Le second film de Bertrand Bonello, Le Pornographe, avait été présenté à la "Semaine de la critique" à Cannes et au Festival du cinéma au féminin d'Arcachon. Il décrit la vie d'un réalisateur de films pornographiques interprété par Jean-Pierre Léaud. AlloCiné a rencontré le réalisateur qui revient sur la genèse du projet et le choix de ses comédiens.
AlloCiné : Quelle a été l'idée de départ pour réaliser "Le Pornographe" ?
Bertrand Bonello : Il n'y a pas eu un moment précis. C'est une série de questions que j'avais couchée sur le papier et qui n'était pas forcément destinée à devenir un film. Il s'agissait de questions personnelles, de questions sur le cinéma, la pornographie, la filiation... Petit à petit je les ai rassemblées pour en faire un récit. Mais il n'y a pas vraiment eu de point de départ.
Pourquoi avoir choisi Jean-Pierre Léaud pour incarner le réalisateur de films pornographiques ?
C'est un acteur unique. Dès qu'il rentre dans le cadre,tout devient vraiment du pur cinéma. C'est le plusgrand acteur français. Certains mots dits aux jeunes actrices et à la journaliste sont crus. Mais je savais que, s'il les prononçait, ce serait humain, touchant, poétique. Il n'y avait que lui qui pourrait faire ça.
Avez-vous été intimidé ?
Je n'en ai pas vraiment eu le temps. C'est plus au montage que j'y ai pensé. Sur le plateau, on pense simplement à finir le plan.
Avez-vous hésité avant d'inclure des scènes pornographiques dans le film ?
Que ce soit à l'écriture, lors de la préparation, au tournage ou au montage, cela m'a toujours semblé évident. Je n'ai pas réfléchi. Je n'ai jamais vu cela comme quelque chose d'extraordinaire. Je les ai juste enlevées à un momentpour des raisons de financement, et là j'ai vu que celane marchait pas du tout : ça m'a semblé une évidence deles inclure. Je pense qu'on avait besoin de ça pourcomprendre le personnage interprété par Jean-Pierre Léaud. C'est son quotidien, il y est confronté toute la journée. Sion fait disparaître cela, c'est une partie de lui quidisparaît.
Comment avez-vous choisi Ovidie ?
J'avais cherché à l'étranger, pour des raisons de coproductions, des actrices de X. J'ai rencontré pas mal de filles mais elles ne me satisfaisaient pas. En arrivant en France, j'ai appelé des gens qui m'ont donné le numéro de téléphone d'Ovidie. Je l'ai rencontrée. Il y avait deux choses qui me plaisaient chez elle : elle est extrêmentlucide par rapport à son métier, cela me rassure. J'avais besoin d'être entouré de gens solides. La deuxième chose : son visage. Elle a un visage extrêmement cinématographique.
Après un long passage silencieux, il y a un long monologue de Jean-Pierre Léaud avec une journaliste. Le texte était-il très écrit ou avez-vous laissé place à l'improvisation ?
Il a été écrit à la virgule près. Jean-Pierre est très attaché aux mots. Il est contre l'improvisation. Il ne veut pas changer un adjectif et est très repectueux du texte. Il a mis deux mois à ce qu'il devienne sien.
Dans ce dialogue, le réalisateur explique que la pornographie a été un choix politique. Immédiatement on pense à son fils qui essaie de militer à sa façon. Comment avez vous pensé la relation père-fils ?
Elle tourne autour du mensonge. Juste avant de tourner,j'étais tombé sur une phrase de Pasolini : "L'Histoire, c'est la passion des fils qui voudraient comprendre les pères". C'est comme ça que la relation dans le film fonctionne. C'est comme ça aussi, je pense, que l'histoire du monde fonctionne. Qu'est-ce qui peut se passer pour un fils quand un père a vécu les années libertaires de la fin des années soixante. Comment peut-il exister aujourd'hui ?
J'ai traité la pornographique d'un point de vuepolitique et non pas sexuel. En 1968, il y avait un trop-plein de parole ; trente ans après, pour exister de nouveau,les gens se posent des questions. Le fils incarné par Jérémie Renier, envisage la solution de "plus de paroles". La relation fontionne aussi sur : "Pour vous les pères tout était possible. Pour nous, les fils, c'est plus difficile". A un moment Joseph dit à son père : "Quand vous alliez dans la rue c'était la fête. Pour nous c'est la défaite, on descend pour des choses pas très glorieuses à demander".
Jacques (Jean-Pierre Léaud) construit tout seul une maison...
La maison c'est quelque chose de fondamental pourl'Homme, pour qu'il ait une appartenantce. Un hommeest attaché à son territoire, à son pays. Jacques ne sait plus trop où il en est : "je vais faire un carré, ce sera ma maison". C'est quelqu'un en pleine reconstruction.
Propos recueillis par M-C.H.