Le Cinéma de Genre Américain est le grand chêne qui surplombe la forêt de notre esprit. Quand nous pensons au Cinéma de Genre, immédiatement, nous pensons au rouleau compresseur Hollywoodien comme modèle de référence évident.On associe au Cinéma de Genre la fonction rabaissante du simple divertissement populaire ou le spectateur débranche son cerveau et profite de la techno-magie artificielle des effets spéciaux à outrance. Hors, il serait bien simplet d'isoler complètement le Cinéma de Genre dans cette banale fonction, cette apparence primaire.
Francesco Cassetti (1947-), théoricien Italien du Cinéma, envisageait le Genre, non pas comme un mur ou une contrainte conventionnel, mais au contraire comme un lieu d'expression libre. Du Genre au Cinéma, il disait qu'il était:
"Cet ensemble de règles partagées qui permettent à celui qui fait le film, d'utiliser des formules de communications établies, et à celui qui regarde le film, d'organiser son propre système d'attentes".
Ainsi donc, le genre aurait cette fonction de pacte, de contrat discursif entre un réalisateur et les spectateurs du film de ce dernier. Hélas, assez peu de réalisateurs Américains semblent avoir prit en compte cet aspect d'échange que constitue le film, faisant de lui plus un monologue qu'un échange. Entendons nous bien, mon argumentation ne vise pas à cracher allègrement sur les productions d'hollywood, j'en suis le premier à m'en délecter, cependant, j'apprécie qu'un réalisateur fasse l'effort de me tendre la main et de m'inviter dans son monde, ses thématiques et son esthétique dans une balade immersive. Il y a un véritable "Plus" magique lorsque le Genre ne se contente pas d'être un résultat, mais d'avantage un processus, un vecteur d'intentions personnelles. Cela optimise les chances d'un film de Genre de réussir à être "double", c'est à dire "Divertissant" ET "Intéressant (le Divertissement peut être intéressant, tandis que "l'intéressant", peut gagner une valeure divertissante). Mais l'exercice est extrêmement "piégé" et délicat. Comment réussir à faire un film de Genre...en faisant un film d'Auteur ? Comment réussir l'entreprise de "dompter" les codes tels un taureau en furie ? Comment rester personnel en flirtant avec les stéréotypes établies du Cahier des charges ?
Bong-Joon-Ho est un réalisateurs que j'admire énormément, et il est pour moi de ceux qui ont parfaitement réussi ce pari. "The Host" (2006) en est un parfait exemple.
Trois ans après le succès de l'inoubliable polar "Mémories of Murder", qui constitue très certainement un des meilleurs films policiers du XXIème sicèle et une référence du genre, même pour les cinéastes Américain, BJH se frotte une nouvelle fois au film de genre pour dépeindre une certaine "radiographie" de la société Sud Coréenne contemporaine et les impacts de l'Histoire sur cette société. Après le Polar, place au film de Monstre.
Quand je disais tout au début que le Cinéma blockbusteresque Américain constituait un modèle de référence (conscient et/ou inconscient), c'est parce que "The Host" témoigne assez clairement d'une revendication quasi métisse avec l'usine à Spectaculaire. Le film de Monstre de BJH nous rappelle sans cesse l'influence "souterraine" d'un imaginaire du film de Monstre/blockbuster Hollywoodien. Pourtant, cet imaginaire tel un gouffre profond, le film de Bong-Joon-Ho, jamais ne tombe dedans et ne subit malgré lui de déracinement. "The Host" ne tombe jamais dans le piège pourtant tentant de faire dans la facilité noyée de spectaculaire. C'est un film Coréen, avec un peu de sang esthétitco-scénaristique Américain...mais un film Coréen avant TOUT !
A ce titre, on pourrait bien affirmer que le Genre est la part Américaine de "The Host", et son texte serait une revendication de son identité locale.
