A distance du monde du cinéma depuis 2019, Adèle Haenel s'est depuis concentrée sur sa carrière au théâtre et a multiplié les prises de positions, témoignant d'un engagement fort sur le terrain politique.
Si la comédienne avait déjà expliqué clairement sa position par rapport au monde du cinéma dans le livre de Marine Turchi, Faute de preuves, paru à l'automne dernier au Seuil, elle en dit aujourd'hui un peu plus sur de possibles collaborations à venir, et comment ses choix pourraient s'opérer.
Dans un entretien pour Il Manifesto, équivalent italien du journal L'Humanité, Adèle Haenel dit sans détour qu'elle arrête le cinéma, puis précise. "Je ne travaillerai plus avec des réalisateurs établis, mais seulement avec de nouveaux artistes débutants. La seule (réalisatrice établie) avec qui je pourrai à nouveau travailler est Céline Sciamma parce que notre relation va au-delà du professionnel, mais il faudra que cela soit dans un autre système économique. Et il ne s'agit pas de choisir par rapport au sujet, au thème. C'est une question de redéfinir une réalité, de questionner notre perception comme le fait Gisèle (Gisèle Vienne, metteuse en scène de la pièce L'Etang, Ndlr.). La forme et le sens coïncident."
Ils disent qu'ils luttent contre le sexisme, mais en réalité, rien n'a changé.
Relancée par la journaliste Simona Spaventa d'Il Manifesto sur la forme que pourrait prendre ce cinéma, Adèle Haenel poursuit : "Nous avons de nombreux artistes voulant faire du cinéma de façon différente, avec d'autres représentations, d'autres corps. Je pourrais prendre part à ce cinéma, si cela se produit. Et il y a des films intéressants comme Toute une nuit sans savoir de Payal Kapadia, ou Nous d'Alice Diop."
Et d'ajouter : "Mais dans l'industrie du cinéma, telle qu'elle est aujourd'hui, il n'y a pas d'espoir. On le voit avec la façon dont les femmes sont considérées. Ils en utilisent une ou deux pour cacher la nudité d'un système oppressif. Il y a juste à regarder la sélection de Cannes. Ils disent qu'ils luttent contre le sexisme, mais en réalité, rien n'a changé. Ceux au pouvoir continuent à nous oppresser. On récompense toujours les violeurs et ils veulent que je me taise ? Jamais."
La politique est aujourd'hui une urgence, une question de vie ou de mort.
Plus engagée que jamais, Adèle Haenel explique, qu'outre sa carrière au théâtre qu'elle entend bien poursuivre (notamment auprès de personnalités comme Gisèle Vienne), désormais dédier son temps à ses engagements politiques et l'écoute des victimes : "La majorité de mon énergie est désormais dédiée à l'écoute des victimes d'abus. Mais j'adore l'art, et je persiste à penser que c'est important en tant qu'expérience collective. Cela reste l'un des centres de ma vie."
"L'autre est la politique, qui est aujourd'hui une urgence, une question de vie ou de mort. C'est bien que Le Pen n'ait pas gagné, mais Macron exacerbe la question du racisme, en divisant la classe ouvrière et en l'affaiblissant. C'est une personne autoritaire, ce que l'on peut constater avec l'usage de la violence vis à vis des manifestants, et qui est intolérable. Ils essayent de réduire le dialogue, en en faisant un monologue de dominant. La colère en France est très forte, et c'est la seule chose qui pourra mener à du changement."
Adèle Haenel sera prochainement au Théâtre des Amandiers, à Nanterre, pour la pièce L'Etang, mise en scène par Gisèle Vienne, qui se joue à guichets fermés. Aucun tournage de cinéma n'est à l'ordre du jour. Contrairement à ce que de nombreux médias avaient annoncé, Adèle Haenel ne sera pas au casting du prochain film de Bruno Dumont, L'Empire, dont le tournage est prévu cet été avec Lily-Rose Depp, Camille Cottin, Anamaria Vartolomei et Fabrice Luchini.
Pour mémoire, la dernière prise de parole d'Adèle Haenel remonte à l'automne dernier auprès de la journaliste Marine Turchi. Deux ans après avoir recueilli le témoignage choc de la comédienne Adèle Haenel (accusant le réalisateur Christophe Ruggia de harcèlement sexuel et attouchements), et mené une vaste enquête sur #MeToo dans le cinéma français, la journaliste de Mediapart dévoilait le livre-enquête intitulé "Faute de preuves", avec un long entretien avec Adèle Haenel,revenant en détails sur son parcours judiciaire et les échos qu'ont eu sa prise de parole.
Le monde du cinéma, pour moi, a envie de cicatriser un peu trop vite des questions qu'on vient juste de soulever.
Elle y livrait également sa vision du milieu du cinéma aujourd'hui : "Le monde du cinéma, pour moi, a envie de cicatriser un peu trop vite des questions qu'on vient juste de soulever. Il y a une sorte d'obsession à faire la paix au plus vite, c'est-à-dire de replonger dans le statu quo, alors qu'au contraire il faut qu'on prenne le temps de comprendre les implications du mouvement #MeToo, afin de transformer l'organisation du travail et de la société en profondeur", confiait-elle au cours de cet entretien d'une quinzaine de pages venant clore le livre de Marine Turchi.
"Cela fait maintenant plus de deux années consacrées à cette histoire. Je ne le regrette vraiment pas, parce que c'est la chose la plus importante que j'ai faite dans ma vie. (...) La chose la plus importante pour moi aujourd'hui, au-delà de la justice, c'est cette communauté. Le sentiment que ma démarche a pu aider certaines personnes. (...) Le plus important, c'est d'accueillir ces histoires et de reconnaître qu'il s'agit là d'un problème de société sur lequel on peut agir."
Faute de preuves, enquête sur la justice face aux révélations #MeToo, par Marine Turchi, éditions Seuil, est disponible en librairie.
