Historique à plus d’un titre ! 28 ans après Jane Campion et sa Leçon de piano, Julia Ducournau est devenue la seconde réalisatrice à remporter une Palme d’Or grâce à Titane. Et le suspense a tourné court grâce à Spike Lee, qui a annoncé le résultat de manière anticipée, au tout début de la cérémonie.
Sorti ce mercredi 14 juillet, le long métrage succède à Parasite dernier lauréat en date, et à Dheepan, dernier tricolore sacré, et sa cinéaste a prononcé un discours particulièrement émouvant.
Malgré la bourde inaugurale de Spike Lee, le reste du palmarès a été riche en émotions, avec un mélange de surprises et de triomphes attendus. Comme celui de Renate Reinsve, qui porte le magnifique Julie (en 12 chapitres) sur ses épaules et faisait figure de favorite pour le prix d’interprétation féminine. Ou Caleb Landry Jones, son homologue, dont le nom revenait depuis la présentation de Nitram, en fin de compétition.
Après avoir ouvert le bal en beauté grâce à Annette, Leos Carax s’est vu remettre le trophée de la mise en scène, que les Sparks (auteurs de l’histoire et des chansons de la comédie musicale) sont venus chercher pour lui. Et il y a eu deux salves d’ex-æquo : pour le prix du jury (remis à Memoria et Le Genou d’Ahed) et le grand prix (Un héros et Compartiment N°6).
Au total, neuf des vingt-quatre longs métrages ont été récompensés par Spike Lee et son jury. Mais deux candidats tricolores ont triomphé. Avec panache et une Palme… de Titane !
Le palmarès complet du 74e Festival de Cannes
- Palme d'Or
Titane de Julia Ducournau
- Grand Prix
Un héros d'Asghar Farhadi & Compartiment N°6 de Juho Kuosmanen
- Prix de la Mise en Scène
Leos Carax pour Annette
- Prix d'interprétation féminine
Renate Reinsve pour Julie (en 12 chapitres)
- Prix d'interprétation masculine
Caleb Landry Jones pour Nitram
- Prix du Scénario
Ryusûke Hamaguchi & Takamasa Oe pour Drive my Car
- Prix du Jury
Le Genou d'Ahed de Nadav Lapid & Memoria d'Apichatpong Weerasethakul
- Caméra d'Or
Murina d'Antoneta Alamat Kusijanovic
- Palme d'Or du Court-Métrage
Tous les corbeaux du monde de Tang Yi
- Palme d'Or du Court-Métrage - Mention spéciale
Le Ciel du mois d'août de Jasmin Tenucci
- Oeil d'Or
A night of knowing nothing de Payal Kapadia
- Oeil d'Or - Prix spécial du jury
Babi Yar. Context de Sergeï Loznitsa
- Prix Oecuménique
Drive my Car de Ryusûke Hamaguchi
- Prix Oecuménique - Mention spéciale
Compartiment N°6 de Juho Kuosmanen
- Prix Fipresci - Compétition officielle
Drive my Car de Ryusûke Hamaguchi
- Prix François Chalais
Freda de de Gessica Geneus
- Prix du Cinéma Positif
Haut et Fort de Nabil Hayouch
- Prix de la Citoyenneté
Un héros de Asghar Farhadi
- Prix Cannes Soundtrack
Rone pour Les Olympiades / Ron Mael & Russel Mael pour Annette
- Prix CST de la Jeune Technicienne de Cinéma
Armance Durix pour Mi Iubita, mon amour
- Prix CST de l’artiste-technicien
Titane - Palme d'Or
Palme d’or titanesque et historique ! La Française Julia Ducournau a remporté le précieux et légendaire prix au Festival de Cannes pour son deuxième long-métrage Titane, porté par Agathe Rousselle et Vincent Lindon. Elle est la deuxième réalisatrice à remporter la Palme d’or vingt-huit ans après Jane Campion pour La Leçon de Piano, et la première réalisatrice à remporter ce prix en solo puisque la néo-zélandaise l’avait remporté ex-aequo avec Chen Kaige (Adieu ma concubine). Soutenu par l’Avance sur recettes du CNC, Titane est un film que la réalisatrice a déclaré comme "imparfait" lors de son discours de remerciement" même si "la perfection est une impasse". Si certains ont crié au scandale, au choc et au monstrueux durant le Festival, Titane est une véritable expérience de cinéma. Le jury de cette 74ème édition a fait le choix de récompenser un film de genre, interdit en salles au moins de 16 ans, et réalisé par une cinéaste française qui divise et qui marquera les esprits pendant longtemps. Julia Ducournau a remercié le Jury qui a, selon elle, reconnu "le besoin avide et viscéral d’un monde plus inclusif et plus fluide".
Un héros - Grand Prix ex-æquo
Une valeur sûre de la compétition cannoise. Hormis 2018 avec Everybody Knows, Asghar Farhadi est toujours reparti de la Croisette avec un trophée : Prix du Jury Œcuménique en 2013 (Le Passé), Prix du Scénario en 2016 (Le Client) et donc Grand Prix cette année avec Un héros. Son meilleur palmarès, pour un drame aux accents de thriller dans lequel un homme, emprisonné à cause d'une dette qu'il n'a pas pu rembourser, profite de ses deux jours de permission pour tenter de convaincre son créancier de retirer la plainte. Derrière l'engrenage implacable d'événements incontrôlables, le cinéaste dénonce un système qui prend les moins riches à la gorge au gré d'une écriture précise qui aurait pu lui valoir un autre Prix du Scénario. Mais la force et la qualité de l'ensemble lui ont permis d'obtenir mieux.
