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    Les Crimes du futur : le film choc expliqué par David Cronenberg
    Thomas Desroches
    Thomas Desroches
    -Journaliste
    Les yeux rivés sur l’écran et la tête dans les magazines, Thomas Desroches se nourrit de films en tout genre dès son plus jeune âge. Il aime le cinéma engagé, extrême, horrifique, les documentaires et partage sa passion sur le podcast d'AlloCiné.

    Après une longue absence, David Cronenberg revient avec "Les Crimes du futur". Un film de science-fiction, mais pas seulement. C'est aussi une réflexion sur le corps et les émotions de l'être humain. Le réalisateur exprime sa pensée. Rencontre.

    David Cronenberg continue de faire bouger les lignes. Dans Les Crimes du futur - projet qu’il porte depuis longtemps -, il dépeint un monde où la chirurgie est devenue une nouvelle forme de sexualité. Devenus insensibles, les êtres humains n’ont d’autre choix que d’explorer des plaisirs extrêmes.

    Porté par Viggo MortensenLéa Seydoux et Kristen Stewart, le film est présenté en Compétition officielle au 75e Festival de Cannes. AlloCiné s’est entretenu avec le réalisateur pour lever le voile sur les secrets de cette œuvre à part.

    Les Crimes du Futur
    Les Crimes du Futur
    Sortie : 25 mai 2022 | 1h 48min
    De David Cronenberg
    Avec Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kristen Stewart
    Presse
    3,7
    Spectateurs
    2,1
    louer ou acheter

    AlloCiné : Vous avez écrit Les Crimes du futur il y a vingt ans, avant de ranger le scénario dans un tiroir. Le film surprend par sa pertinence et sa modernité. Avez-vous retravaillé ou modifié le script avant de tourner ?

    David Cronenberg : Non, je n'ai pas du tout changé le scénario. Je n'ai même pas fait de deuxième version. Des changements sont intervenus en cours de production, mais ça c'est normal. Par exemple, j’ai écrit le film en pensant à Toronto et nous avons fini par le tourner à Athènes. Je me suis approprié la ville, la Méditerranée, la lumière différente, tout ce qui n’existe pas à Toronto.

    Athènes est une ville très ancienne et elle a connu un grand effondrement financier en 2008. Il y a beaucoup de bâtiments abandonnés, rouillés. J'ai utilisé tout cela dans Les Crimes du futur. Néanmoins, les dialogues sont restés les mêmes. C'est une traduction directe de ce que j'ai écrit il y a vingt ans. Cela montre à quel point le film semble être en avance sur son temps et fonctionne.

    Vous préparez vos films sur le tournage, avec vos acteurs. Vous faites confiance à votre instinct. Par exemple, vous ne préparez pas de story-boards.

    Pour moi, les story-boards, c'est comme une camisole de force. Je ne veux pas de ça. Avec Viggo Mortensen, quand je suis sur le plateau, je lui dis : "Viggo, voyons comment on va jouer cette scène." Je veux son avis, son implication, sa collaboration. Si vous faites un storyboard, vous freinez l'acteur.

    Je lui demande : “Comment veux-tu jouer cette scène ? Où veux-tu te mettre ?” Quand j’arrive sur le tournage, je ne sais pas encore ce que le film devrait être. Alors oui, l’instinct est très important pour moi.

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    Il existe des similitudes entre Saul, le héros incarné par Viggo Mortensen, et vous-même. Vous faites aussi de l’art avec vos organes : vous vendez des photos de vos calculs rénaux. Pensez-vous que ce personnage est celui qui vous ressemble le plus ?

    Certainement. J'écris beaucoup de mes propres scénarios, donc je mets des choses de moi à l’intérieur. Viggo Mortensen pense certainement que c'est mon film le plus, dit-il, "autobiographique". Il est évident que je ne fais pas de chirurgie sur moi-même, mais il y a un lien. Il est l'archétype de l'artiste qui donne tout de lui-même, de l'intérieur, à son public. Et donc, dans la mesure où je fais cela aussi, alors, oui, il me ressemble.

