Présenté en avant-première au Festival de Cannes 2022 dans la section "Cannes Première", La Nuit du 12 est la nouvelle réalisation de Dominik Moll (Harry, un ami qui vous veut du bien, Lemming, Seules les bêtes). Le cinéaste revient avec un thriller viscéral et captivant, basé sur une partie du livre 18.3 - une année à la PJ de Pauline Guéna.
Ce film suit l'enquête sordide irrésolue de la police judiciaire - le meurtre de Clara (Lula Cotton-Frapier), une jeune femme brûlée vive une nuit -, menée par Yohan (Bastien Bouillon magistral), épaulé par Marceau (Bouli Lanners). Yohan va être profondément marqué par cette affaire et sur ce qu'elle expose du monde qui l’entoure et des violences permanentes faites aux femmes.
Rencontré à l'occasion de sa présentation à Cannes, Dominik Moll raconte au micro d'AlloCiné les coulisses d'écriture et de tournage de La Nuit du 12, à découvrir dès maintenant au cinéma.
AlloCiné : Pourquoi c'est l'histoire du meurtre de Clara dans le roman 18.3 - une année à la PJ de Pauline Guéna qui vous a le plus marqué et donné envie d'en faire un film ?
Dominik Moll : En fait, j'ai eu un premier déclic quand j'ai lu la quatrième de couverture. C'est un extrait qui est le début de cette enquête et où il est dit "à la PJ, on raconte que chaque enquêteur a une histoire qui le hante, un crime qui fait plus mal que les autres", et cetera, et cetera. Et donc ça m'a donné envie de lire le livre. Et j'aimais cette idée de l'enquêteur obsédé par une affaire qu'il n'arrive pas à résoudre. Sur les 500 pages du livre, ce sont les deux derniers chapitres qui reprennent vraiment cette idée là.
C'est une enquête policière, donc c'est un terrain qui a été ultra balisé par la télévision et le cinéma, mais la particularité de l'histoire de La Nuit du 12 c'est qu'on ne trouve pas le coupable. Et on s'intéresse surtout à ce que cette non résolution de l'enquête produit sur les enquêteurs par rapport à leur travail, leur frustration.
Avec Gilles Marchand, on voulait interroger le travail de ces enquêteurs de la PJ aussi à travers les rapports hommes femmes. C'est un milieu exclusivement masculin qui essaie d'arrêter des criminels qui sont aussi essentiellement masculins, avec des crimes souvent commis contre des femmes. La violence des autres hommes les renvoie aussi à leur propre masculinité. Il nous importait d'apporter cette couche de lecture supplémentaire.
Est-ce qu'il était important pour vous de montrer le meurtre, très violent, de Clara au début du film ? Ou est-ce que vous vous êtes posé la question de sa pertinence ?
Avec Gilles, on était persuadé qu'il fallait montrer le meurtre, sans tomber dans la complaisance, mais c'était important de le montrer. Parce que ça crée aussi des effets de sidération et qu'il faut aussi se rendre compte de la violence de ce crime. Il y a eu un débat avec les productrices qui se demandaient si justement on n'allait pas nous reprocher une certaine complaisance. Mais je savais déjà comment je voulais le filmer, de manière presque un peu abstraite, avec de très gros plans sur un plan très large.
Est-ce que vous vous êtes uniquement basé sur le roman de Pauline Guéna ou est-ce que vous avez fait d'autres recherches ? Est-ce que vous avez fait appel à des consultants de la PJ pour enrichir un peu le scénario ?
C'est l'adaptation de l'enquête qui est relatée dans les deux derniers chapitres, mais on s'est aussi nourri de toutes les observations qu'elle a faites par ailleurs. Par exemple, l'idée de l'enquêteur qui fait du vélo sur piste pour se défouler, c'est quelque chose qui est attribué à un autre enquêteur qui n'a rien à voir avec les histoires. Donc on a aussi pioché comme ça à droite, à gauche.
Pendant l'écriture, on était en contact régulier avec Pauline. Dès qu'on avait une question, on l'appelait et quand elle n'avait pas la réponse, elle recontactait un policier dont elle avait gardé les coordonnées lors de son immersion. Donc c'était précieux.
