AlloCiné : comment est née votre trilogie ?
Lucas Belvaux : Le projet est né de mon premier film (Parfois trop d'amour) qui était un road movie avec trois personnages, deux garçons et une fille, pendant 24 heures. Ils rencontraient d'autres personnages : un groupe de personnes âgées, un cycliste solitaire. En tournant, j'ai remarqué que finalement j'aurais pu faire un film sur les 24 heures du groupe de petits vieux ou sur les 24 heures du cycliste. Les trois films se seraient croisés ; les personnages principaux de Parfois trop d'amour seraient devenus les personnages secondaires des deux autres films. Cette idée m'est restée en tête.
Quel est le sujet de vos trois films ?
Chaque film est basé sur l'histoire d'un couple. Un couple épatant avec Ornella Mutti et François Morel est une comédie paranoïaque. Lui ment à sa femme pour éviter qu'elle ait du souci et elle s'en rend compte donc se fait encore plus de souci. Ensuite, une série de quiproquos vont prendre d'énormes proportions. Le deuxième film est l'histoire d'une cavale. J'y incarne un ancien activiste d'un groupe d'extrême gauche qui s'évade de prison. Quand il sort de prison, il se rend compte qu'il est seul. Il est poursuivi à la fois par la police et le milieu. Son seul soutien est une ancienne compagnon de route incarnée par Catherine Frot. Après la vie raconte l'histoire d'une prof morphinomane (Dominique Blanc) qui se pique tous les soirs. Elle vit avec un policier qui la fournit en morphine pour ne pas qu'elle achète de la drogue de mauvaise qualité. Un jour, on va lui couper le robinet et le couple va exploser. Toutes les histoires se croisent : c'est cela qui est rigolo.
Comment avez-vous choisi les comédiens ?
Le choix s'est fait de façon relativement classique. Un casting, c'est toujours la confrontation entre les rêves du réalisateur et la réalité. Moi j'écris toujours en pensant à des acteurs. Il peut même s'agir d'acteurs morts. J'ai besoin d'un visage ou d'un corps pour incarner les personnages que j'écris. Après, il y a des acteurs vivants qui n'ont pas envie de faire le film ou qui ne sont pas libres. Le personnage que je joue n'a pas été écrit pour moi : cela a changé plusieurs fois. Par contre, le personnage d'Ornella Mutti a été écrit pour elle. J'avais envie de retravailler avec elle après Pour rire !
Quels sont les principales difficultés liées à ce projet dont le tournage dure 23 semaines ?
Une trilogie, c'est plus long, plus fatiguant et surtout plus difficile à financer. Cela a aussi été très long à écrire. Mais une fois qu'on est dedans, c'est trois fois plus exaltant. Fondamentalement, ce n'est pas très différent. Il y a juste les ponts d'un film à l'autre qui demandent une certaine gymnastique. Il y a également le fait que ce soit trois films de genres différents.
Cela pose-t-il des difficultés aux comédiens ?
Je ne leur demande pas de passer d'un genre à l'autre. J'expérimente une idée un peu théorique : le passage de la comédie au thriller ou au mélodrame ne se fait pas tellement par la mise en scène ou le jeu des comédiens mais dans la réalisation, dans la façon dont les choses sont filmées. Les comédiens jouent les scènes communes aux trois films de la même façon.
Et pour vous, n'est-ce pas trop dur d'être à la fois devant et derrière la caméra ?
C'est assez difficile mais je n'étais pas censé jouer dans les films. Trois semaines avant le tournage un acteur ne pouvait plus le faire. C'est très exaltant mais beaucoup plus fatigant.
Quels ont été vos sources d'inspiration ? Les films de Resnais, de Kieslowski, l'expérience de Laurent Bouhnik (Madeleine 1999, Eve 2000) ?
J'ai vu Smoking et No smoking d'Alain Resnais, les Kieslowski mais pas les Bouhnik ; ils ne sont d'ailleurs pas encore finis. Smoking et No smoking étaient assez proches formellement l'un de l'autre alors que moi j'essaie de faire des choses différentes par nature. Quant à Kieslowski, je me sens plus proche du Décalogue que de Bleu, Blanc et Rouge. C'est surtout la littérature qui m'a inspiré : Le Quatuor d'Alexandrie de Lawrence Durrell ou La Comédie humaine de Balzac où l'on trouve des personnages qui passent d'un roman à l'autre. Mais grâce au cinéma je peux également m'amuser à faire des films de genre complètement différents.
Comment envisagez-vous la sortie de vos trois films ?
Il faut garder l'idée de feuilleton avec une sortie un peu décalée. Avec Michel Saint-Jean, le distributeur (patron de Diaphana) nous avons imaginé une sortie sur une semaine. Un Couple épatant sortirait le mercredi, Cavale le vendredi et Après la vie le dimanche. Les décaler permettrait d'induire un ordre de vision. Mais nous sommes encore en train de réfléchir. Nous n'aurons la réponse que lorsque nous verrons les films. Cela fait déjà un an que nous réfléchissons à la sortie des films !
M-C.H.