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    Les Chatouilles - Andréa Bescond : "La pédo-criminalité touche tous les milieux"
    Vincent Formica
    Vincent Formica
    -Journaliste cinéma
    Bercé dès son plus jeune âge par le cinéma du Nouvel Hollywood, Vincent découvre très tôt les œuvres de Martin Scorsese, Coppola, De Palma ou Steven Spielberg. Grâce à ces parrains du cinéma, il va apprendre à aimer profondément le 7ème art, se forgeant une cinéphilie éclectique.

    Rencontre avec André Bescond et Eric Métayer pour la sortie du très attendu "Les Chatouilles", présenté dans la section Un Certain Regard à Cannes en mai dernier.

    Les Chatouilles - Sortie le 14 novembre

    De Andréa BescondEric Métayer avec Andréa BescondKarin ViardClovis Cornillac

    DE QUOI ÇA PARLE ?

    Odette a huit ans, elle aime danser et dessiner. Pourquoi se méfierait-elle d’un ami de ses parents qui lui propose de « jouer aux chatouilles » ? Adulte, Odette danse sa colère, libère sa parole et embrasse la vie...

    Stéphanie Branchu - Les Films du Kiosque

    AlloCiné : Le film est adapté de votre pièce "Les Chatouilles ou la danse de la colère", comment est né ce projet ?

    Eric Métayer : Après le beau succès de la pièce, on s'est mis à fantasmer sur un film...

    André Bescond : On se disait que si la pièce était un succès, si elle marchait à Paris, si on avait un Molière... on pourrait réaliser ça. Et puis François Kraus et Denis Pineau-Valencienne, les producteurs, sont venus à Avignon voir la pièce et ça a tout changé.

    EM : On n'a pas eu la démarche logique d'écrire un scénario puis d'aller voir les boîtes de production pour essayer de le vendre. C'est le cinéma qui est venu vers le théâtre pour nous proposer l'adaptation.

    AB : On a décidé de prendre le risque ; François Kraus et Denis Pineau-Valencienne nous ont accompagnés avec tellement de générosité, d'écoute, d'humanité... On a commencé par écrire un scénario de manière totalement autodidacte. Par exemple, on ne savait pas qu'il existait un logiciel spécial pour écrire des scénarios, Final Draft. Quand on a découvert ça, je me suis dit "mais pourquoi on n'a pas pris ce truc plus tôt !" (rires) En plus Eric a le beau rôle car c'est moi qui retranscrit ce qu'on se dit, je fais la dactylo.

    Le but c'était d'envisager le film sous l'angle de la vie, de la reconstruction, la réparation.

    C'est assez étonnant que des producteurs viennent d'eux-mêmes proposer l'adaptation vu le sujet très sensible des violences sexuelles. On pourrait penser qu'il y aurait une certaine frilosité de leur part...

    EM : Ce n'était pas du tout le cas avec Les Chatouilles car ils ont eu un vrai choc quand ils ont vu la pièce. Pour François Kraus et Denis Pineau-Valencienne, il fallait en parler de ce sujet. C'est sûr que c'est dangereux, pas facile mais il faut faire valoir cette parole. La forme théâtrale de la pièce a également convaincu les producteurs qu'un scénario de film était possible.

    AB : On avait déjà notre empreinte avec ce spectacle... ils y ont vu tout l'humour autour de ça aussi et ils voulaient absolument qu'on garde ce ton-là. De toute façon, c'était impossible autrement pour nous. On n'allait pas faire tout d'un coup quelque chose d'hyper glauque. Le but c'était justement d'envisager le film sous l'angle de la vie, de la reconstruction, la réparation. On ne voulait pas occulter le côté comique de certaines situations, de la maladresse humaine... 

    L'humour comme contrepoids à la douleur...

    EM : Exactement, on avait envie de ça. Il fallait créer cette balance et ancrer le film dans la vie. En faire une chose uniquement dramatique ne donnait pas l'impression d'être du côté de la vie... on ne voulait dire aux gens "souffrez avec elle, regardez comme c'est difficile..."

    AB : Elle souffre et on le montre aussi, on ne dénigre pas la gravité du propos, au contraire, l'humour permet aussi de le mettre un peu plus en exergue.