Mais je sentais quand même que ce n'était pas suffisant alors j'ai fait une semaine d'immersion à la PJ de Grenoble avec les enquêteurs de la brigade criminelle. Ils ont accepté de nous recevoir de manière très ouverte pour les suivre sur des arrestations, des perquisitions, des auditions. Et l'important pour moi était de voir la dynamique de groupe et aussi la façon dont ils évacuent.
Ils sont quand même confrontés à des choses assez sordides et ils ont la pression de la hiérarchie et de la paperasse et ils ont besoin d'évacuer. C'est une chose de le lire ou de l'entendre, mais de le voir et de l'expérimenter, c'était très précieux. Et je voulais aussi une certaine part de véracité même si cela reste de la fiction.
L'affaire est effectivement très dure. Et il y a une vraie sensibilité et une grande douceur dans le personnage de Yohan. Bastien Bouillon fait un travail remarquable, comme Bouli Lanners et le reste de l'équipe. On croit à ce groupe. Comment avez-vous constitué le casting et fait en sorte qu'il y ait cette alchimie, cette cohésion ?
Je savais que cette dynamique de groupe était essentielle. Donc, avec la directrice de casting, on a vraiment fait un long travail de recherche. On voyait d'abord les comédiens individuellement et après on les voyait en groupe. Et c'est comme ça qu'on a, avec des personnalités différentes, constitué ce groupe. Donc ça a été un long travail de sélection.
Je ne voulais pas faire un travail de reconstitution, cela devait rester une fiction. Par respect pour les gens impliqués ou les parents de la victime, l'idée n'était pas de faire un copier coller. Déjà, dans le livre de Pauline, il y a quelque chose de très fictionnel dans sa manière de relater les choses.
Le montage est aussi très travaillé avec ce rythme cyclique avec la quête d'un suspect, son interrogation et une remise en question de l'enquêteur. Cette idée de tourner en rond est retranscrit à l'image aussi avec ses tours au vélodrome pour se vider la tête. C'était une construction présente dès le début ?
Cette construction était là dans le scénario. Les emplacements des scènes au vélodrome ont un peu bougé. Il y en a un premier au tout début du film, qui n'était pas prévu dans le scénario. Et puis au montage, on s'est rendu compte que c'était bien de commencer par ça directement. Cet élément du vélodrome et des tours de piste pouvait paraître un peu décoratif ou anecdotique et, pourtant, on s'est rendu compte au montage que c'était vraiment très important et essentiel. C'est une illustration très visuelle et graphique de son obsession et du fait de tourner en rond.
Et pourquoi avez-vous choisi de transposer l'action à Grenoble ?
Le crime dont on s'est inspiré a eu lieu en région parisienne. Mais je ne voulais pas faire un travail de reconstitution, cela devait rester une fiction. Par respect pour les gens impliqués ou les parents de la victime, l'idée n'était pas de faire un copier coller. Déjà, dans le livre de Pauline, il y a quelque chose de très fictionnel dans sa manière de relater les choses. Et du coup on voulait délocaliser l'action pour que ce ne soit pas trop proche.
Et puis j'aime les décors de montagne. La vallée de la Maurienne a quelque chose de très singulier parce que c'est une vallée dans la montagne. Il y a quelque chose beau et de majestueux et en même temps, c'est une vallée très industrielle. La présence des montagnes est à la fois belle et oppressante.
Les personnages féminins ne sont pas que des faire-valoir mais interviennent dans des moments clés, des points de bascule, que ce soit dans l'avancée de l'enquête ou dans la prise de conscience des enquêteurs, qui se rendent compte des rapports de force très différents entre les hommes et les femmes et des violences quotidiennes faites envers elles.
La parole et le rôle des femmes - que ce soit la meilleure amie, la juge ou la jeune flic à la fin - font avancer Yohan dans son cheminement ou en tout cas tout à coup construisent des choses dans sa tête. Ces paroles questionnent aussi les réflexions désobligeantes et misogynes qui remettent en cause les vies des femmes.
Yohan se questionne sur son propre fonctionnement. Et donc, on a très vite senti que ces trois femmes étaient essentielles pour son cheminement mais aussi pour être une sorte de caisse de résonance dans certaines scènes et pour représenter une parole importante.