Le cinéma français est en deuil. Alain Delon, légende du cinéma hexagonal, s'est éteint ce dimanche 18 août à l'âge de 88 ans.
Alain Delon a eu l'insigne privilège -comme il l'a souvent lui-même rappelé- de travailler avec les plus illustres réalisateurs du cinéma, qui lui ont donné les plus grands rôles de sa carrière. La liste, véritable Who's Who du 7e art, est étourdissante. Jean-Pierre Melville, Henri Verneuil, Luchino Visconti, René Clément, Joseph Losey, Jean-Luc Godard, Pierre Granier-Deferre, Jacques Deray, José Giovanni, Georges Lautner, Terence Young, Robert Enrico, Anthony Asquith, Alain Cavalier, Valerio Zurlini, Völker Schlöndorff...
"Ce soir, c'est un peu un hommage posthume, mais de mon vivant" disait-il, très ému, alors qu'il recevait en 2019 une Palme d'or d'honneur pour saluer son immense carrière. "Maintenant, je sais que ce qui est difficile, c'est de partir. Parce que je vais partir. Mais je ne partirai pas sans vous le dire et sans vous remercier.
Et, paraît-il, je suis une star. Et si je suis une star, et c'est pour cela que je veux vous remercier, c'est au public que je le dois, et à personne d'autre. Ce ne sont pas les films qui font les stars, ce ne sont pas les metteurs en scène, ce n'est que le public qui fait les stars. Il y a beaucoup de public, et peu de stars. J'en fais partie grâce à vous".
Alain Delon et Romy Schneider, sur le tournage de "Christine", en 1958
Découvert par un "talent-scout" lors du festival de Cannes en 1957, Alain Delon se rend à Rome pour passer un essai, si convaincant qu'il se voit proposer un contrat de sept ans aux Etats-Unis. Il refuse cependant la proposition lorsqu'Yves Allégret lui offre son premier rôle à 22 ans, dans Quand la femme s'en mêle. L'année suivante, il rencontre lors du tournage de Christine la jeune star de Sissi, Romy Schneider. C'est le début d'une liaison de cinq ans sous les feux de la presse people mondiale.
Alain Delon et Mylène Demongeot sur le tournage de "Faibles femmes", en 1959
Dans "Plein soleil", en 1960
Alain Delon accède au rang de star international du cinéma en 1960 avec Plein soleil, une adaptation du roman Monsieur Ripley de Patricia Highsmith, sous la direction de René Clément.
Alain Delon face à Annie Girardot dans "Rocco et ses frères"
Extraordinaire de magnétisme dans le chef-d'oeuvre Rocco et ses frères de Luchino Visconti, en 1960. La fresque familiale et déchirante du maître repartira auréolé du Prix spécial du Jury à la Mostra de Venise.
Alain Delon et Monica Vitti dans "L'Eclipse" de Michelangelo Antonioni, en 1962
Présenté à Cannes en 1962, L'Eclipse y a décroché le Prix spécial du jury, ex aequo avec Le Procès de Jeanne d'Arc de Robert Bresson. L'Eclipse est le deuxième des cinq longs métrages dans lesquels Michelangelo Antonioni dirige son égérie Monica Vitti. Ce film est tourné deux ans après L'Avventura, et un an après La Nuit; ces trois films pouvant être considérés comme une trilogie sur le couple.
Jean Gabin et Alain Delon, inoubliables dans "Mélodie en sous-sol", en 1963
Mélodie en sous-sol, première confrontation entre Delon et le monstre sacré Jean Gabin, placée sous le signe du braquage. Henri Verneuil signe ici un grand classique du cinéma français à la fois viril et populaire, sublimé par la verve inimitable de Michel Audiard, la musique de Michel Magne, sans oublier un final devenu mythique.
Dans "La Tulipe noire" de Christian-Jaque, en 1964
En 1964, Alain Delon apparaissait dans un double rôle : celui de frères jumeaux dans un film d'aventures se déroulant aux prémices de la Révolution française : La Tulipe noire de Christian-Jaque. Officiellement, le film est adapté d'un roman éponyme signé Alexandre Dumas, mais n'en conserve que le titre.
Alain Delon et Claudia Cardinale dans "Le Guépard"
Après Rocco et ses frères, Luchino Visconti sollicite à nouveau Alain Delon pour incarner Tancrède, le neveu désargenté du prince Salina (Burt Lancaster), dans le sublime Guépard, Palme d'or au Festival de Cannes en 1963.
