Après la mort du commandant Massoud, le chef des résistants afghans contre les Talibans, le cinéma des Trois Luxembourg a décidé de reprogrammer, avec succès, le documentaire Massoud l'Afghan de Christophe de Ponfilly. AlloCiné a rencontré le réalisateur, qui revient sur ce personnage historique, sur la ressortie de son film et sur son travail de documentariste.
AlloCiné : Comment avez-vous préparé la ressortie de votre documentaire "Massoud l'Afghan" ?
Christophe de Ponfilly : Il y a très peu d'annonces publicitaires, je n'ai pas encore été invité dans des émissions pour en parler, c'est la première fois avec vous. Il y a juste eu des annonces dans l'Officiel du Spectacle et le Pariscope avec le titre "Portrait d'un résistant, Massoud l'Afghan, celui que l'Occident n'a pas su écouter et n'a pas voulu aider, mort pour la liberté".
Non seulement les gens viennent voir le film, mais ils en ressortent habités de trois sentiments : l'amour de ce pays qu'ils viennent de découvrir avec sa grande beauté, et puis une immense tristesse devant tout ce qui a été perdu, gâché, le combat de cet homme qui n'a pas été entendu et qui est mort maintenant... Et enfin une colère, justement à cause de ce manque d'écoute du monde politique, du monde des médias, cette espèce de folie dans laquelle on est.
Finalement on n'arrive plus à discerner l'essentiel, ce qui touche aux êtres et qui est important pour tout le monde. Moi, je suis sidéré que dix millions de personnes aient regardé Loft Story. Je ne veux pas dire que tous les gens qui ont regardé Loft Story n'ont pas été lire un très bon livre après, mais je pense quand même qu'il y a beaucoup de gens qui ne regardent plus que ce type d'émission. Le jour où il y a un événement dans le monde qui vient percuter directement leur réalité, qui peut s'introduire dans leur existence ou la transformer, ils sont complètement abasourdis parce qu'ils ne comprennent pas.
Pourtant les films documentaires permettent ce regard sur le monde, permettent cette compréhension, ce décodage de la réalité qui nous concerne tous. Et c'est dommage qu'il y ait une faillite de la programmation de films documentaires. Il y a des films de qualité encore en France et en Angleterre, mais ils sont diffusés à minuit...
D'où vous vient cette passion pour l'Afghanistan : cela fait vingt ans que vous y allez régulièrement?
Il y a plus de mille Français qui sont allés clandestinement en Afghanistan dès les années quatre-vingt et qui ont investi des tas de domaines réservés : espionnage, lobbys politiques... Moi, j'ai fait du journalisme alors je ne l'étais pas.
Ce pays, je l'ai d'abord aimé par la lecture et ensuite par des photos. La lecture c'est Les Cavaliers de Jospeh Kessel. J'avais rêvé avec Les Cavaliers, et je m'étais dit qu'un peuple qui avait inspiré un écrivain comme Kessel, qui lui avait donné tant de ferveur pour raconter le courage et la dimension extraordinaire des personnages d'Afghanistan, ce devait être un peuple d'un intérêt fou et qui allait certainement tenir tête à l'armée soviétique, alors qu'aucun des spécialistes de l'URSS de cette époque ne donnait de chance aux paysans afghans contre l'Armée rouge.
La deuxième chose qui m'a attiré, ce sont les magnifiques photos de Roland et Sabrina Michaux. Ces photos sont de toute beauté parce que l'Afhganistan est un pays magnifique. J'ai donc aussi rêvé avec ces photos. Et puis avec un ami, on avait vu au début de l'année 1981 des réfugiés afghans qui arrivaient à Paris et qui racontaient les bombardements sur leurs villages. On s'est dit qu'avec nos petites caméras Super 8 on allait pouvoir témoigner.
Pouvez-vous décrire ce pays ? Comment pourriez vous le résumer ?
En voulant le résumer, on fait des erreurs. On peut annoncer dès le départ que c'est un pays d'une grande complexité parce que c'est un pays d'une grande richesse. Après, on ne peut pas simplifier. C'est pour cela qu'aujourd'hui, je suis souvent en colère parce qu'il y a beaucoup de journalistes qui découvrent le sujet, qui n'ont pas le temps de l'approfondir parce qu'il y a cette actualité immédiate à couvrir, et qui véhiculent beaucoup d'erreurs. Par exemple, j'ai entendu que l'Afghanistan était peuplé de trois ethnies alors qu'il y en a plus de quinze...
Il y a une multitude de groupes qui ont des langues, des coutumes, des cultures différentes, et qui vivaient les uns à côté des autres. Mais il y aussi des mélanges. Sinon il y a deux tendances religieuses : 90% sunnites, mais il y a aussi des chiites. J'ai également rencontré là-bas beaucoup de gens qui pensaient que la terre était plate, des paysans qui n'avaient aucune idée du monde moderne dans lequel nous vivons. Le pays est bouleversé parce que la guerre dure depuis vingt-deux ans, depuis le coup d'état d'avril 1978. La violence a été semée sur ce pays qui est maintenant complètement déstructuré.
Vous connaissiez le commandant Massoud. Quel est votre sentiment aujourd'hui qu'il est mort assassiné ?
Enormément de tristesse, c'était un homme qui avait une grande simplicité et une grande force, une vraie beauté intérieure. Les gens qui se sont battus avec lui sont tous des gens qui l'ont aimé : c'était sa plus grande force. Il voulait être architecte, la guerre en a décidé autrement et il s'est révélé un stratège extraordinaire. Massoud a asséné des coups terribles à l'armée soviétique considérée comme l'une des plus puissantes du monde. Les Russes le respectaient tout en le combattant. Il avait aussi acquis une force, grâce à son expérience et après avoir fait des erreurs.
Vous parlez de solitude à propos de votre travail...
Je pense que lorsque l'on fait des films documentaires et que l'on passe du temps à filmer sans être au sein d'une rédaction, on est très seul. On y passe du temps et on est seul à batailler pour les faire diffuser.
J'avais fait huit films sur l'Afghanistan. En 1997, Thierry Garel sur Arte m'a incité à parler à la première personne, pour assumer pleinement ma subjectivité. De toutes façons, l'objectivité en matière de cinéma c'est impossible : l'angle est déjà subjectif, le montage c'est la subjectivité absolue. Mais parfois c'est par une succession de mensonges qu'on arrive à restituer la vérité.
Cette soltitude, je ne l'ai pas éprouvée dans la salle des Trois Luxembourg (où est diffusé le documentaire). En voyant des gens bouleversés, je retrouve un sens à mon métier. Qu'un film puisse faire exister un petit fil qui nous lie les uns aux autres, cette transmission de l'information me redonne foi en mon métier. Je reçois plein de témoignages de spectateurs qui disent "d'habitude on subit des info, là on les a vécues". L'alchimie s'est produite.
Allez-vous retourner en Afghanistan ?
J'ai un projet de long métrage, un film de fiction. J'attends la paix pour le tourner en Afghanistan. J'ai confiance : c'est un peuple fort.
Propos recueillis par F.F. - Retranscription : A.C.