluse. Coppola qui a rédigé le scénario, navigue de manière très fluide entre le portrait psychologique et l'intrigue qui découle en partie de celui-ci. Il nous montre à travers sa petite amie (Terri Garr) et son jeune employé (John Cazale) comment la paranoïa qui envahit Caul, l'isole inéluctablement, le rendant à son insu de plus en plus vulnérable. Le remords qui le taraude, s'exprimera par la pratique religieuse régulière comme souvent chez les héros de Coppola. Très habilement, est introduit dans le récit un congrès annuel des "plombiers " pour montrer en creux comment tout en restant un professionnel d'élite admiré, Caul est devenu une sorte de paria au sein de sa profession. C'est le statut des cadors à qui est arrivé un gros pépin qui les transforme en porte poisse. Immanquablement, cette tâche indélébile leur revient en pleine face. Pour Harry Caul c'est lors de la soirée arrosée de clôture du congrès que ses collègues après lui avoir tressé des louanges, lui rappellent l'incident sur le ton de la moquerie hypocrite. Dès lors on comprend mieux la suite et la conclusion pitoyable de l'intrigue pour Caul. Il en va ainsi de tous les métiers et principalement de ceux à hauts risques. Un chirurgien peut-il encore opérer avec la même dextérité après qu'il a provoqué par sa faute la mort d'un patient ? Caul a cru qu'en traversant le continent il pourrait résoudre son problème de conscience. Pour quelles raisons, bonnes ou mauvaises, a-t-il continué ? L'appât du gain ? La passion inextinguible de résoudre les problèmes techniques soulevés par son métier ? Une propension maladive à compenser son mal-être relationnel par le truchement du voyeurisme ? Ce sont toutes ces questions que le film de Coppola nous pose en empruntant brillamment la voie du film de genre. Gene Hackman qui est alors au sommet de sa gloire, ayant remporté un Oscar pour "French Connection" (William Friedkin en 1971) et une Palme d'or à Cannes pour "L'épouvantail" (Jerry Schatzberg en 1973), est tout simplement magistral dans ce rôle d'introverti qui selon Coppola le mit profondément mal à l'aise car lui renvoyant de lui-même une image incommodante. Bien lui en a pris, car en 1974, Gene Hackman verra à nouveau un des ses films récolter la Palme d'or à Cannes. La partition minimaliste de David Shire, à l'époque marié avec Talia, la sœur de Coppola, rend à merveille grâce à son thème lancinant au piano, l'atmosphère inquiétante qui résulte tout à la fois du complot qui se joue sous nos yeux et des états d'âmes d'Harry Caul. Très fier de ce film depuis devenu culte, Coppola indique souvent que c'est vers ce type de productions écrites par lui-même et réalisées avec peu de moyens qu'il aurait souhaité orienter toute sa carrière. On le croit volontiers, mais dans tel cas, il nous aurait tout de même manqué la trilogie du Parrain et l'indépassable "Apocalypse Now" (1979) ! C'eût été quand même fort dommage !