Le film est "une tapisserie historique d'une richesse inouïe" pour Martin Scorsese, qui vénère à juste titre ce chef-d'oeuvre. "Les paysages, les extraordinaires décors avec leurs objets méticuleusement sélectionnés, les costumes, le cérémonial et les rituels... Tout est fait pour nous faire appréhender et mesurer profondément le temps qui passe, tandis que le film entier culmine lors d'une séquence de bal durant une heure, où vous pouvez sentir, à travers les yeux du Prince Salina, tout un art de vivre en train de s'estomper et disparaître".
Face à la sublime Jane Fonda dans "Les Félins" de René Clément, en 1964
Autre couple mythique du cinéma : celui des Félins de René Clément, formé par Delon et Jane Fonda. En 2023, la comédienne, présente au Festival de Cannes, se souvenait à quel point "il était magnifique à cette époque. Il a eu une vie difficile. Mais à l’époque, il était le plus bel être humain". En revanche, le souvenir de l'actrice à propos de René Clément est nettement plus contrasté...
Alain Delon dans " La Rolls-Royce jaune", en 1965
En 1965, Alain Delon tournait sous la direction du grand metteur en scène britannique Anthony Asquith dans la comédie dramatique La Rolls-Royce jaune, où l'acteur a pour partenaires Ingrid Bergman, Rex Harrison et Shirley McLaine. Ce film est sans doute l'un des moins connus de l'acteur, mais pas forcément le moins intéressant.
Alain Delon face à Anthony Quinn dans "Les Centurions" en 1966
Film de guerre réalisé par Mark Robson, Les Centurions ne fait lui aussi pas partie des films les plus mis en avant de la filmographie de Delon. Une oeuvre intéressante, mais idéologiquement ambigüe, dont la toile de fond est la guerre d'Algérie, officiellement achevée deux ans à peine avant la sortie du film.
Alain Delon et Leslie Caron dans "Paris brûle-t-il ?", en 1966
Dans le film de René Clément, Delon n'est que l'une des pléiades de stars qui figurent à l'affiche. Il y incarne Jacques Chaban-Delmas, une des figures historiques du soulèvement et la Libération de Paris, en août 1944.
Gabin, Ventura et Delon dans "Le Clans des Siciliens", en 1969
Adapté du roman du même nom d'Auguste Le Breton, Le Clan des Siciliens a été réalisé en 1969 par Henri Verneuil. Jean Gabin interprète Vittorio Malanese, chef du clan des Siciliens ; il organise l'évasion du truand Roger Sartet (Alain Delon) pour l'aider à réaliser un audacieux hold-up. Lino Ventura complète ce casting 5 étoiles dans le costume de l'inspecteur Le Goff.
Romy Schneider et Alain Delon dans "La Piscine" de Jacques Deray, en 1969
Huis clos étouffant sorti en 1969, La Piscine, porté par la musique de Michel Legrand, est assurément l'un des films les plus troublants de la filmographie de Delon, pour son sujet et son traitement. Mais également pour la sensualité qui se dégage du couple qu'il forme avec Romy Schneider. Ce film relança d'ailleurs la carrière de l'actrice, qu'elle avait mise entre parenthèses. Et fut aussi le premier film français de Jane Birkin, fraîchement débarquée de sa Grande-Bretagne natale.
Alain Delon, éternel Samouraï pour Jean-Pierre Melville
" Il n'y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï. Si ce n'est celle d'un tigre dans la jungle..." Tiré du livre du Bushido, cette citation ouvre le chef-d'oeuvre de Melville. Ce fauve traqué, racé, élégant, toujours sur le qui-vive, a les traits d'Alain Delon, qui trouve ici un de ses plus grands rôles, incarnant sans doute la quintessence du tueur à gages.
Le Samouraï est une référence pour de nombreux cinéastes, parmi lesquels John Woo et son compatriote Johnnie To, Jim Jarmusch, Martin Scorsese, Quentin Tarantino, Joel Coen, Michael Mann, pour n'en citer qu'une poignée. Toutefois, si ces cinéastes n'hésitent pas à reprendre les motifs du film de Melville, ceux-ci recourent néanmoins à des principes de mise en scène radicalement opposés. Le style de Melville étant à l'inverse une ode à l'épure semblable aux estampes japonaises. Admirable.
