Il existe des films qui, par de mystérieux tour de force, arrive à atteindre une certaine vérité. Les Noces Rebelles fait partie de ces rares oeuvres qu'on prend plaisir à voir et revoir malgré la mélancolie qui se dégage de cette histoire. Celle de Frank et April, un jeune couple heureux qui vit dans une belle et agréable maison, avec deux enfants et des voisins sympathiques. Mais il leur manque l'essentiel : le véritable bonheur, qu'ils vont essayer d'atteindre à n'importe quel prix.
Sam Mendes réalise avec Les Noces Rebelles un récit existentialiste sur le couple mais aussi sur l'individu. Ce désir qu'ont Frank et April de vouloir tout quitter pour vivre une vie ailleurs fait peur dans notre société, car il nous fait sortir d'un chemin tout établit. Par conséquent, cela provoque jalousie et incompréhension de la part de leur entourage. En annonçant cette volonté de partir, le couple renvoie à leurs voisins et meilleurs amis l'image de leur propre existence pathétique. Seul John (interprété part le fantastique et très marquant Michael Shannon), à-priori aliéné, semble comprendre leur violente envie de s'évader. Une question se pose alors : qui est fou, celui qui reste ou celui qui part ?
La justesse de l'écriture et des dialogues ciselés permettent au cinéaste d'apporter une vraie réflexion sur ce problème qui peut toucher n'importe qui. Le processus d'auto-destruction du couple se fait lentement mais sûrement, et l'on sait que celui-ci est promis à l'échec. La justesse de la mise en scène également nous montre un cadre qui renferme ce couple petit à petit (scène dans la cuisine, plans symétriques et ordonnés). Enfin, la justesse sonore est aussi discrète qu'efficace. Thomas Newman, le compositeur attitré du réalisateur nous propose un thème à la fois doux et mélancolique, qui revient sans cesse pour nous rappeler cette vie uniforme et non voulue.
De plus, on ne voit jamais leurs enfants, preuve qu'il ne s'agit pas d'une question d'éducation. Le film se concentre exclusivement sur le mari et la femme, et leurs désirs mutuels. Leurs progénitures peuvent même être considérées comme un moyen et non une fin. Afin de correspondre au tableau de la famille parfaite, et se rassurer sur leurs doutes. La notion « d'habitus » de Bourdieu peut être évoquée, car si Frank semble ne pas aimer le cocon dans lequel il vit, il se sent pourtant en sécurité dans cette maison, car cette routine le met en confiance. Grâce aux impressionnantes prestations de Winslet et DiCaprio, ces derniers arrivent à se compléter pour nous donner une image du couple ultra-réaliste, essayant d'arranger les choses sans vraiment y croire, pour finir par se mentir et jouer un jeu entre eux.
Sam Mendes est un homme de théâtre qui magnifie toutes les joutes verbales entre ses deux acteurs. C'est aussi un cinéaste qui parle de l'Amérique et de ses tourments dans des résidences pavillonnaires sans âme (leur maison est vide, aucune chose ne dépasse, et tout est rangé à sa place) à la manière d'American Beauty. Cette surcharge de vernis sociale, le réalisateur se fait un malin plaisir de le gratter pour nous montrer ce qu'il y a en-dessous : des désillusions et des faux-espoirs. Il fera ensuite Away we go sur un ton plus léger, mais qui peut être vu comme un prolongement des Noces Rebelles, puisqu'il traite d'un couple libre qui voyage et n'a pas peur d'accomplir leurs désirs.
Tout le monde se dit en chacun de soi qu'il est spécial, et qu'il doit avoir une vie particulière à mener. Mais finalement, qu'est ce qu'être spécial et qui peut prétendre à ce statut ?