L'actrice et réalisatrice iranienne Zar Amir Ebrahimi a été consacrée au 75ème Festival de Cannes avec le prix d'interprétation féminine pour sa prestation dans Les Nuits de Mashhad (ou Holy Spider) d'Ali Abbasi, réalisateur suédois d'origine iranienne qui avait remporté le prix Un Certain Regard il y a quatre ans avec Border.
Les Nuits de Mashhad est un thriller pour lequel Ali Abbasi renoue avec ses origines iraniennes en contant l’histoire de Saeed Hanaei, auteur d’une série de féminicides qui a bousculé l’opinion publique dans la ville sainte de Mashhad.
Par cette affaire tragique, pour lequel Saeed Hanaei était surnommé l’Araignée par la presse iranienne, Ali Abbasi rend compte d’une part sombre mais pas si cachée que ça du traitement des femmes dans la société iranienne.
Sa multiplicité des points de vue et sa mise en scène à hauteur d’homme en font un thriller noir organique et bouleversant car le film suit les trajectoires de Saeed Hanaei, vétéran de guerre se sentant investi d’une mission divine en "nettoyant la ville du péché" par le meurtre de prostituées, et de la journaliste fictive Rahimi, tiraillée entre ses obligations et ses convictions.
Et c'est justement pour ce rôle de journaliste que Zar Amir Ebrahimi a reçu le prix d'interprétation féminine. Un honneur qui a profondément ému l'actrice et réalisatrice, qui a subi la misogynie de la société iranienne, qu'Ali Abbasi questionne dans toute sa complexité à travers l'histoire des Nuits de Mashhad.
Un prix symbolique pour cette actrice qui a dû quitter l'Iran
Née en 1981 à Téhéran, Zar Amir Ebrahimi a une carrière bien remplie en tant que comédienne en s'illustrant dans les films de nombreux réalisateurs iraniens, comme Mohammad Nourizad, Mojtaba Raie, Abolfazl Jalili et Abbas Kiarostami mais aussi au théâtre.
Mais ce sont ses participations aux séries Komakam Kon et Nargess qui lui ont permis d'accéder à la notorité et d'avoir la reconnaissance de la critique et du public. Malheureusement pour Zar, c'est dans ce contexte qu'elle se retrouve associée à un scandale de sextape, où elle se trouve mise en cause par son ancien fiancé avec qui elle a rompu.
Ce scandale a fait non seulement courir un grand danger à l'actrice, confrontée à l'ostracisme social et menacée de coups de fouet, mais a aussi ruiné sa carrière en Iran. Les films qu'elle avait tourné à ce moment-là et qui étaient sur le point de sortir ont été retournés avec d'autres actrices pour la remplacer. Il lui a par aileurs été défendu de tourner dans de nouveaux films ou d'apparaître à la télévision.
Zar Amir Ebrahimi a expliqué lors d'une interview accordée à AlloCiné durant le Festival de Cannes qu'elle s'est nourrie de son expérience personnelle traumatisante pour ce rôle de journaliste qui fait face à la misogynie d'un pays :
"J'avais une vie un peu étrange en Iran. Ce qui m'a fait quitter l'Iran, c'était quand même une histoire grave. C'est une histoire assez spéciale. J'ai eu cette expérience d'être insultée, harcelée. J'ai un peu ajouté ces moments personnels de ma vie aussi dans mon interprétation, comme la confrontation avec un membre du gouvernement ou les réactions des collègues. Ces derniers ont eu peur du scandale, ils ne veulent plus travailler avec toi et ne veulent pas être mêlés à ce genre d'histoire qui peut créer des problèmes avec le gouvernement."
Zar Amir Ebrahimi a dû fuir l'Iran en 2008 et s'est réfugiée en France, pays où elle peut continuer à exercer son métier et auquel elle a rendu hommage dans son discours de remerciement après l'obtention de son prix d'interprétation féminine. L'actrice a aussi fait un clin d'oeil à Golshifteh Farahani, autre actrice iranienne, qui a, elle aussi, fui l'Iran face à la menace d'interdiction de sortie du territoire alors qu'elle allait tourner à Hollywood en 2008.
Le prix d'interprétation féminine est donc d'autant plus fort pour Zar Amir Ebrahimi, en raison de son expérience personnelle qui fait écho à l'intrigue des Nuits de Mashhad :
"Ce soir, j’ai le sentiment d’avoir eu un parcours très long avant d’arriver ici sur cette scène. C’est une belle histoire, mais qui a comporté des humiliations malgré mon amour pour le cinéma. Cela a représenté énormément de solitude mais heureusement il y avait les films. Il y avait de l’obscurité mais le cinéma était là pour y échapper. Et maintenant, je me retrouve devant vous. Vive le cinéma. Cela a sauvé ma vie et il en sauvera d’autres.
Les Nuits de Mashhad parle des femmes, de leur corps, c’est un film rempli de haine, de mains, de pieds, de seins, de sexe, tout ce que l’on ne peut montrer en Iran. Merci Ali Abbasi d‘avoir été si fou et si généreux. Merci de cette réalisation, de cet art si puissant."
Les Nuits de Mashhad sort dans les salles françaises le 13 juillet 2022.