Danseuse de formation, Andréa Bescond est, cette semaine, à l'affiche des Chatouilles, adapté de sa pièce de théâtre autobiographique. Si le titre du long métrage peut sembler léger, il n'en est rien : Les Chatouilles parle des abus sexuels dont son auteure a été victime lorsqu'elle était enfant. A l'occasion de la sortie de ce film choc, dans lequel elle joue le rôle principal, gros plan sur cette artiste multitâches qui est parvenue à se reconstruire grâce à l'art.
Andréa Bescond se passionne pour la danse depuis l'âge de 3 ans. A 13 ans, elle est inscrite par un professeur à l'école internationale de danse de Rosella Hightower à Cannes. Une formation solide qui lui permet par la même occasion de quitter son milieu d'origine, indissociable des violences sexuelles qu'elle subit de la part d'un ami de ses parents. A 19 ans, elle intègre le Junior Ballet de Paris puis s'illustre au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de la capitale. Extrêmement polyvalente, la danseuse brille autant dans le moderne que le classique, le hip hop ou la danse africaine.
Mais lorsque ses traumatismes refont surface, Andréa Bescond prend une décision qui va changer sa vie. Persuadée que son violeur allait s'en prendre à ses petites filles (il est devenu grand-père), elle porte plainte contre lui. Elle a alors 22 ans. Au terme d'un procès de trois ans, cet homme connu des services de police pour attouchements est condamné à dix ans de prison (il en fera au total sept). A partir de ce moment, la jeune femme entre dans un cercle autodestructeur : prise de drogue, d'alcool, multiplication des partenaires sexuels, incapacité à construire une relation sérieuse, etc. Tout en pratiquant la danse de manière frénétique.
Les Chatouilles : "Un film qui parle du viol, du traumatisme d'une enfant, mais dont on ressort paradoxalement plein de vie"Plusieurs années après le procès, Andréa Bescond décide toutefois de se faire aider pour reprendre sa vie en mains. Via de nombreux échanges avec, entre autres, un psychologue, elle trouve le moyen d'aller de l'avant et dépasser une chose qui s'est avérée tout aussi traumatisante que les abus sexuels : le déni de certains membres de sa famille (qui refusaient de la voir comme une victime), même après la condamnation de l'agresseur.
En 2008, Andréa Bescond fait une rencontre décisive lorsqu'elle joue dans la comédie musicale "Rabbi Jacob" en la personne de l'acteur Eric Métayer, qui devient son compagnon. Ensemble, ils collaborent dès l'année suivante au théâtre dans la pièce "Les 39 marches", mise en scène par Métayer. La performance d'Andréa lui vaut une nomination au Molière de la révélation féminine. La comédienne continue de jouer dans des pièces jusqu'en 2015 ("Train Fantôme" d’Eric Métayer, "Les grands moyens" d'Arthur Jugnot et David Roussel), année où elle explose avec son spectacle "Les Chatouilles ou la danse de la colère".
Grâce à ce rôle aussi puissant qu'émouvant, Andréa remporte le Molière de la meilleure Seule en scène en 2016. Avec ce spectacle, l'actrice souhaite dénoncer les abus sexuels subis durant son enfance et se libérer d'un poids qu'elle gardait depuis trop longtemps. Si elle avait rapidement parlé à son compagnon des viols dont elle avait été victime, elle évoquait aussi les rencontres cocasses et inattendues qui l'avait ramenée vers la lumière. En l'écoutant, Eric a compris que le fait de se confier lui faisait du bien et que son témoignage pouvait aider beaucoup de gens. Andréa se rappelle :
"Comme j’étais enceinte de mon deuxième enfant et que je me demandais quoi faire de mes journées, j’ai commencé à écrire et Eric m’y a encouragée. A partir de mon récit, on a fait des impros, j’ai écrit les dialogues et Eric a conçu la mise en scène. En 2014, on a présenté le spectacle au festival d’Avignon pour la première fois. Depuis, on l’a joué plus de 400 fois."
Les Chatouilles - Andréa Bescond : "La pédo-criminalité touche tous les milieux"Le triomphe des Chatouilles donne alors des envies de cinéma à Eric Métayer et Andréa Bescond. C'est chose faite en 2018 avec l'adaptation cinématographique du spectacle sous le titre Les Chatouilles. Andréa tient bien évidemment le rôle principal. Karin Viard et Clovis Cornillac incarnent, quant à eux, les parents de la jeune femme et Pierre Deladonchamps joue le terrifiant pédophile insoupçonnable. Présenté au 71ème Festival de Cannes, dans la section Un Certain Regard, ce long métrage choc séduit la presse.
Si la réalisatrice n'a pas la prétention de penser qu’un film puisse faire bouger les choses, un outil artistique comme le cinéma peut tout de même toucher un large public et libérer la parole. Elle confie à ce sujet : "On est un peu résignés sur un plan politique. Marlène Schiappa se démène mais elle doit affronter le puissant lobby des magistrats qui se satisfont du statu quo. Étant donné qu’ils ont allongé le délai de prescription, ils renvoient les affaires de pédo-criminalité en correctionnelle alors qu’un viol est un crime qui devrait être jugé en Cour d’Assises. Beaucoup de gens se protègent et protègent leurs amis, issus de la libération sexuelle des années 1970."
Eric Métayer et Andréa Bescond