    EM : Il fallait une couleur blanche pour faire ressortir le noir. Si on reste que dans le noir, il n'y a pas de nuances.

    AB : Il fallait aussi que ce soit audible. Si on vous plonge 1H45 dans de la violence, c'est pénible... J'adore The War Zone de Tim Roth par exemple ; le sujet me parle particulièrement bien sûr... Quand j'ai vu ce film, ça a été une révélation... mais en même temps il est insupportable ! Insupportable ! C'est très très très dur.

    Il n'y a pas une once d'humour. Ce n'était pas possible pour nous d'aller dans ce sens-là, même si j'admire ce film. Il est incroyablement réussi et interprété, mais ce n'est pas audible, c'est trop dur à supporter. Mettre de l'humour, de la vie, de l'énergie, c'est une manière de parvenir à toucher le plus grand nombre de personnes.

    Vous avez pensé tout de suite à Karin Viard pour incarner la mère ? Il y a une ressemblance troublante avec Andréa...

    EM : Au-delà de la ressemblance, Karin correspondait vraiment à ce qu'on recherchait en matière de jeu déjà. Elle réussit vraiment à amener quelque chose de terrifiant avec une pointe de comédie. Elle arrive à toujours mettre une pointe d'humour tout en gardant cette dureté.

    Avez-vous pensé à un moment donner le rôle d'Odette à quelqu'un d'autre que vous ?

    EM : C'était impossible car tout venait de la pièce d'Andréa et de son interprétation, on ne s'est même pas posé la question.

    AB : Après, je flippais quand même... je suis une artiste de spectacle vivant. Et la scène, ce n'est pas le cinéma. C'est une autre forme de jeu. Si j'avais dû gérer ça toute seule, ça auraité été compliqué. Mais je savais qu'Eric allait me diriger, j'ai tellement confiance en son regard... et puis on est francs l'un envers l'autre. Je savais que je n'allais pas faire de la merde avec lui. Je suis aussi assez cinéphile et admirer un bon acteur c'est également apprendre.

    Le film fonctionne sur différentes temporalités, c'est un aspect qui était présent dès le départ ?

    AB : Tout à fait, ça venait de la pièce, c'est très défini. Ça peut paraître un peu bordélique sur le papier mais en fait ça ne l'est pas du tout. On a rédigé un squelette hyper précis. On a défini le présent, le passé mais aussi les dimensions, les strates de la mémoire traumatique, sensorielle... c'est vraiment un hommage à la mémoire. Tout cela était hyper structuré.

    Je prône énormément la libération de la parole.

    Comment avez-vous appréhendé le fait de vous replonger dans des événements aussi traumatiques ?

    AB : Il faut avoir dépassé dépassé son traumatisme pour pouvoir le faire. Je n'ai pas toujours dit ça, il y a des fois où j'étais très très mal quand je jouais le spectacle par exemple. Mais avec Eric, on a vécu cette épreuve ensemble, on a chuté, on s'est relevés... Et à partir du moment où j'ai révélé que la pièce était très largement inspirée de mon histoire, les planètes se sont alignées et j'allais beaucoup mieux. C'est pour ça que je prône énormément la libération de la parole.

    Stéphanie Branchu - Les Films du Kiosque

    Malgré tout, j'ai dû beaucoup composer pour jouer Odette. Car ce personnage ce n'est pas moi, c'est Odette. Ce serait injuste, notamment par rapport à Eric, de dire que c'est essentiellement mon histoire. On est partis de ma vie et on a créé ensemble autour de cette vie. On a aussi aimé laissé les acteurs "salir" le texte en fonction de l'ADN qu'ils ont insufflé dans chaque personnage. C'est Cyrille Mairesse, qui interprète Odette enfant, qui était confrontée à ce qui a été le plus difficile à se souvenir pour moi.

    En parlant de Cyrille Mairesse, comment préserve-t-on un enfant comédien d'un récit aussi difficile ?

    EM : Il y a eu 3 choses : d'abord, Cyrille a des parents merveilleux qui l'ont protégé, énormément expliqué les choses. Il ont participé à lui faire comprendre qu'il y avait un combat, un enjeu important. Il y aussi la magie du cinéma. On pouvait jouer avec les champs contre-champs et éviter ainsi que Cyrille ne soit présente pour certaines scènes.