Pourtant, en visionnant "The Host", très vite nous nous rendons compte que nous nous sommes fait leurrer, et c'est....la plus belle surprise que le film nous fera. Ce qu'il y a merveilleux dans T.H, c'est que le film trace sa propre route en réussissant à prendre une totale liberté, en s'affranchissant de tout le poids contraignant du carcan conventionnel du film de Monstre Classique pour devenir quelque chose de plus.
Plus encore, pour BJH, avec son film de Monstre, les codes apparentés au style Hollywoodien ne constitue pas des entraves, mais des tremplins qui permettent au réalisateur de "Memories of Murder" (2003) de toujours mieux s'installer confortablement pour affirmer sa marque.
Lorsque je disais que le Genre était, dans le cas de "The Host" d'avantage un processus de fabrication de thématiques et d'esthétiques personnelles et qu'il "leurrait" son public, c'est parce que ce film de Monstres est d'avantage dans une optique "d'anti-Spectaculaire" et "d'anti Horreur. Classer ce film dans la catégorie "Film d'Horreur" est pour moi inapproprié comme catégorie tant l'objectif du film n'est pas d'effrayer (du moins, pas de rendre sa créature effrayante).
Ce n'est pas une entourloupe, simplement un faux blockbuster, cachant les intentions d'un auteur, et Bong-Joon-Ho, encore une fois, appui l'idée qu'une cohabitation harmonieuse des deux est possible.
L'enjeux ne tourne donc en rien autour de Jump scares, de musiques stridentes ou de buildings qui s'effondrent. Le film ne s'isole pas, son esthétique et sa narration en font un Film de Monstre à hauteur d'Homme.
l'ADN Américaine de T.H n'aura échappée à personne. Sans cesse, le film nous paraîtra parcouru du fantôme d'un Steven Spielberg, Ridley Scott ou autre Alfred Hitchcok. Car avec cet exercice de style, Bong-Joon-Ho témoigne en plus de ça, d'un esprit très cinéphile et d'une grande connaissance du Cinéma de Science fiction ou de suspens Américain.
Cela saute aux yeux, la créature dans "The Host" rappelle dans son design, celui d'un certain Xénomorphe d'une galaxie lointaine...très lointaine, le Huitième passager du film de 1979 de Ridley Scott. On pensera aussi aux "Dents de la Mer" de Spielberg, et même, un peu plus lointain, "Les Oiseaux" d'Hitchcok (1963) pourrait s'ajouter aux sources d'inspirations du réalisateur Sud-Coréen, en incluant aussi bien évidement le célèbre Lézard Kaiju "Godzilla" d'Ishiro Honda (1954).
"The Host" a donc une triple identité: Film de Genre, Film d'Auteur, et un film de Cinéphiles. Ce dernier est gorgé de mémoires de films de SF et d'Horreur de renom. Pour autant, toujours aussi rusé, le film de monstre Sud Coréen ne prend jamais le chemin de la citation facile en alignant sa jolie collection de formes.
Premièrement, prenons "Alien: le Huitième Passager" (1979). Si la filiation coule de source, l'utilisation de la créature par BJH diffère de celle de Scott. Elle est même en totale opposition puisque Ridley Scott faisait surgir la peur en faisant exister le hors champ. Avec "Alien", nous étions dans l'optique du, grossièrement résumé: "Moins on en voit/montre, et plus on augmente la tension". Bong Joon-Ho lui, n'est pas dans ce genre de Fantastique de la Suggestion, il est dans celui de la Monstration. Le Monstre existe essentiellement dans le champ de la caméra, il est présent sur le mode du visible. Le choix n'est pas dérangeant car le but de BJH n'est pas la peur. Le "montré" de la créature est essentiel dans le cadre des thématiques "Bong-Joon-Hiennes".
