Est-ce le succès mondial de À couteaux tirés (311,6 millions de dollars de recettes pour un budget de 40, et une nomination pour l'Oscar du Meilleur Scénario Original) ? La conséquence du revival initié par Kenneth Branagh avec Le Crime de l'Orient-Express puis Mort sur le Nil ? Un simple hasard ? Toujours est-il que le whodunit, sous-genre policier dans lequel l'enjeu est de démasquer le coupable d'un crime qui se trouve parmi les personnages, connaît une nouvelle jeunesse sur petit et grand écran.
Et Coup de théâtre est en à la fois le dernier exemple en date, et l'un des plus emblématiques. Car non content de permettre à Sam Rockwell et Saoirse Ronan d'enquêter sur un meurtre, cette comédie policière rend un bel hommage à la reine du whodunit, Agatha Christie, car l'affaire se déroule en 1953, dans les coulisses de sa célèbre pièce "La Souricière", qui se joue à Londres depuis 70 ans maintenant.
Les amateurs du genre seront donc comblés, mais les novices pas perdus pour autant, comme nous le confirme Tom George, réalisateur de ce très plaisant Coup de théâtre, en compagnie de son acteur principal Sam Rockwell.
AlloCiné : Depuis quelques années, le whodunit revient à la mode, au cinéma et à la télévision. Pourquoi est-ce que l'on aime tant ces enquêtes à la Agatha Christie ?
Tom George : Il y a plusieurs raisons, je pense. Pour commencer, ce sont des histoires brillantes dans lesquelles on peut plonger le public, car les spectateurs et l'enquêteur tentent de faire la même chose, à savoir résoudre l'affaire. En tant que réalisateur, vous voulez que le public soit en phase avec le point de vue que vous développez. Et sur un whodunit, une grande partie du travail est déjà faite pour vous, car il leur demande de jouer au même jeu que le détective impliqué dans l'intrigue, et cela rend les histoires plus attrayantes. Et, dans le même temps, il y a quelque chose de satisfaisant à voir les pièces du puzzle s'assembler. Il y a un mystère, mais on sait que celui-ci finira par être résolu. Et cela les rend satisfaisants.
Est-ce qu'on a l'impression de lire un roman d'Agatha Christie lorsque l'on lit un scénario comme celui-ci ?
Sam Rockwell : Un peu, oui. Le scénario est un autre type d'animal, mais je me suis beaucoup amusé avec celui-ci. Plein de surprises.
Quels sont les ingrédients nécessaires pour un bon whodunit ?
Sam Rockwell : Une bonne enquête policière demande une fausse piste. Un détective ou deux. Et des personnages flamboyants.
Tom George : Ce qui est intéressant dans un whodunit, c'est que la révélation du coupable n'est pas l'ingrédient le plus important, même s'il c'est dans le nom du genre ["whodunit" est la contraction de "who has done it", soit "qui l'a fait" en français, ndlr]. C'est plus un MacGuffin [prétexte au développement de l'histoire, ndlr] que la clé d'une bonne enquête policière.
Les whodunits sont à leur meilleur lorsque toutes les pièces du puzzle sont éparpillées et que l'on rencontre les personnages. En tant que spectateur, on se demande alors qui on peut croire, à qui on peut faire confiance dans cette histoire. Et c'est une bonne manière de voir des personnages sous pression, car ils doivent résoudre l'enquête. Ou sont impliqués dans l'affaire. Ou pourraient en devenir l'une des victimes. C'est un bon terreau pour le drame, mais également la comédie.
Le film est autant pour les gens qui aiment le whodunit que ceux qui n'iraient pas forcément voir ce type d'enquête policière
Vous parliez de personnages flamboyants Sam, et vous semblez aimez jouer des rôles très expansifs. Est-ce plus facile pour vous de créer en personnage lorsque vous pouvez pousser les curseurs de la sorte et essayer des choses ?
Sam Rockwell : Oui, vous voulez pousser le bouchon. Faire en sorte que cela soit frais. Nous nous sommes tournés vers la comédie slapstick, façon Inspecteur Clouseau [issu de La Panthère rose, ndlr], tout en nous assurant qu'il reste un peu réaliste. C'était un équilibre délicat à trouver.
À quel point la tenue vestimentaire, l'apparence ou, dans le cas présent, la manière dont votre personnage se déplace, compte dans votre création d'un rôle ?
Sam Rockwell : C'est très important ! Le chapeau, le manteau et même le maquillage. La coiffure et la moustache également. Les chaussures. Tout compte pour faire naître le personnage.
Vu qu'il prend pour cadre les coulisses de l'une de ses pièces, j'ai vu le film comme une enquête policière autant qu'une lettre d'amour à Agatha Christie.
Tom George : Pour moi, le film est autant pour les gens qui aiment le whodunit que ceux, je l'espère, qui n'iraient pas forcément voir ce type d'enquête policière. Si vous êtes fan, vous allez aimer les références au genre semées tout au long de l'histoire. Mais il était important pour moi que Coup de théâtre fonctionne aussi sans ces éléments. Et le cœur du film, c'est cette histoire d'association et cette comédie de caractères sur ces personnages mal assortis qui font équipe pour résoudre l'enquête.
Le scénariste Mark Chappell et moi avons beaucoup parlé de la manière d'assembler ces éléments, afin que naisse une histoire satisfaisante en tant que telle. Et que cette couche supplémentaire, où le film a conscience du genre auquel il appartient et des tropes qu'il reprend, soit un bonus : si vous comprenez les références, c'est super. Sinon, ne vous en faites pas, ça va aller (rires)
Nous devions nous assurer que le film fonctionne en tant que thriller, mais également comme une comédie très appréciable
Un film comme celui-ci doit-il être beaucoup réécrit au montage ? Pour faire disparaître des indices trop évidents, ou faire en sorte d'en donner quelques-uns au public ?
Tom George : Oui, cela fait vraiment partie du processus. Lorsque vous concevez une enquête policière comme celle-ci, vous devez choisir avec soin les informations que vous donnez aux spectateurs : vous voulez leur en donner assez, de façon à ce que, quand le mystère prend forme, cela suffise pour qu'ils voient les fils s'assembler. Mais si vous en donnez trop, ils seront en avance sur l'histoire et résoudront l'enquête avant le détective, donc ils risqueront de décrocher. Il faut trouver le bon équilibre.
Au niveau des différents tons également. La comédie et le thriller. S'assurer qu'ils soient soigneusement accordés, car si vous appuyez trop sur la comédie, vous sapez le thriller, les enjeux commencent à disparaître, vous ne prenez pas l'affaire au sérieux et vous n'êtes pas assez investis par rapport aux personnages. Et, dans le même temps, si vous donnez trop d'importance à l'élément dramatique, vous réprimez la comédie et perdez de son impact.
Pendant les phases d'écriture, de tournage et - surtout - de montage, nous étions bien conscients de fait de devoir jouer avec les curseurs, de façon à nous assurer que le film fonctionne en tant que thriller, mais également comme une comédie très appréciable.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 31 août 2022