Le documentaire La Campagne de France est dans les salles depuis ce mercredi, plongée humaine dans la campagne municipale de 2020 dans le village de Preuilly, et ses trois listes très différentes. Pour l'occasion, AlloCiné s'est entretenu avec Sylvain Desclous, metteur en scène du film.
AlloCiné : C’est la troisième fois que vous tournez à Preuilly-sur-Claise après La peau dure et une partie de Vendeur, votre long métrage de fiction, d’où vient votre attachement à ce village ?
Sylvain Desclous : C'est le village de mes grands-parents, ils y ont vécu, y sont morts, c'est aussi celui de mon oncle, de ma tante, où j'ai passé quasiment toutes les vacances d'été quand j'étais gamin (...) donc c'est un village que je connais depuis une cinquantaine d'années.
On sent que vous êtes intéressés par les personnes qui l’habitent et leurs préoccupations qui sont terriblement concrètes, c’était votre volonté, de saisir à l’image ces enjeux du quotidien ?
Au début, j'ai eu très envie de réitérer l'expérience documentaire que j'avais initié avec La Peau dure et de faire cette fois un long métrage qui se passe au village, non pas pour faire un film sur le village, mais pour faire un film dans le village. Et c'est à ce moment que se profilent les élections municipales [de 2020, NdlR].
Et j'ai eu l'intuition que filmer le village, sa vie, ses habitants au moment d'une élection municipale que tout le monde attendait impatiemment serait intéressant, surprenant, et que ce serait un bout de campagne dans la campagne.
(...) Quand j'ai commencé à écrire le film, il y avait deux listes qui s'apprêtaient à s'implanter, et un mois avant le début du tournage, Mathieu Barthélémy m'a appelé pour me dire qu'il avait créé une troisième liste, ce qui était très surprenant et assez prometteur, bénéfique pour le film.
Et quand il m'a dit que sur cette liste qu'il montait il allait faire équipe avec Guy, j'ai compris qu'il se passait plein de choses et que j'avais mes deux personnages principaux. Et que ce qui allait faire la campagne municipale, surtout dans un village de 1000 habitants, c'étaient des objectifs et des enjeux (...) extrêmement concrets et quotidiens.
Vous mentionnez Guy Buret et Mathieu Barthélémy, les connaissiez-vous avant de tourner le film et pourquoi avoir choisi de les montrer principalement eux, et moins les autres candidats ?
Dès que Mathieu et Guy ont fait irruption dans la campagne, j'ai su que mon film était là, qu'il fallait que je les suive pour avoir un film surprenant, drôle et émouvant. C'est là que j'ai décidé que mon film ne serait pas un documentaire sur les élections avec égalité de temps de parole entre les trois listes, mais la campagne vue par un prisme particulier.
Je me suis rendu compte assez rapidement que [Mathieu et Guy] avaient tous les attributs d'un couple de cinéma, comme dans un buddy movie. Ils s'entendent parfaitement (...), ils ont acquis une décontraction par rapport à la caméra et une liberté de ton et de parole qui était jouissive à filmer et à monter.
Quand j'ai vu Mathieu débouler dans la campagne, j'ai eu une image de Jacques Tati : il marche à grands pas, il a une énergie, une fougue, il a ses cheveux qui flottent au vent, il n'y en a pas 50 des comme lui !
Quant à Guy, tout le monde le connait au village, pas grand-monde ne l'aime -ce qui transparait dans le film- c'est un peu la grande gueule qui déborde un petit peu et dont la gouaille et les coups de gueule lui ont valu beaucoup d'inimitiés dans le village. Ça me plaisait aussi de gratter et voir qui il était vraiment (...).
Le fait que les trois candidats de Preuilly se disent tous sans étiquette dénote-t-il selon vous une volonté de "résistance" symbolique, du village de Preuilly ou un désintéressement de la classe politique pour des lieux jugés trop petits pour y envoyer des candidats de partis ?
Je pense que c'est ni l'un, ni l'autre et que cela traduit une espèce de méfiance assez forte vis-à-vis de la politique nationale, des postures et des débats hors sol. (...) Comme s'ils avaient peur que l'attachement à une étiquette puisse leur nuire, les salir.
Avec le fait d'être à l'échelon local, est-ce qu’il n’y a pas aussi une certaine "violence" des rapports humains, qui est peut-être plus personnelle que lors des débats à l’élection présidentielle par exemple ? Je pense au monsieur qui prend le micro pour s'en prendre oralement à son voisin et lui dire qu'il ne l'aurait jamais suivi.
Contrairement à vous, je trouve cela assez sain, et ce n'est pas si violent que ça. Le fait de dire à quelqu'un : "de toute façon, je ne t'aurais pas suivi" est tout de même beaucoup moins violent que...
