Attention, le loup est entré dans la bergerie... Il y avait quelques temps qu'un film ne m'avait pas autant frappée. La nuit du chasseur est cité par beaucoup de grands cinéastes comme un incontournable, je comprends maintenant pourquoi. Extrêmement subtile, fin, d'une beauté époustouflante, angoissant, cette espèce de Western enfantin est un chef d'œuvre. Les thématiques abordées sont passionnantes : la foi aveugle, la religion corrompue, la condition de la femme, la fidélité, l'amour fraternel, le don de soi. Mais La nuit du chasseur c'est aussi et surtout l'affrontement entre la pureté et le moisi. C'est l'enfance innocente, encore libre face au joug de la vie; face à la corruption de l'adulte, dont l'histoire pèse sur les actes. C'est une métaphore de la vie, assez pessimiste mais incroyablement puissante : plus les années passent, plus l'homme s'éloigne de son insouciance et se détache de cette spontanéité, cette liberté juvénile. C'est un point de vue, je ne suis pas là pour disserter, et je ne sais pas vraiment si je le partage, mais il est exposé avec une force magistrale. Le vice c'est Robert Mitchum, alias Harry Powell, mais ce n'est pas que lui. C'est aussi Ben Harper, ce père qui braque une banque pour que ses enfants n'aient jamais à voler, mais dont les progénitures se retrouvent, ironie du sort, à mendier par sa faute... Oh oui, plus qu'une simple (et néanmoins courageuse pour l'époque) fustigation de la religion-prétexte, ce film est aussi une invitation à la liberté. Lorsque cette madame Cooper, chrétienne désabusée dont l'altruisme est bouleversant, ré-invente les passages de la bible pour bercer John, le film s'emplit d'une magnifique poésie. La foi, c'est ce que l'on en fait. Je le vois comme un fervent bras d'honneur à l'idolâtrie et au dogmatisme. Et s'il n'y avait que l'intrigue qui soit passionnante ! Mais il y a bien plus à creuser car les symboles pleuvent ici, et rendent le tout si complexe et rempli de sens qu'une vulgaire critique comme la mienne risquerait de passer complètement à côté si elle tentait de les expliciter. Soulignons quand même à quel point les images sont magnifiquement mêlées à l'histoire : le pasteur en noir, les enfants en blanc. Une scène splendide où forme et fond s'entremêlent, c'est celle où John raconte à Pearl l'histoire de ce roi qui a caché sa fortune en faisant jurer à ses enfants de garder le secret... Et alors que l'enfant raconte cette histoire que l'on sait être la sienne, l'ombre noire d'un homme à chapeau apparaît sur le mur blanc. Le noir (le pouilleux) vient très souvent, comme ça, salir le blanc (le pur). Cette image de l'homme-ogre face aux enfants-agneaux est sans cesse reprise, et est extrêmement efficace. Il en résulte une atmosphère glaçante, extrêmement angoissante. Que ce soit grâce au jeu de Robert Mitchum, plus vrai que nature dans ce rôle de pasteur détraqué et charismatique, grâce à ses chants frénétiques, aux plans qui mettent en avant sa carrure impressionnante face à la petitesse des enfants, grâce à tous ces jeux d'ombres ou grâce à la musique lancinante -et parfaite- de Walter Schumann, on est totalement happé par cette fuite, par cette cavale de deux agneaux qui cherchent à échapper au loup. Quand on a déjà vécu ce sentiment que l'on est en danger et que l'on doit fuir sans tierce aide quelqu'un qui est tout près, on est d'autant plus investi dans cette fuite infernale. Et dans la fuite, on a droit à des images qui figurent je pense parmi les plus belles de l'histoire du cinéma. Le noir et blanc, magnifiquement contrasté, réussit à retransmettre toute la beauté calme de la nuit. La nuit où rien ne semble pouvoir arriver, où la barque des enfants flotte sur une eau transparente, pleine de reflets, au milieu d'animaux qui vivent loin de toute cette souffrance, et sous des étoiles qui paraissent plus réelles que celles que l'on peut observer en couleur dans la vraie vie. J'ai été vraiment subjuguée par l'esthétique de ces scènes nocturnes... Je n'en dis pas plus quant à la fin, j'en ai trop dit et je sens que je parle d'un film dont il est assez difficile de parler, mais elle m'a beaucoup touchée. À voir, absolument.