Nouvelle adaptation du roman éponyme de Maurice Leblanc, le papa d'Arsène Lupin, L'île aux 30 cercueils, portée par Virginie Ledoyen et Charles Berling, s'est achevée hier soir sur France 2 et a offert aux téléspectateurs un final extrêmement tendu, dans lequel les révélations se sont enchaînées jusqu'à la confrontation ultime entre Christine et son mari. Qui se cachait en réalité derrière la tentative d'assassinat de leur enfant il y a seize ans.
Si le scénario d'Elsa Marpeau et de Florent Meyer reste en partie fidèle à l'oeuvre de Leblanc, les auteurs de la série de France 2 ont décidé de ménager le suspense vis-à-vis de la culpabilité de Raphaël Vorski, contrairement au roman et à la précédente adaptation de 1979 avec Claude Jade qui montraient rapidement Vorski comme un être négatif et potentiellement machiavélique.
"Il nous est apparu très important qu'un thriller amène à une révélation finale", nous expliquait Stéphane Moatti, le producteur de L'île aux 30 cercueils, lors d'une conférence de presse organisée peu de temps avant le lancement de la série sur France 2.
"Le roman et la série de 1979 sont construits comme ça, c'est un choix, c'est dit très tôt. Ici, on voulait aller vers autre chose. Et d'ailleurs on a créé une fausse piste avant la révélation finale. C'est un choix qui nous semblait plus interpellant, plus ludique par rapport au téléspectateur".
"J'avais le sentiment que cette révélation finale permettait de densifier le propos de la série", expliquait pour sa part Frédéric Mermoud, le réalisateur de la série, qui a notamment travaillé sur Les Revenants. "Ce que j'apprécie sur les deux derniers épisodes, c'est qu'ils développent vraiment le propos de la série : le couple, mais aussi la faillite d'une certaine masculinité".
"Je trouve que ce qu'incarne Charles Berling, d'une certaine manière, c'est une tragédie de l'homme contemporain qui perd tous ses repères", poursuivait Frédéric Mermoud. "C'est la dramaturgie de série qui nous a amené à garder ce mystère le plus longtemps possible, même si ceux qui ont lu le roman savent que Vorski est le méchant de l'histoire".
"Vorski est pris dans sa propre radicalité amoureuse"
Évidemment plus actuelle dans ses techniques de narration et dans sa mise en scène, L'île aux 30 cercueils version 2022 aborde également des sujets plus que jamais contemporains et d'actualité comme l'emprise et la masculinité toxique à travers la relation qu'entretiennent Christine et Raphaël Vorski, interprétés par Virginie Ledoyen et Charles Berling.
"Christine est un personnage très paradoxal. Elle est à la fois très déterminée dans sa quête, et en même temps très vulnérable", confiait Virginie Ledoyen, vue récemment sur le petit écran dans Nona et ses filles. "Elle est quasiment sous emprise. Elle a cette relation avec son mari qui est presque sclérosante. Elle a l'impression qu'elle ne peut rien faire par elle-même, alors qu'elle est quand même assez volontaire".
Et pour Charles Berling, l'autre tête d'affiche de la série, c'est justement le côté très négatif de Vorski qui l'intéressait. "Ce qui m'a tout de suite plu c'est la nature même du rôle. On me propose souvent d'incarner des personnages plutôt positifs, mais c'est rare qu'on me propose d'incarner des personnes aussi mauvaises".
"On ne peut pas dire que Vorski brille par son humanité. Il est un peu malade. Tout ce qu'on construisait avec Frédéric et Virginie, c'était des pistes qui soient plausibles tout en avançant masqué pour préserver cette révélation à la fin de la série. Frédéric me dirigeait beaucoup en fonction de ça. Il me disait parfois "Attention, tu dévoiles trop là". C'était passionnant et très nouveau pour moi".
Et si Vorski, coupable de la mort d'Emilie Clavel et de la tentative de meurtre sur son fils, Paul, à la naissance, commet des actes horribles, c'est avant tout par "folie amoureuse" car il est convaincu que sans la "mort" de Paul, Christine et lui n'auraient jamais pu s'éloigner de Sarek et vivre heureux durant toutes ces années.
"J'aime beaucoup les zones grises, je n'aime pas le manichéisme prononcé", poursuivait Charles Berling au cours de cette conférence de presse. "J'essayais de trouver un rapport d'amour fort, radical, entre ces deux personnages, qui amène à cette catastrophe. Mais je n'avais pas en tête de jouer un méchant. Je joue quelqu'un qui est pris dans sa propre radicalité amoureuse. C'est par folie amoureuse qu'il fait ça, mais c'est quand même par amour".
"Il y a des résonances d'un machisme très culturel qui est ici poussé jusqu'à l'extrême. Et ce qui est intéressant c'est que Christine finit par s'apercevoir qu'elle était avec ce type horrible. On peut vivre des années avec quelqu'un qu'on ne connaît pas. C'est un des très beaux points de cette série".
"Charles ne jugeait pas son personnage. C'est ça l'intelligence qu'il a eu d'emblée", finissait par conclure le réalisateur Frédéric Mermoud. "Et grâce à ça, il amène son personnage à un endroit pas du tout attendu dans les épisodes 5 et 6. Il y a un vrai élan d'amour, tellement fou, qui raconte aussi une masculinité qui vacille".
"Le fait de ne pas juger Vorski donnait une vraie force au récit. On a pu styliser les deux derniers épisodes, et cette confrontation entre Christine et Raphaël, avec des moments d'une ambiguïté assez folle. Même à la fin, lorsqu'ils sont sur le rivage, il a une sorte d'élan qui fait que ce couple nous emmène vers des endoits assez inédits".
Une proposition assez étonnante pour France 2, entre thriller, horreur et saga, qui a permis à la chaîne d'être leader durant les trois semaines de diffusion, avec 3,38 millions de téléspectateurs en moyenne, soit 16,7% du public. De bons scores qui ne motiveront pas pour autant une saison 2 puisque L'île aux 30 cercueils est une mini-série bouclée qui se suffit à elle-même.