Les Français ont choisi Alfred Hitchcock comme le cinéaste du siècle. Dans le sondage CSA-Le Parisien-La Cinquième paru mardi 28 décembre, le débonnaire maître du suspense a récolté 33% des voix, devançant de justesse un autre mastodonte de la réalisation, Steven Spielberg (32%), et le féerique Walt Disney (31%). Le cinéaste de la Nouvelle Vague et des Quatre cent coups, François Truffaut arrive en quatrième position (19%), suivi de Francis Ford Coppola, Marcel Carné et Henri Verneuil (13% chacun), de l'onirique Frederico Fellini (12%) , de Jean Renoir (9%) et John Ford (4%).
Eternel Alfred
Alfred Hitchcock aurait eu cent ans cette année. Cinéaste marquant avec cinquante-quatre films à son actif, il est rentré dans la conscience collective des spectateurs comme étant le maître ès suspense. La référence absolue des sueurs froides.
Né le 13 août 1899 dans à Leytonstone, dans le comté d'Essex (Angleterre), le jeune Alfred connaît une enfance solitaire, loin des camaraderies et jeux de son âge. Introverti, il entre au collège des Jésuites, où il subit les brimades corporelles de ces "gens diaboliques" (dixit l'intéressé). Il entre dans le monde du cinéma, en étant tour à tour dessinateur de sous-titres pour films muets, assistant réalisateur, adaptateur, dialoguiste et même décorateur. C'est en 1925 qu'il tourne son premier film, The Pleasure Garden. Film qui a connu un tournage mouvementé.
L'année suivante, il épouse, vierge, l'amour de sa vie, Alma Reville et réalise The Lodger, histoire inspirée de Jack L'Eventreur. Film muet qui contient tous les ingrédients qui feront son fonds de commerce : une femme, un méchant, un brave type suspecté, et une fin heureuse.
Commence dès lors l'ascension magistrale et prolifique de ce disciple de Conan Doyle. Jusqu'en 1939, il connaît les succès (L'Homme qui en savait trop (1934), Les trente-neuf marches (1935) et Une Femme disparaît (1938)), mais aussi les échecs (A l'Est de Shanghaï ou Le Chant du Danube).
1939 est la date où il met fin à sa période anglaise, riche de 26 films en 17 ans. Il s'exile outre-Atlantique à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Ce qui suscita, à l'époque, pas mal d'interrogations sur cette dérobade à "l'anglaise".
La Corde des frissons
Alfred Hitchcock connaît son apogée dans les années cinquante, avec l'exploration de ses thèmes de prédilection : l'innocence accusée, le crime, le péché... Il donne les frissons aux spectateurs en utilisant le MacGuffin, concept révolutionnaire qui devient un style à part. Utilisé pour justifier l'histoire, l'élément apparaît vite comme secondaire et sans grande importance. Dans Psychose, le thème est une sombre histoire d'argent qui s'évapore assez rapidement.
La poursuite demeure aussi l'un des éléments moteurs de ses films. Sans poursuite, point de films. Le suspense est lancé. Dans La Mort aux Trousses, Cary Grant symbolise cette folie, cette fuite en avant.
Il devient le roi incontesté de la peur et du glamour. Alfred Hitchcock aime les femmes. Les blondes en particulier. Il noue des relations ambiguës avec les stars féminines. Relations faites de mépris ( "Je hais les actrices", "Du bétail" a-t-il déclaré un jour). Tout le monde se rappelle de cette réplique cinglante, le jour où Kim Novak (Sueurs froides, Vertigo) lui demanda qu'elle était son meilleur profil, et qu'il rétorqua, sévèrement, qu'elle était assise dessus. Mais, relations aussi faites d'admirations, voire de fascinations. Comme celles qu'il éprouvait, secrètement, pour Grace Kelly, la future Princesse de Monaco. Elle fut son égérie, tournant plusieurs films célèbres comme Fenêtre sur cour, Le Crime était presque parfait ou La Main au collet.
A la fin des années cinquante, le réalisateur tourne moins, mais signe quelques chefs d'oeuvre comme Sueurs Froides, La Mort aux trousses, Psychose et sa mythique scène du meurtre sous la douche, ou Les Oiseaux. Il travaille pour la télévision avec sa série Alfred Hitchcock Presents, dont il dirige plus de cent histoires. Mais des ennuis cardiaques l'éloignent des plateaux de tournage. Il termine péniblement Complot de Famille en 1976. Annonce quand même sa prochaine réalisation, Nuit Brève qui devait réunir Sean Connery et Liv Ullmann. Mais, Sir Hitchcock n'a pas le temps de le mettre sur rail qu'il meurt le 29 avril 1980.
Le suspense est tombé. Souvent imité, jamais égalé, Hitchcock demeure la référence. Chapeau bas, Sir. L.B