    AB : Et tout le génie de Pierre Deladonchamps qui devait jouer sans elle.

    EM : Les quelques scènes où elle devait être présente, on a essayé de lui expliquer et elle a très bien compris qu'il y avait une dichotomie entre ce qu'on était en train de lui demander et le personnage qu'elle était en train de jouer. Par exemple, la scène dans le chalet, on était en plan large, en équipe réduite, et tout le monde se prenait dans la gueule la situation, c'était très dur.

    À un moment donné, Cyrille est venue nous demander si ça allait encore durer longtemps. Nous on s'est dit que ça commençait à être lourd pour elle, c'est normal... on lui a dit, encore une fois et on arrête. Et là elle saute de joie en disant "super, je vais pouvoir aller à la piscine !" Ce qui était le plus gênant pour elle, c'était qu'elle avait chaud et qu'elle avait envie d'aller se baigner. Donc elle avait très bien compris les choses et elle n'était pas du tout en souffrance.

    AB : Evidemment, dans cette scène, personne ne touche à Cyrille, on ne peut pas faire un film contre les violences sexuelles et imposer des gestes bizarres sur une enfant, c'est impossible. Après, Cyrille n'était pas naïve, elle savait de quoi ça parlait, elle est venue voir le spectacle avec ses parents, elle savait ce que c'était que les "chatouilles." Elle m'a vue jouer cette pièce, on s'est rencontrées, on a beaucoup discuté de tout ça, elle me posait des questions sur ma propre expérience, sur l'enfant que j'étais... Elle est très intelligente et c'est elle qui a décidé de donner son accord pour faire le film, ses parents lui ont laissé le libre choix. Et elle a accepté de le faire pour aider les enfants et prévenir certains dangers.

    La pédo-criminalité touche tous les milieux sociaux, chez les riches, les pauvres, toutes les religions.

    L'acteur Corey Feldman a fait des révélations sur la pédo-criminalité régnant à Hollywood, lui-même ayant été victime de violences sexuelles et subissant depuis des persécutions pour avoir parlé. Quel est votre regard sur cela ?

    EM : Cela touche tous les milieux, il ne faut pas uniquement se focaliser sur le milieu artistique en voyant partout des dégénérés, des pervers. Il y a aussi de nombreux cas dans des petits villages impliquant des notables qui n'ont strictement rien à voir avec le milieu artistique. 

    AB : Il ne faut pas se leurrer, la pédo-criminalité touche tous les milieux sociaux, chez les riches, les pauvres, toutes les religions... On peut se planquer derrière n'importe quelle religion, il y a une racine de la violence chez l'être humain ; et il faut revenir à ça et comprendre pourquoi ça s'interprète après de cette manière. Pourquoi quelqu'un devient auteur de violences sexuelles ? Je suis intimement convaincu que tout vient de l'enfance.

    Cela concerne tout le monde, d'où l'importance de la prévention, de faire confiance à ses enfants, de leur dire que leur intimité leur appartient, que personne n'a le droit de les toucher au niveau de la culotte, que leurs parties intimes n'appartiennent qu'à eux. Il y a des caresses interdites, même entre enfants d'ailleurs. Il faut aussi faire attention aux écrans car les enfant sont confrontés à toutes sortes d'images. Parfois, ils voient des choses qu'ils ne devraient pas voir et reproduisent des choses qu'ils ne devraient pas reproduire. On a une vraie responsabilité et on est très très en retard à ce niveau-là. Il faut vraiment qu'on ouvre les yeux sur la manière de communiquer autour de la violence en règle générale et notamment les violences sexuelles.

    Il va falloir trouver des solutions pour essayer d'éradiquer le fléau de la pédophilie.

    Que pensez-vous du débat sur l'abaissement de l'âge de la majorité sexuelle ? Craignez-vous que cela n'entraîne des dérives qui mèneraient à la banalisation de la pédophilie ?

    EM : Depuis le temps des romains, la pédophilie existe, ainsi que la sexualité débridée. Mais cela n'était pas visible, on n'en parlait moins. Les choses se faisaient à couvert. Mai 68 a changé la donne en disant : "la sexualité on peut en parler, on peut la montrer".

