Son nom n’est peut-être pas aussi évocateur que celui de Steven Spielberg ou de Brian De Palma. Pourtant, Adrian Lyne a considérablement marqué le Hollywood des années quatre-vingt. Il est à l’origine d'une poignée de succès qui ont bousculé cette décennie et celle qui a suivi. Sa spécialité ? Les couples en crise, l’infidélité et la jalousie avec, toujours, un soupçon d’érotisme.
Après un récit d’apprentissage porté par Jodie Foster, un film de danse devenu indémodable et un drame endiablé avec Kim Basinger et Mickey Rourke, le cinéaste impose sa marque de fabrique. Avec Liaison Fatale, il réalise l'un des cartons de l’année 1987 et décroche six nominations aux Oscars. Cette histoire d’obsession maladive popularise le sous-genre du thriller érotique auprès du grand public.
En 2002, il met en scène Infidèle, le destin d’une femme mariée qui s’autorise une aventure avec un homme plus jeune. Pour ce film, Diane Lane reçoit une nomination à l’Oscar de la meilleure actrice. Le travail du cinéaste continue de parler aux foules, mais il se met en retrait pendant 20 ans. Eaux Profondes signe son grand retour. L’époque a changé, mais Adrian Lyne continue, comme au bon vieux temps, de travailler ses obsessions.
AlloCiné : Les mariages en péril ont toujours été une source d’inspiration inépuisable pour vous. Comment expliquez-vous cette fascination ?
Adrian Lyne : J'ai toujours été plus attiré par l'intime que par les épopées grandiloquentes. Je peux apprécier un film comme Dune ou Matrix, mais ce n’est pas quelque chose que j’ai envie de faire. Je préfère les histoires où les spectateurs peuvent se glisser sous la peau des acteurs pour vivre par procuration à travers eux.
Après une longue absence, vous revenez avec Eaux Profondes. Qu’est-ce qui a motivé votre désir de porter cette intrigue à l’écran ?
J'adorais le roman, même s'il est un peu différent. C'est l'histoire d'un homme qui n’est plus attiré sexuellement par sa femme et qui ne supporte plus qu'elle aille voir ailleurs. Il élimine ses amants et à la fin, il la tue. J’ai donc un peu modifié ce troisième acte pour qu'il y ait une sorte de complicité entre eux.
Par exemple, au début du film, lorsqu'ils sont dans une fête, le mari va à la fenêtre et il voit son épouse dans les bras d’un autre homme. Elle l'embrasse, lève les yeux et sait que son compagnon la regarde. Plutôt que d'être déconcertée, elle continue. Je trouvais ça intéressant. Cette séquence illustre l'ambiguïté de leur relation.
Sur le tournage, Ana de Armas me répétait sans cesse : "Ils vont me détester ! Ils vont me détester !” Et je pense que c’est le cas, mais ce n'est pas grave d'être détestée. Son personnage n’est pas tendre, mais le défi était de créer une histoire d’amour tordue.
Lorsque l’on parle de votre cinéma, les mots “polémique” et “controverse” ne sont jamais très loin. Appréciez-vous l’idée de provoquer le malaise chez les spectateurs ?
J'aime quand un film suscite le débat, une discussion et que les gens ne sont pas d'accord. Je trouve ça important qu'ils n'oublient pas votre film après le dîner. C’est ce que j’ai toujours essayé de faire.
Depuis Infidèle, en 2002, l’industrie du cinéma a beaucoup changé. Est-ce plus compliqué de monter un film sur des sujets tabous aujourd'hui, comme c’est le cas avec Eaux Profondes ?
Je pense que cela a toujours été difficile. Peut-être un peu plus maintenant. Les studios veulent à tout prix lisser les choses, les simplifier et se séparer des petits détails dans un scénario. Pourtant, ce sont toujours ces détails qui rendent les choses plus intéressantes.
Eaux Profondes est le projet le plus compliqué que j'ai mené jusqu'à maintenant. Ce qui est difficile, c’est le montage. Je mets d'ailleurs beaucoup de temps à monter mes films. Il faut se séparer du superflu, que le film soit concis, sans en perdre l'essence. C'est très difficile. A cause de la pandémie, je l'ai fait à distance, ce qui était intéressant. Je n'avais jamais fait ça auparavant.
Avez-vous changé quelque chose dans votre manière de filmer ?
J'ai tourné le film en numérique, ce qui m'effrayait un peu parce que j'ai toujours tourné en pellicule, mais j'ai aimé ça. J’ai même préféré parce qu'il y avait plus de spontanéité. Éclairer une scène ne prenait pas autant de temps, c'était une heure au lieu de quatre. Je pouvais utiliser la lumière naturelle et y ajouter un petit quelque chose.
Beaucoup de vos films sont devenus des classiques. Certains vont même être adaptés en mini-séries, comme Flashdance et Liaison Fatale. Comment vivez-vous l’intérêt que portent le public et l’industrie à votre travail après tant d’années ?
Si c’est vraiment le cas, je suis ravi. Liaison Fatale, c'est particulier. Le film est même entré dans le langage quotidien avec le terme “bunny boiler” - en référence à une scène clé -, qui est devenu une expression. Mais c’était une excellente histoire. Je me souviens que j’étais en France, dans ma maison en Provence. Je lisais le script et je ne pouvais pas m’arrêter de tourner les pages.
Si vous ne parvenez pas à poser un scénario, c'est souvent bon signe. J’étais assis sur les marches de mon escalier et je suis allé réveiller ma femme. Je lui ai dit : “Si je ne foire pas ce film, je tiens peut-être un grand succès.” Peut-être que j’ai juste du nez pour ce qui intéresse le public (il sourit). Je fais juste ce que j'ai envie de faire et ce qui m'attire.
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 3 mars 2022.
Vidéo écrite par Thomas Desroches et montée par Constance Mathews.
Eaux Profondes est disponible sur Amazon Prime Video.