L'autre film auquel on pense, c'est "Jaws". La comparaison est premièrement possible dès l'affiche du film. Quand on y réfléchit bien, la parenté de style détectable. Sur l'affiche de "Jaws", nous avons un requin de taille imposante, dans une mer qui recouvre les 3/4 de la surface de l'affiche, avec une nageuse très petite, sous le titre du film en rouge sang. Tout comme celle du premier blockbuster de Spielberg, celle de "The Host" vise à être simple pour avoir un effet choc ! La tentacule géante du monstre marin surgissant du fleuve prend la place du requin, avec une victime au féminin en haut de l'affiche.
La comparaison peut se poursuivre dans la deuxième séquence avec l'arrivée du monstre. Tout d'abord, il y a un rapprochement de lieux (dans "Les Dents de la Mer", il s'agit d'une base touristique sur la plage, tandis que dans "The Host", c'est au bord du fleuve Han). Puis, le moment ou Gang-Du voit s'approcher la créature (caméra face à lui, au milieu de la foule au bord du fleuve) et afficher progressivement une expression angoissée pourrait tout à fait correspondre à une citation du plan ou Martin Brody aperçoit horrifié, le requin, avec un "effet Vertigo" (lorsque la caméra recule et zoom en même temps).
Ainsi sont présentes les traces de Scott & Spielberg, mais ces citations de style sont rapidement désamorcées par un détournement du Genre de sa fonction première du Divertissement. Ici, le genre perd sa fonction principale pour devenir un outil de Politisation.
C'est par le flm de Monstre que Bong-Joon-Ho orchestre un "diagnostique" de la société Sud-Coréenne. Il ne s'agit pas de faire de la fiction en tant que telle, mais d'inscrire la fiction dans une vérité historique et sociale, dans un contexte politique réel, presque de l'ordre de la chronique d'un Journal Télé. La raison pour laquelle le réalisateur a préféré une esthétique de la monstration plutôt que de la suggestion de l'absence angoissante à la "Alien", c'est parce que le Monstre de "The Host" est un réceptacle de symbolisme. Le symbolisme d'un chaos politique et de pollution environnementale comme on le voit dans la séquence d'ouverture à la Morgue dans la base Américaine. Le personnage de Mr Kim est forcé par le scientifique Américain de vider des bouteilles de produits hautement toxiques dans l'évier et ceux ci se déversent dans le fleuve Han. A l'instar de Godzilla qui incarne pour les Japonais une peur de l'arme Atomique post Hiroshima-Nagazaki, la Créature dans "The Host" incarne les conséquences de l'Homme sur l'environnement en une personnification chimérique/bestiale de la Nature qui se venge (et la gravité de cette faute sera très bien soulignée par ce long travelling latéral sur les nombreux flacons de produits vides et l'épaisse fumée qui s'en dégage).
Film de Monstre Politique aux accents écologiques, avec "The Host", Bong-Joon-Ho réussi très habilement à mélanger genres et registres. Le film arbore donc plusieurs casquettes et a donc bien plus d'une corde à son arc en jouant sur le Décalage.
La dimension de décalage est centrale dans le film, et le mélange de tons lui permet aussi de ce démarquer des produits bons marché américains. Doit on regarder T.H au premier ou au second degré ? La question est complexe. Si le film est très sérieux, pour ne pas dire grave sur tout son background historique et politique, une autre de ses forces, en faisant se côtoyer le film de Monstre saupoudré d'horreur avec le Mélodrame familial est de toujours balancé entre le Rire et le ton Grave. Avec T.H, BJH joue constamment au funambule. Chez lui, la dimension fortement critique n'exclu pas le rire, bien au contraire.
L'exercice est périlleux et semblait même extrêmement osé et "casse figure", pour autant le risque paye. L'Humour Burlesque et le ton de la Comédie cohabitent toujours avec le drame tragique, froid et crasseux, à l'image des égouts, dans une relation fusionnelle. Les deux tons opposés sont inséparables l'un de l'autres, tels le Pile et le Face d'une même pièce de monnaie, tels le Yin et le Yang. Et aussi incroyable que ça puisse paraître, c'est bien en jouant sans cesse sur le décalage de ton au sein d'un mélange de Genre, que l'en sort une dimension d'épique.