Je suis d'accord avec vous, mon terme "violent" n'est pas adapté, ce que je voulais dire c'est que cela permet des interactions plus directes.
Oui, c'est sûr qu'une campagne politique à l'échelon d'un petit village où tout le monde se connait depuis quasiment toujours va mettre en contact beaucoup plus frontalement les adversaires. (...) Mais j'ai trouvé ça extrêmement humain (...), respectueux et franc du collier. Cela ne fait pas plaisir à entendre (...) mais ça a le mérite de la franchise et ça ne m'a pas choqué.
On voit dans le film différentes manières d'appréhender une campagne, entre l'ultra préparation des uns, l'amateurisme des autres, ceux qui organisent une réflexion participative à 4 jours de l'élection, ou la sérénité du maire en place qui semble à peu près certain de repasser. Est-ce que vous avez constaté une relation entre la méthode et le résultat pour chacun des candidats ?
Non, car je n'étais pas assez au fait de la stratégie des trois listes, mais ce que j'ai identifié très vite, c'était que la liste de Mathieu et de Guy était celle dont on allait parler le plus et que le côté extra-terrien de Mathieu allait sûrement lui poser problème à un moment donné et que la présence de Guy sur sa liste allait poser souci.
Vous n'hésitez pas à aborder des moments plus forts, comme les scènes entre Mathieu et son père, l'intime vous intéressait-il pas autant que la campagne, finalement ?
Jamais je n'aurais pu penser que l'on pourrait avoir accès à ces scènes-là et que le film pourrait avoir des parenthèses aussi émouvantes (pour le père de Mathieu) ou drôles sur les aléas de la campagne. (...) Je savais que je voulais faire un film court, tendu (puisqu'on veut savoir qui gagnera l'élection), avec des personnages principaux forts, avec lesquels on se trouve en empathie, que l'on veuille voter pour eux ou non, je me suis autorisé ce pas de côté avec Mathieu.
(...) Ce sont des scènes tendres qui nous aident à comprendre d'où il est, d'où il vient et ce qui le meut. Le fil rouge du village, on comprend que c'est le père qui tient l'autre bout.
Ce qui est intéressant, c'est qu'au début du film, le spectateur est placé dans la même position que l'habitant de Preuilly qui se dit que ce Mathieu Barthélémy est un opportuniste, débarquant de Paris pour se faire une place, et le film démonte cet a priori.
(...) Je pense que le spectateur peut avoir un a priori au début en se disant : "on va un peu se foutre de la g***le des ruraux et des élections locales" et j'ai particulièrement à coeur de faire un film qui prend le parti inverse et va au-delà des apparences.
Je n'ai pas fait un film pour délivrer un message sur les élections, la ruralité ou la démocratie mais pour essayer d'aller filmer des gens de la façon la plus vraie possible, pour susciter l'émotion et l'empathie du spectateur. (...) Je voulais qu'on découvre une complexité.
Cette complexité est représentée aussi par Mathieu, qui a à la fois une certaine maladresse mais il est aussi extrêmement organisé, il martèle -à raison- qu'il propose des solutions dont il a vérifié qu'elles sont applicables, il s'est investi corps et âme dans cette élection.
Tout à fait, et ce que vous dites illustre le troisième sens du mot campagne. Il y a la campagne de France au sens rural du terme, la campagne au sens électoral et la campagne au sens un petit peu militaire, car Mathieu a pris cette chose très à coeur et agissait en général de troupe en balisant ce qu'il fallait faire ou ne pas faire pour gagner, donc vous avez complètement raison.
Enfin, le film nous a rappelé une chanson de Gauvain Sers, Les oubliés et qui est sur cet abandon des campagnes et dont le refrain dit : "On est les oubliés / La campagne, les paumés / Les trop loin de Paris / Le cadet de leurs soucis" et je trouve que cela résonnait avec votre film. Avec un couplet qui dit "Qu'il est triste le préau sans les cris des marmots", cela fait vraiment écho aux problématiques de Preuilly qui essaye de faire rester les jeunes au village.
[Pour La Campagne de France], c'est Bertrand Belin qui a composé la musique, et son style comme sa patte ajoutent beaucoup à ce sentiment un peu poétique et un peu humoristique que dégage le film. Mais c'est drôle car (...) je lisais une interview de Benoît Coquard et Yaëlle Amsellem-Mainguy dans Le Monde, deux sociologues spécialistes des mondes ruraux (...) et les deux citaient les chansons de Gauvain Sers comme l'un de ceux qui a parfois mis le plus joliment en paroles et en chansons les problématiques rurales. Je ne connais pas, mais je vais écouter de ce pas !
Propos recueillis le 3 mars 2022.