    AB : Simone de Beauvoir a même signé un manifeste qui prônait les relations sexuelles avec des enfants... La pédohilie existe depuis toujours... on communique plus maintenant à ce propos mais ça ne veut pas dire qu'on trouve des solutions. Mais on peut au moins communiquer, dénoncer, c'est déjà pas mal, chaque chose en son temps. Maintenant, il va falloir trouver des solutions pour essayer d'éradiquer ce fléau.

    Comment avez-vous appréhendé la mise en scène pure et la technique ?

    EM : On a surtout énormément préparé, du scénario on a établi le découpage, le storyboard...

    AB : On faisait des dessins moches mais c'est pas grave... (rires) On m'a aussi un viseur de champ, j'étais trop heureuse ! (rires) Et concernant l'écriture, on a vachement bossé en ping-pong. Eric me disait "là j'ai envie d'écrire la scène sur le père", puis je disais, "moi je vais prendre la scène du chalet"... Et on écrivait chacun de notre côté. Et ce qui est marrant c'est qu'on s'envoyait des mails pour mettre en commun bien qu'on habite ensemble (rires).

    Une fois le squelette établi, les repérages effectués, on a pu travailler sur les angles de caméra ensemble, travailler les plans. On était hyper raccords sur la manière dont il fallait placer la caméra en collaboration avec le magnifique chef-opérateur Pierre Aïm. On a énormément bossé dessus en amont... on arrivait ensuite sur le plateau en avance pour pouvoir redéfinir les plans en fonction.

    EM : Pour ma part, j'avais déjà fait beaucoup de films en tant que comédien, et je ne voulais pas reproduire ce qui me dérangeait dans la façon de faire de film, comme passer 2 heures à se demander où placer la caméra.

    AB : C'est pareil pour la direction d'acteurs. Par exemple, Eric a plus dirigé Karin Viard et moi j'ai plus dirigé Pierre Deladonchamps.

    EM : Si l'un de nous n'arrivait pas à dissiper les doutes d'un comédien, l'autre pouvait prendre le relais et trouver les bons mots.

    AB : On a beaucoup discuté avec les acteurs de la psychologie de chaque personnage. On voulait aller vers la couleur de chacun d'entre eux, on ne voulait pas un film à charge. Même si le rôle de Karin est difficile car elle est dans le déni, on ne voulait pas en faire une sorte de mégère méchante. Elle ne l'est pas, elle ne comprend juste pas des choses, qui est dans le rejet... mais on ne sait pas ce qui lui est arrivée pour qu'elle réagisse de cette manière. On ne voulait pas la juger.

    Il fallait en parler mais ne pas la condamner. C'est pour ça qu'on lui fait dire à sa fille "Tu ne sais pas ce que j'ai vécu, arrête de me faire chier avec ta douleur !" Il fallait dire à nos acteurs "attention, tu ne joues pas le méchant, tu joues quelqu'un qui est déconnecté"... autant la mère que le personnage de Pierre, Gilbert. "Joue-le premier degré, ce type est vraiment amoureux de cette petite fille." C'est compliqué de ne pas jouer le salaud dans ce cas-là. C'est vraiment un acteur brillant. Il a eu beaucoup de courage d'accepter ce rôle mais c'était aussi nécessaire pour lui de le faire, il a une petite fille de 7 ou 8 ans ans et il l'a fait pour elle.

    Cette première expérience de réalisateurs vous a donné envie de poursuivre dans cette voie ?

    EM : Bien sûr, ça nous donne envie... c'est comme réussir un magnifique saut alors qu'on avait peur du plongeoir à 10 mètres. C'est pas dit que si on le refait, on ne va pas faire un plat. On va donc bosser pour ça mais évidemment, on en a envie.

    AB : Surtout vu la façon dont ça s'est passée sur Les Chatouilles... tout a été très fluide. C'était que du bonheur, vraiment. Mais on ne vas pas s'emballer, on va travailler surtout.

    EM : Mais là on a envie de goûter le plaisir de ce film, c'est 3 ans de boulot...

    AB : On a surtout envie de prendre notre camping-car, nos gamins et d'aller en vacances dans les Cévennes !

    EM : Peut-être que notre prochain film se passera dans les Cévennes... dans un camping-car ! (rires)

     

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