Sensoriels et transgressifs, les films de Gaspar Noé ne sont pas connus pour laisser de marbre. Avec Vortex, le réalisateur propose son œuvre la plus personnelle et continue de taper là où ça fait mal. Il filme un couple âgé, installé dans un petit appartement parisien et documente leur descente aux enfers, entre décomposition mentale et perte de repères.
La sénilité est un sujet très présent au cinéma. Il suffit de se rappeler de The Father du Français Florian Zeller, qui a permis à Anthony Hopkins de remporter son second Oscar, mais aussi de Falling de Viggo Mortensen ou, dans un autre genre, de Relic de Natalie Erika James.
Gaspar Noé, fidèle à sa réputation, travaille cette matière à sa façon. Le drame, qui utilise le split-screen, puise sa force dans le réalisme des situations. Le réalisateur suit ses acteurs en totale improvisation et à travers de nombreux plans-séquences.
Pour donner vie à ses deux personnages centraux, il réunit deux géants du cinéma : Françoise Lebrun (La Maman et la Putain) et le réalisateur italien Dario Argento, maître du Giallo. Dans ses intentions, Gaspar Noé est clair : “J’avais déjà fait des films qui faisaient peur, qui faisaient bander ou qui faisaient rire. Cette fois-ci, j’ai eu envie de faire un film qui fasse pleurer aussi fort que j’ai pu pleurer dans la vie comme au cinéma.”
Pari réussi. La violence de Vortex n’est pas graphique, comme c’est le cas dans ses autres longs métrages. Elle est silencieuse et s’impose à mesure que le couple s’engouffre dans un trou noir qui ne cesse de les dévorer.
“Je savais que je voulais raconter une histoire sur la fin de vie d’un couple. J’ai vu des situations analogues avec mes grands-parents, avec ma mère, explique le cinéaste à AlloCiné, le lendemain de la projection du film au 74e Festival de Cannes, en juillet 2021.
“La vie qui se décompose, c’est quelque chose de généralisé, poursuit-il. Les gens en ont honte. C’est comme un secret de famille. C’est utile de montrer ces mécanismes de survie qui se mettent en place dès que les gens commencent à avoir les neurones qui ne marchent plus.”
Au moins avec Gaspar Noé, je savais qu’on allait pas me demander d’être une grand-mère qui fait un gâteau au yaourt.
Dans Vortex, Dario Argento signe le premier rôle de sa carrière. D’habitude, le réalisateur de Suspiria préfère diriger les autres. “Gaspar Noé est un ami depuis ses premiers essais dans le cinéma. Quand il m’a proposé le film, je lui ai dit : ‘Je ne suis pas un acteur, je suis un metteur en scène.’, se remémore-t-il.
Puis il est venu à Rome pendant une journée entière et il m’a convaincu de faire quelque chose qui s’inscrit dans le néoréalisme. C’était magnifique d’être ensemble, de se confronter, d’improviser et de créer cette interprétation.”
Pour Gaspar Noé, “Dario, c’est une bête de plateau”. “Je lui ai dit : ‘Ce n’est pas moi qui dois t’expliquer comment travailler, tu sais diriger les acteurs, tu prends en main ton personnage. Je te fais confiance'/ Et il m’a dit : ‘Oui je sais !’”, se rappelle le cinéaste.
Même état d’esprit du côté d’Alex Lutz, qui joue le fils. “J’étais très impressionné par Dario, tout en ayant envie d’aller vers lui. J’ai utilisé ça pour créer la relation père-fils.” Devant la caméra du cinéaste, l’acteur - connu pour son amour de la comédie et son goût pour la transformation - joue un jeune père perdu dans les méandres de la toxicomanie. “Il est l’incarnation de la carence affective. Je fais de l’humour sur scène, mais au cinéma, j’adore m’emparer de rôles dramatiques.”
Françoise Lebrun incarne, quant à elle, le personnage le plus complexe du film. “Je ne connaissais pas les films de Gaspar Noé, mais tout de sa réputation, admet-elle. Au moins avec lui, je savais qu’on allait pas me demander d’être une grand-mère qui fait un gâteau au yaourt.”
Pour se préparer, l’actrice refuse de lire le scénario de 15 pages. Elle préfère se plonger dans les documentaires et les revues médicales pour comprendre les problèmes cognitifs.
Après cinq semaines de tournage, j’avais l’impression de sortir d’un sous-marin. Je manquais d’oxygène.
Ce rôle de mère, par qui le drame arrive, s’inspire de celle de Gaspar Noé. “Plus tard, pendant le tournage, il m’a montré des choses qu’il avait filmées avec elle, se rappelle Françoise Lebrun. J’ai compris, avec ce film, qu’aucun profil ne se ressemblait. Il n’y a pas de mode d’emploi. Chacun se construit sa dégénérescence.”
Tourné en plein confinement, le film s’est fabriqué avec une quinzaine de personnes, enfermées dans un espace étroit - l’appartement. “C’était très claustrophobique, se souvient Gaspar Noé. Après cinq semaines de tournage, j’avais l’impression de sortir d’un sous-marin. Je manquais d’oxygène.”
Un sentiment qui transparaît à l’écran alors que les murs de l’appartement semblent se refermer sur le spectateur. Dario Argento, le sourire aux lèvres, conclut l’entretien : “C’était une aventure magnifique, que je ne referais jamais.”
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Cannes, en juillet 2021.
Vortex de Gaspar Noé, au cinéma le 13 avril.