Jason Blum est le roi des films d’horreur. Depuis le succès du premier Paranormal Activity, le producteur et sa société Blumhouse ne cessent de prendre une place considérable dans le paysage hollywoodien. Insidious, American Nightmare, Get Out ou plus récemment Black Phone, tous ces films reprennent la même formule : de nouvelles histoires pour des petits budgets. Invité d’honneur au Festival du film de Locarno, Jason Blum reçoit le prix du meilleur producteur indépendant. Une distinction qui vient saluer le travail de ce nom devenu incontournable. AlloCiné et une poignée de journalistes ont pu le rencontrer pour lever le voile sur la recette de son triomphe.
Les films d'horreur ont toujours existé. Comment et pourquoi avez-vous réussi à construire une si grande marque, là où d'autres n'ont pas réussi ? Quelle en est la raison, selon vous ?
Jason Blum : Je pense que notre approche de la production de films est différente. À Hollywood, lorsque vous avez du succès, vous devez faire des films plus chers. Un cinéaste va faire un film de 10 millions de dollars, et ça va fonctionner. Ensuite, l’agent de ce réalisateur va chercher un projet à 50 millions de dollars et je pense que c'est stupide. Tout d'abord, on ne devrait jamais chercher un film sur la base de son budget. Il faut plutôt être à la recherche d’une grande histoire. C’est ce que nous faisons, mais le budget doit être minuscule. En général, on pense que ce n'est pas sexy ou que c’est moins prestigieux d’avoir des budgets moins élevés. Plus nous faisons des films à petit budget, plus il est facile pour nous de donner de la liberté aux cinéastes. C'est ce qui nous différencie de la plupart des autres sociétés d'Hollywood. On s’inspire beaucoup du système français pour le cinéma d’auteur et nous l'appliquons aux films d'horreur commerciaux. Nous donnons à nos réalisateurs le montage final, une liberté de création totale. Ils savent qu’ils vont pouvoir faire ce qu'ils veulent.
Depuis Paranormal Activity, l’un de vos premiers succès, tant de choses ont changé. Comment cette stratégie, axée sur les films à petit budget, a évolué ?
C’est impossible de diriger une entreprise en se basant sur une seule et unique formule. D'autres choses se produisent dans le monde, alors on doit s'adapter. Ce qui a le plus changé, c'est que nos films ne valent plus un million de dollars. Get Out de Jordan Peele coûtait plus de 4 millions de dollars. Nos plus petits budgets deviennent plus chers. On produit également beaucoup de franchises connues, comme Halloween, Invisible Man ou L'Exorciste. Nous le faisons parce que personne ne nous laissait faire à l’époque, maintenant c’est le contraire et je pense c’est amusant à faire. L'entreprise est beaucoup plus grande maintenant. Nous faisons moins de films qu'avant, mais on essaye de prendre plus de temps sur chacun d’entre eux. Presque tout ce que nous faisons maintenant est diffusé au cinéma. Il y a huit ans, 50% des films allaient en salle et 50% n'y allaient pas.
Après la pandémie, le contexte est devenu plus compliqué. Néanmoins, certains de vos films originaux, comme Black Phone, sont de beaux succès. Quelle conclusion en tirez-vous ?
Ce qui est génial, c'est que nous allons voir plus de films originaux, pas seulement des films d'horreur originaux, espérons-le, mais des films originaux à Hollywood en général. C'est bon pour le public, car je pense qu'il est important d'avoir un équilibre. C’est bien d'avoir Halloween et Invisible Man, mais c’est aussi bien d'avoir des sorties comme Black Phone.
Vous produisez aussi beaucoup de documentaires sur des sujets très importants, comme Pray Away ou A Secret Love. Pourquoi est-il important, selon vous, de développer ce genre de projets ?
Je pense que si vous avez une société qui fonctionne à Hollywood, c'est une responsabilité. Il faut l'utiliser pour mettre en lumière des histoires qui ne sont pas forcément vues ou entendues et qui pourraient rendre le monde meilleur. Quand on a autant de pouvoir, on peut faire des films commerciaux amusants pour gagner de l'argent, mais il faut aussi faire des films plus niches et les aider à se développer.
Si les salles disparaissent, je veux changer de métier.
Que pouvez-vous nous dire sur la suite de L’Exorciste ?
J’ai extrêmement hâte. Ce que David Gordon Green a fait avec Halloween était génial, et je pense qu'il a vraiment trouvé un bon équilibre en respectant l’esprit de l’original et en apportant quelque chose de nouveau. David est le premier que j’ai contacté pour L’Exorciste. J'étais donc très heureux qu'il veuille le faire.
Nous allons commencer le tournage très bientôt et nous avons une vraie histoire. Quand on fait un film comme Black Phone, on ne pense jamais à une suite, on ne pense qu'à un seul film. Mais quand on fait L’Exorciste, on peut se permettre de penser plus gros. Nous avons prévu trois volets et il y a un excellent casting, donc je suis très enthousiaste à ce sujet.
En dehors des films de super-héros, des suites et des remakes, quelles tendances voyez-vous arriver pour les 5 ou 10 prochaines années ?
Je pense que le modèle de distribution va devenir plus efficace. Il y aura des fenêtres de diffusion plus courtes, entre la sortie cinéma et la sortie en VOD. Peut-être pas en France, mais aux États-Unis et dans d'autres pays. Un écart plus court signifie que le marketing des films doit être moins coûteux et que les projets seront mieux remboursés. Et si les fenêtres sont plus courtes et que les films sortent moins longtemps dans les salles, il y aura certainement plus de place pour différents types de films. Peut-être que cela se produira. Je n'en suis pas sûr.
Quel est votre engagement pour la sortie des films en salle ?
Notre société ne fonctionne pas sans la distribution en salle. J'étais très inquiet à ce sujet il y a deux ans, au début de la pandémie. Les gens disaient que les cinémas ne reviendraient jamais, que 80 ou 90 % de l'activité allait disparaître. Heureusement, ce n'est pas arrivé. Après avoir vu à quoi ressemblait l'activité sans les salles de cinéma, mon engagement sur ce sujet est plus important que jamais. Si les salles disparaissent, je veux changer de métier. Ça n'en vaut pas la peine.
Vous reste-t-il des objectifs pour le futur ?
Je veux gagner un Oscar. J'ai été nommé trois fois, mais je veux vraiment en gagner un (il sourit, ndlr).
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Locarno, le 6 août 2022.
Le Festival du film de Locarno se déroule du 3 au 13 août 2022.