Hanna travaille dans une usine en Irlande, emmuré dans son silence et ses phobies. Insensible au bruit (elle débranche son appareil auditif), insensible aux autres, qui eux vont se plaindre de cette ouvrière modèle mais si peu communicative. Sommée de prendre des vacances, elle déplace sa solitude dans un hôtel miteux en bord de mer, en face d'une plateforme pétrolière d'où se dégage de la fumée. Ayant entendu la conversation téléphonique d'un homme chargé de trouver une infirmière pour soigner un grand brûlé sur la plateforme, elle se propose.
Sur la plateforme où la production a été arrêtée, vivotent quelques hommes : un cuisinier qui fait chaque jour un plat différent, assorti à la musique qu'il écoute, un océnographe qui mesure le nombre de vagues qui viennent frapper les pilotis, un contremaître taciturne qui a le roulis dès qu'il est à terre, et Josef, le blessé. Malgré la douleur, ou à cause d'elle, il parle, pose des questions, et face au silence d'Hanna, émet des hypothèses : sur son prénom, sur la couleur de ses cheveux (il est temporairement aveugle), sur son origine. Progressivement, elle abaisse sa garde et commence à se livrer, amusée par sa tenacité. Mais l'un et l'autre ont le poids de la douleur et de la culpabilité à dépasser pour se découvrir et s'accepter mutuellement.
Rien d'étonnant à ce que ce film ait été produit par les frères Almodovar. Non que la façon de filmer d'Isabel Coixet, tout en épure, évoque le style flamboyant du pape de la movida. Mais nous sommes là dans le mélo, clairement assumé, et il est curieux de voir comment ce genre est présent dans la production espagnole (ou tout du moins dans ce qui franchit les Pyrénées). Ce n'est d'ailleurs pas dans les moments les plus mélodramatiques que le film est le meilleur. Isabel Coxet y frôle parfois le too much, et l'abus de certains artifices (ralentis, faux raccords et caméra portée pour faire plus "vrai") gêne la sincérité du propos dans les scènes les plus dures.
Non, là où le film réussit à devenir envoûtant, c'est dans la peinture de la vie sur cette plateforme arrêtée, forme moderne du "Désert des Tartares", où chacun semble poursuivre un but sans réel rapport avec les raisons officielles de sa présence. Là, c'est avec beaucoup plus de grâce et de finesse que la réalisatrice évoque ces destins, mélanges de courage et d'absurdité, au cours de ponctuations musicales qui ne sont pas sans rappeler "Beaking the Waves", autre mélo pétrolier...
Tim Robbins, trop rare, et Sarah Polley, vue chez ses compatriotes Atom Egoyan et David Cronenberg, sont parfaits dans ce jeu de chat et de souris dont on ne sait qui est le prédateur. A noter la participation de Julie Christie dans le rôle de la psychologue qui a suivi Hanna la réfugiée. Vainqueur des goyas 2006 du meilleur film, du meilleur scénario et du meilleur réalisateur, "The secret Life of Words" est un film sobre, pudique et grave, qui malgré quelques faiblesses réussit à maintenir jusqu'au bout l'intérêt et l'émotion.
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