Cruel conte ayant pour toile de fond un royaume de France ravagé par la peste noire en 1348, mais aussi par la guerre de Cent ans laissant un pays exsangue, A Plague Tale : Innocence suivait la douloureuse destinée d'un duo d'enfants issus de la noblesse. Amicia de Rune, 15 ans, et son jeune frère chétif Hugo, 5 ans, qui souffrait d'un mal étrange, baptisé Macula.
Jetés sur les routes d'un royaume à feu et à sang suite à un tragique incident, poursuivis par l'impitoyable Inquisition, les deux enfants désormais livrés à eux-mêmes ne devaient plus compter que sur leur débrouillardise et leur ingéniosité - qui est le coeur du gameplay du titre - pour survivre. L'innocence de l'enfance donc, confrontée à un monde sans égard, où les destins s'écrivent plus volontiers à coups de haches, de faux miracles et de Saintes écritures.
Sorti en mai 2019 et développé par le talentueux studio bordelais Asobo, ancré qui plus est dans une période historique rarement convoquée dans ce type de jeu, A Plague Tale - Innocence fut un succès critique et l'une des plus belles surprises vidéoludiques de l'année, avec un million d'exemplaires vendus au bout d'un an. Un gros coup de coeur. Et une future adaptation en série, sous les auspices de Mathieu Turi, en guise de supplément. De quoi évidemment réjouir l'équipe d'Asobo, qui signait là son premier jeu du genre, et valider une suite, dont la fin du premier volet laissait peu de place au doute.
Sur le papier, évidemment, les questions fusent et la tentation est grande : une suite doit-elle fatalement obéir à la logique du "plus" ? Des environnements plus vastes, plus d'interactions, une aventures plus longue, une mise en scène forcément plus spectaculaire...
A ces interrogations, Asobo répond par l'affirmative. Mais l'exercice se révèle encore une fois assez brillant, d'une grande cohérence. Et s'il n'est évidemment pas exempt de défauts, il parvient sans peine à sublimer une recette éprouvée il y a déjà trois ans.
A ce stade, autant prévenir les éventuels nouveaux arrivants : s'il est éventuellement possible d'apprécier A Plague Tale - Requiem sans avoir joué au premier volet, son impact sera très amoindri pour qui n'a pas suivi le récit du premier jeu, dans la mesure où les arcs narratifs sont tout à fait complémentaires et liés. On vous encourage donc très fortement à faire A Plague Tale - Innocence avant.
Du soleil, des épices, et des rats
Se déroulant six mois après les événements du premier jeu, qui se situait dans la province médiévale de la Guyenne (correspondant à la région de Bordeaux), A Plague Tale - Requiem emmène Amicia et Hugo sur les terres de Provence.
Plus déterminée et confiante que jamais, Amicia se lance dans une quête afin de trouver un remède au mal qui ronge son petit frère. Mais lorsque les pouvoirs d'Hugo ressurgissent, la mort et la désolation refont surface, tandis que les hordes de rats déferlent à nouveau pour engloutir une contrée jusque-là idyllique et à peu près épargnée par les ravages de la guerre.
Porté par une extraordinaire direction artistique qui pouvait largement tenir la dragée haute à des productions aux budgets vingt fois supérieurs, le premier jeu s'illustrait entre autre qualités, par son univers incroyablement immersif.
Un univers d'autant plus saisissant qu'il donnait toujours l'impression d'être très organique dans son approche. Pour un peu, on pouvait presque sentir l'atmosphère viciée et empoisonnée des lieux que les deux enfants traversaient dans leur malheureux périple.
Plague Tale - Requiem opère un changement de décor en embrassant les couleurs et la lumière chatoyante de la Provence. L'écrin visuel est, là aussi, absolument sublime. Des ocres du Lubéron en passant par les étales de marché, les champs de lavandes et ses oliviers centenaires, le littoral fouetté par une mer démontée...
C'est un paysage de carte postale et la meilleure carte de visite de l'office de tourisme régional qui se déploie en majesté. Chaque pierre, chaque brin d'herbe, chaque muret ou contrefort déjà en ruine donne l'impression d'avoir été posé ça et là avec toute la rigueur d'un moine copiste.
Le contraste et festin visuel est d'autant plus fort qu'Amicia et Hugo sont bien entendu amenés, à de nombreuses reprises, à traverser des environnements sous la surface particulièrement ignobles, entre amoncellements de cadavres en décomposition, et nuées de rats grouillants, qui ne demandent qu'à les engloutir.
En parlant de rats d'ailleurs, leur impact visuel est très nettement un cran au-dessus du précédent jeu. De 5000 specimens, le studio en fait désormais apparaître 300 000. Plus intelligents et conscients de leur environnement, évitant plus efficacement la lumière et pouvant même escalader certaines surfaces, les rats sont derrière quelques séquences très spectaculaires du jeu, à l'aspect aussi très "unchartedesque". Nous n'en dirons plus pour ne pas vous gâcher le plaisir de leurs découvertes. On espère juste que vous n'êtes pas atteints de musophobie...
Fragile, mais pas sans défense
Par contraste avec le premier jeu, où les personnages fuyaient logiquement la confrontation, Amicia développe dans Requiem de nouveaux atouts capables de tuer en un coup ses ennemis : les pousser dans le feu, les tuer à l'aide d'une arbalète, un coup de couteau, etc... Pas question non plus d'en faire une machine à tuer. Si elle est ingénieuse, elle reste vulnérable. Et cela se vérifiera à des moments précis dans le récit, un poil stressants, mais tout à fait gérables.
Dans tous les cas, A Plague Tale - Requiem est un jeu qui se déguste, et il n'est pas question de foncer tête baissée dans le tas. D'autant que l'I.A. des ennemis n'a pas fait une grosse progression depuis le précédent jeu. On fermera aussi les yeux sur des options assez incongrues dans le jeu.
En dehors de trois modes de difficulté pour l'aventure, il est également possible d'enclencher un mode invincible. Assez mal venu, dans la mesure où il existe déjà un mode (vraiment très) facile privilégiant largement le récit. Mais transforme l'aventure en promenade de santé.
Porté à bout de bras par un fantastique doublage des deux personnages, bercé par une sublime partition du compositeur Olivier Derivière, qui sait se faire élégiaque et poignante, le récit se déploie sur 17 chapitres, pour une vingtaine d'heures de jeu, en prenant son temps.
Un récit à l'écriture ciselée malgré quelques petites faiblesses parfois, d'une grande noirceur, fait de violences et d'épreuves morales, redistribuant régulièrement les cartes de l'émotion, où les rôles entre le frère et la soeur sont plus d'une fois inversés. Jusqu'à culminer sur un dénouement assez sidérant, porteur d'une charge émotive à fendre les pierres en deux. Magistral.