Tout ce décalage façon Tragi-comédie a pour fonction ici d'interroger la "Bête". Thème récurrent de la production cinématographique Sud-Coréenne de manière générale, la politisation du film de Monstre cherche à dresser les causes de la Monstruosité et en déterminer les frontière.
Le Monstre, Habité du symbolique (la Nature ? La Société, Incarnation de la mère absente de Yun-Seo ?) arrive à cristalliser tous les maux de la sphère politique et celle de la sphère privée. Le rythme de la narration mené à tambours battants va entraîner les membres de la famille Park, une famille au sens large, abritant toutes les générations, dans une aventure qui va les confronter à la folie paranoïaque des hommes. Via un rythme soutenu, tout en parvenant à tenir en haleine son spectateur pendant 2h, Bong Joon-Ho va réussir à dépeindre ici, une société Sud-Coréenne crédule et complètement en proie à la Paranoïa. En faisant un film de Monstre "à hauteur d'homme", en renonçant à toute perspective de gigantisme, le récit brillant de ce "King Kong" du Loch Ness tentaculaire parvient à nous emporter dans la crasse et l'obscurité des égouts d'une société, contaminée par la peur. Très contemporain, le film aurait pourtant presque un aspect Biblico-mythologique avec Ce monstre "incarnation du Cataclysme" / "châtiment des Hommes par la Nature" tel un Moby Dick ou Leviathan.
Esthétiquement, comme on en retrouve souvent dans ses films, BJH fait la part belle aux égouts et ce n'est pas anodin. Les égouts sont le lieu du dessous, de l'obscurité; c'est un lieu labyrinthique, plein de dédales, ou nichent des parasites (tiens tiens ^^ ...). A la manière des cinéastes Français qui prenaient le Métro comme cadre de leurs fiction dans les années 1980, chez le cinéaste Coréen, les égouts sont des lieux qui arrivent à créer une atmosphère angoissante, à stimuler la fiction. C'est cette obscurité, cet aspect clos, inondé et dégoûtant des égouts qui renvoi aux ténèbres. Se créer alors une opposition entre la ville, le Dessus, la Lumière, et l'Ombre des égouts, le dessous, tels là aussi, deux réalités qui cohabitent dans la même images, tel un microcosme dans le macrocosme.
Pierre Reverdy (1889-1960) disait dans son livre sur le Surréalisme qu'une image naissait du choc, de la confrontation entre 2 réalités, 2 images, à l'intérieur d'une seule.
Les égouts constitue donc un monde anormal et fantastique à part entière, en dessous de l'univers urbain., peut être même un prolongement du Monstre (Victor Hugo disait dans "Les Misérables" que les égouts de Paris sont "L'intestin de Léviathan) Cela peut, avec l'histoire de l'enlèvement de l'adolescente par le monstre et sa recherche par la famille Park, nous rapproché d'une sorte de mythe d'Orphée, allant sauver Eurydice aux Enfers. D
Ce n'est pas tout mais il faut penser à conclure.
Sorti en 2006, "The Host" de Bong-Joon-Ho a été et demeure encore aujourd'hui un OVNI du Cinéma de Monstre. En arrachant le Genre à sa seule et aliénante fonction Divertissante pour en optimiser aux mieux les codes avec une brillante intelligence, Bong-Joon-Ho a su faire sien un Genre habité par le Fantôme et son imaginaire Hollywoodien. En faisant un spectacle "anti-spectaculaire" avec ce film de Monstre à hauteur d'Homme, mêlant Comique et Tragique, Mélodrame et Fantastique, Histoire politique et cocon familiale, le réalisateur est parvenu à laisser son empreinte avec un film complet et profond: Une Politisation du Film de Monstre.