    Dans le film, les humains sont devenus insensibles à la douleur. Pour se sentir en vie, les artistes doivent se scarifier. Pensez-vous qu’il est possible de faire de l’art sans souffrir ?

    Oui. Je ne pense pas que la souffrance soit nécessaire. L’art peut-être aussi synonyme de joie, d’expériences positives. C'est certain. Mais si vous êtes en vie, vous ferez l'expérience de la souffrance. Il n'y a aucun doute là-dessus. L’art, c'est notre façon de faire face à la réalité. Celle de la condition humaine, la réalité de la mort et de la perte. Tout le monde finit par faire l'expérience de toutes ces choses.

    Nous sommes en train de détruire le monde.

    Les performances extrêmes dans le film sont impressionnantes. Il existe bel et bien des artistes qui utilisent leur corps et se mutilent sur scène. Avez-vous déjà assisté à des spectacles similaires pour écrire ces scènes ?

    J'ai fait quelques recherches et je savais que des artistes se faisaient du mal délibérément. Ils se pendent à des crochets par exemple. Depuis que j'ai écrit le scénario, il y a beaucoup plus d'artistes de la performance. C'est devenu plus populaire. C'était assez rare, je pense, il y a vingt ans. C'est beaucoup plus répandu maintenant, peut-être parce que plus de gens souffrent davantage. Mais je n'avais jamais vu de performances comme on peut en voir dans le film, alors je les ai vraiment inventées.

    Dans la plupart de vos œuvres, vos personnages sont en quête de liberté. C’est une nouvelle fois le cas, ici, avec Les Crimes du futur.

    Au départ, le scénario s'appelait Painkillers - Antidouleurs en français. C'était donc une partie essentielle de l'histoire : les gens sont engourdis, ils ne peuvent plus ressentir quoi que ce soit, alors ressentir de la douleur est devenu quelque chose qu'ils recherchent à tout prix. Ils sont à la recherche de leur propre humanité.

    Viggo MortensenLéa Seydoux et Kristen Stewart parlent de David Cronenberg :

    Comment avez-vous créé les machines visibles dans le film ?

    Je travaille avec Carol Spier, ma cheffe décoratrice. C’est elle qui a trouvé les artistes pour dessiner ces créations. Par exemple, le lit Sark, celui sur lequel le personnage de Viggo Mortensen se repose. À l'origine, dans le scénario, il ressemblait beaucoup plus à une toile d'araignée. Sur le papier, cela fonctionnait. Quand nous avons commencé à vraiment le concevoir, ça n’allait pas du tout.

    Nous avons essayé quelque chose de complètement différent, de plus organique. J'avais donc de nombreux dessins, de nombreuses esquisses, plusieurs versions possibles, et même des versions en images de synthèse en trois dimensions, ce qui est possible aujourd'hui.

    Savez-vous où sont rangées ces machines aujourd’hui ?

    Je n’en ai pas la moindre idée (il se met à rire, ndlr.)

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    Devant Les Crimes du futur, chaque spectateur peut se faire sa propre interprétation. Selon moi, c’est un film destiné aux jeunes générations qui devront être plus forts pour survivre à un monde plus difficile.

    Je ne fais pas de films pour faire passer des messages, mais j'ai trois enfants et maintenant quatre petits-enfants, alors je ne peux pas m'empêcher de penser à ce qui arrive au monde. Il est évident que nous sommes en train de le détruire. Je pense aussi aux dégâts environnementaux incroyables que cause une guerre, quelle qu'elle soit, puis la menace d’une guerre nucléaire. J’ai vécu les années cinquante et cette peur de la dévastation nucléaire, je sais ce que c’est.

    C’est un film de science-fiction et pourtant, beaucoup de faits se rapprochent de la réalité. Nos corps évoluent, ils deviennent plus puissants.

    La résilience du corps est incroyablement complexe. Au début de mes études, je voulais être scientifique et je voulais me spécialiser en biologie cellulaire. Ce que nous pensions des cellules était d’une naïveté absolue comparé à ce que nous avons découvert par la suite. Le corps nous réserve encore beaucoup de surprises.

    Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 29 avril 2022.

    Les Crimes du futur, au cinéma le 25 mai 2022.

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