"Entre toi et moi, qui était le meilleur pilote ?" "Faut-il vraiment gâcher ce moment ?" Dans Top Gun Maverick, c’est dans l’intimité du bureau de celui qui est désormais l’amiral Tom "Iceman" Kazansky que le capitaine Pete "Maverick" Mitchell retrouve celui qui fut son plus grand rival à Top Gun. Avant de devenir son meilleur ailier, et son plus grand soutien face à la hiérarchie militaire qui rêve de briser les ailes de ce pilote hors-pair difficilement gérable.
Depuis l’officialisation de la suite, les fans du film original attendaient avec impatience les retrouvailles de Tom Cruise et Val Kilmer, tout en sachant que l’état de santé du comédien, touché par un cancer de la gorge en 2015, limiterait forcément sa présence à l’écran. Val Kilmer a en effet dû subir deux trachéotomies (un trou au niveau de la trachée pour faciliter sa respiration) qui ont endommagé sa voix et bouleversé sa vie et sa carrière, comme en témoigne le poignant documentaire Val (disponible sur OCS) qui explore les souvenirs et le quotidien de l’acteur/artiste à travers ses archives personnelles.
Après avoir visionné Val, on ressort assurément bouleversé par la condition de Kilmer, désormais quasi-mutique tant l’usage de la parole s’avère douloureux. Le documentaire est d’ailleurs narré par Jack Kilmer, le propre fils de l’acteur, qui prête ainsi sa voix à son père pour l’aider à raconter sa vie. Et même si Val Kilmer s’est depuis associé à une société spécialisée dans l'intelligence artificielle et le machine-learning pour recréer son timbre, et qu’il a fait part très tôt de son enthousiasme pour rejoindre Top Gun Maverick, la nature de sa participation restait mystérieuse. Une simple évocation ? Une rapide photo, dévoilée dans la bande-annonce ? Ou une véritable scène avec Tom Cruise ? Les trois, mon... Amiral.
Comme Orelsan, l'acteur Val Kilmer a filmé sa vie : découvrez son documentaire poignant sur OCSD’abord évoqué comme un ange-gardien (très) haut-gradé de "Maverick" qui l'a conseillé et protégé dans l’ombre depuis toutes ces années, puis affiché en uniforme dans le hall d’entrée de la base de Top Gun, "Iceman" intervient dans le long métrage à travers des échanges de texto, avant de s’offrir une longue séquence face à son ancien partenaire de vol, venu lui rendre visite chez lui. Et c’est là que l’émotion prend le pas sur la joie des retrouvailles chez le spectateur, alors que la frontière entre réalité et fiction s'estompe.
La maladie de Val Kilmer y est en effet non seulement assumée, mais intégrée au récit et à son personnage, qu’on comprend confronté aux dernières heures d’un long combat contre le cancer. Ses échanges avec Tom Cruise / "Maverick", pleins de douceur, de nostalgie et de sagesse, se font d’abord par écran interposé, alors que "Iceman" tape ses réponses aux questions de son camarade. Il finit par prendre la parole, douloureusement, le temps de quelques répliques, avant de s’offrir une accolade avec celui qu'il considérait comme "incontrôlable" et "dangereux" dans le film original, et qui est depuis devenu son plus proche ami.
De la même manière que le sous-texte du film présente "Maverick" comme l’un des derniers pilotes humains à l’heure des drones et Tom Cruise comme l’un des derniers acteurs du "vrai" cinéma à l’heure de la CGI toute-puissante ("Ce n'est pas ce que je suis, c'est qui je suis"), le personnage de "Iceman" prend lui aussi une dimension méta, non plus dans la célébration mais dans l’émotion. Il se dévoile malade, la voix et le corps (les deux instruments majeurs d’un comédien) abîmés, et conseille notamment à "Maverick" d’accepter de lâcher, faisant de cette suite et de ce personnage qui lui a collé à la peau pendant plus de trente ans, un testament cinématographique sincèrement bouleversant.
D’autant plus touchant qu’à l’époque du premier film, Val Kilmer, sorti de la prestigieuse Juilliard School, adepte de la fameuse method-acting et star en pleine ascension privilégiant les premiers rôles, ne souhaitait pas particulièrement signer pour Top Gun, dont il trouvait le scénario "stupide". C’est sur l’insistance de Tom Cruise, qui avait le même agent, qu’il acceptera de participer -à contrecœur- à une audition qu’il tentera même de saboter… avant de découvrir à sa grande surprise qu’il avait été retenu. "J'ai lu les lignes avec indifférence et pourtant, étonnamment, on m'a dit que j'avais le rôle. Je me sentais plus abattu que motivé", raconte t-il dans ses mémoires I'm Your Huckleberry.
"Sur le premier Top Gun, je voulais à tout prix que Val Kilmer joue Iceman", se souvient Tom Cruise*. "Il était tellement parfait pour ce rôle ! (…) Pour ce nouveau tournage, je voulais que Val soit dans le film et lui aussi voulait y être. Je voulais que ce film soit une progression de leur relation. Et retravailler avec lui, c'était magique. Jouer à nouveau des scènes, Val et moi. Le fait de m'asseoir avec lui et discuter dans ce contexte était vraiment émouvant." Et Val Kilmer* d’ajouter : "Nous ne nous étions pas vus depuis de nombreuses années et c'était étonnant de voir à quelle vitesse nous nous sommes rattrapés. De plus, l'euphorie de voir nos personnages devenir amis nous a sans doute donné une belle énergie".
Le réalisateur Joseph Kosinski a lui aussi été emporté par ce dernier moment privilégié entre "Iceman" et "Maverick", comme il en témoigne dans les pages du magazine Total Film dans le cadre de la promotion de Top Gun Maverick : "C'était énorme, énorme - faire revenir Val pour jouer à Iceman. Travailler avec un acteur de ce calibre, voir l’alchimie, la camaraderie entre lui et Tom, et réunir ces deux personnages dans ce film, a été un moment vraiment spécial et l'une de mes parties préférées du film." Et celle de nombreux spectateurs du film, assurément.
*propos issus du dossier de presse