Compartiment N°6 - Grand Prix ex-æquo
Comme Nadav Lapid et Le Genou d'Ahed (Prix du Jury), le Finlandais Juho Kuosmanen a inscrit son nom au palmarès dès sa première participation à la Compétition. Centré sur une jeune femme qui se rend en Russie et rencontre un homme qui se présente d'abord comme son opposé, Compartiment N°6 a charmé les festivaliers grâce à sa douceur bienvenue (et son usage répété du tube "Voyage voyage") dans une sélection où les sujets étaient bien souvent durs. Une rupture de ton qui lui a valu un Grand Prix, généralement remis à des films plus petits, afin de leur donner un peu plus d'exposition en salles. Reste maintenant à lui trouver une date.
Annette - Prix de la Mise en Scène
Enfin ! Longtemps attendu, Annette a fini par arriver sur nos écrans, après avoir ouvert le bal en chansons et en beauté. Et cette comédie musicale a offert à Leos Carax son premier prix en compétition : celui de la Mise en Scène. Ce qui est le minimum pour ce long métrage qui regorge d'idées, de détails et d'images marquantes qui restent en tête. Avec cette histoire portée par Adam Driver et Marion Cotillard, il orchestre un spectacle total qui brasse plusieurs formes d'art (cinéma, musique, opéra, stand-up…) avec une inventivité des tous les instants et une succession de parti-pris qui ne pouvaient laisser le jury insensible. Dont acte. (Les Sparks ont reçu le trophée au nom du réalisateur, NDLR)
Julie (en 12 chapitres) - Prix d'Interprétation féminine
Pouvait-il en être autrement ? Depuis la présentation du sublime Julie (en 12 chapitres), en début de festival, son nom était sur toutes les lèvres. Dix ans après son apparition dans Oslo, 31 août, Renate Reinsve retrouve son compatriote Joachim Trier qui lui offre le haut de l'affiche et un rôle écrit sur mesure. Et c'est peu dire qu'elle crève l'écran en plus de porter sur ses épaules ce portrait de femme libre et moderne, dont les aventures amoureuses parlent à tout le monde. Sans aucun doute l'un des personnages les plus attachants de cette édition, et un Prix d'Interprétation Féminine mérité pour la comédienne norvégienne, qui ne devrait pas rester inconnue longtemps.
Nitram - Prix d'Interprétation masculine
Peut-être ignorez-vous l'histoire de la tuerie de Port-Arthur qui avait fait 35 morts et 23 blessés en Australie, en 1996. Avec Nitram, le réalisateur Justin Kurzel réveille ou plutôt déterre l'un des cauchemars enfouis dans la mémoire de son pays natal. Il suit Nitram, un jeune homme solitaire, malheureux, hyperactif et violent qui vit avec ses deux parents pourtant aimants. Dans ce portrait saisissant, le cinéaste capture l'essence d'un homme qui va devenir un monstre. Il le fait avec délicatesse, ne tombant jamais dans l'excès de violence et le voyeurisme - par exemple, le nom du véritable meurtrier n'est jamais mentionné. Surtout, ce drame puissant et anxiogène confirme le talent de Caleb Landry Jones, à la fois dangeureux, effrayant et sensible dans la peau de son personnage. Une véritable performance d'acteur.
Drive My Car - Prix du Scénario
La virtuose histoire de Drive My Car a séduit les critiques et le Jury puisqu’il a remporté 3 Prix : le Prix Fipresci, le Prix Oecuménique et le Prix du Scénario. Ryusuke Hamaguchi adapte avec Takamasa Oe la nouvelle éponyme du recueil "Des hommes sans femmes" de Haruki Murakami. Le réalisateur, très inspiré par le cinéma français, mêle fiction et réalité dans ce film qui raconte comment Kafuku, acteur et metteur en scène, va se remettre d’un drame personnel avec l’aide de sa troupe de théâtre mais aussi celle de Misaki, sa chauffeure attitrée. Le propos maître du film sur la ficitonnalité, la vérité et le deuil vient cueillir avec émotion le spectateur dans des moments de fulgurances incroyables et portés par des dialogues inspirés.
Le Genou d'Ahed - Prix du Jury ex-æequo
Un baptême du feu en compétition réussi pour Nadav Lapid : lauréat de l'Ours d'Or de Berlin en 2019, avec Synonymes, le réalisateur israélien concourait pour la Palme d'Or pour la première fois. Et s'il lui faudra patienter avant de soulever le trophée suprême, il repart avec un Prix du Jury (ex-æequo) pour Le Genou d'Ahed, drame rageur et très virulent envers son pays et la situation du milieu de la culture. Un geste politique fort, inspiré d'une histoire qu'il a vécue, et qui, même imparfait, a séduit le jury alors que le monde du cinéma se remet à tourner.
Memoria - Prix du Jury ex-æequo
Avec Memoria, Apichatpong Weerasethakul franchit plusieurs caps : c'est son premier film partiellement en langue anglaise et son premier avec des acteurs professionnels. Parmi eux, la Britannique Tilda Swinton et la Française Jeanne Balibar. Le long métrage suit les pas d'une femme, Jessica, réveillée un matin par un énorme bruit sourd, une sorte de coup de feu. D'où vient ce bruit ? Est-ce le fruit de son immagination, un signe venu d'ailleurs ? L'héroïne va se lancer dans une quête en suivant ses sens pour mieux retrouver le contact avec les autres et soi-même. Très contemplatif, Memoria est l'extra-terrestre de ce Festival. Il dégage une force spirituelle, une énergie mystique qui enveloppe le spectateur pour le transporter dans d'autres sphères. Grand conte humaniste, Memoria est l'un des grands coups-de-poing de cette 74e édition.