Alain Delon dans "Le cercle rouge"
Alain Delon. Yves Montand. (André) Bourvil dans l'un de ses derniers rôles. Gian Maria Volonte. Ce qui frappe, au premier abord, c'est le casting de ce Cercle rouge. L'un des plus impressionnants de l'Histoire du cinéma français, pour sa qualité plus que sa quantité. Des acteurs qui, pour ne rien gâcher, sont ici dirigés par Jean-Pierre Melville.
Au sommet après avoir enchaîné Le Deuxième souffle, Le Samouraï et L'Armée des ombres, le réalisateur ajoute un nouveau diamant, très noir, à sa filmographie avec ce jeu du chat et de la souris entre un commissaire et un trio de gangsters sur le point de commettre le casse du siècle. Des gangsters magnifiques, frappés, quoi qu'il advienne, par le sceau de la fatalité.
Alain Delon et Jean-Paul Belmondo dans "Borsalino" (1970)
Sorti en salles en 1970, le long métrage Borsalino, mis en scène par Jacques Deray, plonge les spectateurs dans le Marseille des années folles, entre grandeur et décadence, aux côtés de François Capella (Jean-Paul Belmondo) et Roch Siffredi (Alain Delon), deux truands du milieu. Porté par ses deux stars au sommet de leur popularité, le film fut un énorme succès public avec plus de 4,7 millions de spectateurs. Il se verra gratifié d'une suite quatre ans plus tard, toujours mise en scène par le même réalisateur, Borsalino & Co.
Alain Delon dans "L'assassinat de Trotsky" (1971)
Sous la houlette du grand Joseph Losey, Alain Delon devient l'homme qui assassina l'ex leader de la Révolution bolchévique, Leon Trotsky, envoyé à la demande de Staline au Mexique en 1940 pour se débarrasser de lui. Un solide film, dans lequel l'acteur est épaulé par Richard Burton incarnant Trotsky, et Romy Schneider.
Ursula Andress et Alain Delon dans "Soleil rouge" (1971)
Curieux western signé Terence Young, doté d'un casting hétéroclite au milieu duquel on y trouve Toshiro Mifune, Soleil rouge donne l'occasion à Alain Delon de jouer le rôle d'un méchant, s'opposant à un Charles Bronson échappé peu de temps auparavant d'Il était une fois dans l'Ouest.
Delon face à Simone Signoret dans "La veuve Couderc" (1971)
Face à une Simone Signoret impériale, Alain Delon se révèle magistral devant la caméra de Pierre Granier-Deferre, qui adapte une oeuvre de George Simenon. L'acteur y incarne un homme venant de purger une peine de prison pour meurtre. Désormais libre et sans attache, il trouve refuge sous le toit d'une vieille paysanne, la veuve Couderc, dit "Tati", qui vit dans une ferme et qu'il a croisée dans un bus de campagne.
Travaillant pour elle, il entretient aussi une relation purement sexuelle. Cette vie calme et sans passion est troublée par la rencontre avec une jeune voisine très séduisante, Félicie (Ottavia Piccolo), qui provoque le désir de Jean et la jalousie de Tati...
Alain Delon dans "Le Professeur" de Valerio Zurlini (1972)
Auteur de beaux films méconnus en France à l'époque dans lesquels il avait dirigé Jacques Perrin, le cinéaste italien Valerio Zurlini a convaincu Alain Delon d'être la tête d'affiche d'un grand film, Le Professeur, réalisé en 1972. L'acteur y incarne un instituteur à la vie dissolue trompant sa femme, avant d'entretenir une liaison avec une élève. Le réalisateur connaîtra la renommée internationale quatre ans plus tard avec un pur chef-d'oeuvre, Le Désert des Tartares.
Retrouvailles de Gabin et Delon dans "Deux hommes dans la ville" (1973)
Septième long métrage de José Giovanni et produit par Alain Delon, Deux hommes dans la ville offre un magnifique et puissant face-à-face entre une légende du cinéma, Jean Gabin, et Alain Delon, dans le rôle du truand Gino Strabliggi, toujours prêt à replonger malgré lui dans ses vieux démons, poussé en ce sens par un Michel Bouquet génialement toxique, qui se glisse dans la peau du flic persécuteur ...
Baigné par une splendide partition signée Philippe Sarde et une superbe photo du chef opérateur Jean-Jacques Tarbès, Deux hommes dans la ville est un film extraordinaire. Plus que sur la peine de mort elle-même, le film est avant tout un réquisitoire implacable sur la machine judiciaire broyant les individus, dont la puissance du propos n'a rien perdu de sa force, bien au contraire.
Alain Delon, admirable dans "Monsieur Klein" (1976)
Il est tout à fait étonnant que cette oeuvre admirable qu'est Monsieur Klein, probablement le plus grand film français consacré à la période noire de la France de Vichy, soit réalisée par un américain. En l'occurrence Joseph Losey. Evoquant la Rafle du Vel d'Hiv, organisée les 16 et 17 juillet 1942 par la Police française, le film est une oeuvre politique très engagée et kafkaïenne, révélant la machine destructrice d'une administration broyant les êtres.
Porté à bout de bras par Alain Delon, puisqu'il en était aussi le producteur, le film fut un gros échec en salle. Qui fut très douloureux pour l'acteur - producteur, qui ne reçevra d'ailleurs aucun prix, pas même à Cannes. Une cruelle injustice, que le temps s'est heureusement chargé de réparer : Monsieur Klein est l'un des plus grands rôles de Delon.
Alain Delon face à Klaus Kinsi dans "Mort d'un pourri" (1977)
Lorsque Mort d'un pourri sort en salles en 1977, Alain Delon est au sommet d'une gloire bâtie grâce à des rôles de policiers et de gangsters (Flic story, Le Gang, Deux hommes dans la ville, Borsalino). Paradoxalement, le film est une parenthèse pour le comédien, puisqu'il n'y incarne pas le type de personnage qui a fait son succès (et qui continuera à faire son succès), mais un homme tout à fait normal s'immisçant dans les méandres d'une magouille politique.
Avec Mireille Darc dans "L'homme pressé" d'Edouard Molinaro (1976)
Alain Delon forma avec Mireille Darc un des couples mythiques du cinéma. Il rencontra la comédienne sur le tournage de Jeff, le film de Jean Herman. Ils vivront ensemble de 1968 à 1983. L'acteur restera toujours proche de son ex compagne, et sera dévasté par le chagrin en août 2017, au décès de Mirelle Darc, à l'âge de 79 ans.
Alain Delon dans "Le Gang" (1977)
Dans Le Gang mis en scène par Jacques Deray en 1977, Alain Delon, perruque obsédante sur la tête, incarne le criminel Robert dit "le dingue", chef du fameux gang des Tractions avant, dans l'immédiate après-guerre.
Alain Delon, alias "Le Toubib" (1979)
En 1979, Alain Delon incarne un chirurgien prestigieux et brisé par la vie dans le (futuriste mais pas trop) Toubib, où il a pour partenaire une jeune Véronique Jannot. Un film curieux, réalisé par le vétéran Pierre Granier-Deferre.
Alain Delon dans "Un amour de Swann" (1984)
Chez Völker Schlondorff, Alain Delon incarne le baron de Charlus dans le superbe Un Amour de Swann, où il donne la réplique à un impeccable Jeremy Irons.
Alain Delon dans "Notre histoire" (1984)
Malgré les prestigieuses collaborations et de grands films, Alain Delon n'a jamais remporté de César. Il attendra 1985 pour recevoir son unique César du Meilleur acteur, dans le drame Notre histoire de Bertrand Blier, où il incarne un homme désabusé s'installant dans la vie du personnage incarné par Nathalie Baye. Delon retrouvera Blier des années plus tard pour une apparition dans Les Acteurs.
Dans la peau de Jules César pour "Astérix aux Jeux Olympiques" (2008)
Après une incursion à la télévision dans les séries policières Fabio Montale et Frank Riva, il fait son grand retour au cinéma en 2008 en Jules César dans Astérix aux Jeux Olympiques. À l'exception du téléfilm Un mari de trop (2010) avec Lorie Pester et de Toute ressemblance... (2018) de Michel Denisot, où il joue son propre rôle, Alain Delon délaisse les écrans et se consacre davantage au théâtre à partir des années 2010. Alors qu'il annonce en 2018 tourner son dernier film (La Maison vide) sous la direction de Patrice Leconte, le projet ne voit jamais le jour, en raison de problèmes de santé.