Première adaptation française du roman culte de Michel Houellebecq (lauréat du prix Novembre en 1998) après un premier essai au cinéma du réalisateur allemand Oskar Roehler en 2006, Les Particules élémentaires raconte l'histoire de deux demi-frères, Michel Djerzinski (Jean-Charles Clichet), chercheur de génie spécialisé dans la biologie moléculaire, et Bruno (Guillaume Gouix), enseignant et jouisseur torturé qui rencontre l'amour dans un camping post soixante-huitard, au début des années 2000.
Un film fait de nombreux flash backs situés dans les années 1960, on découvre leur enfance aux côtés de leur mère, Janine (Pascale Arbillot), une ancienne hippie qui a toujours refusé d'élever ses enfants de manière conventionnelle, mais aussi Annabelle (Déborah François), amie d'enfance de Michel dont il tombe amoureux.
Une satire féroce de la société moderne minée par la solitude et l'individualisme adaptée pour France Télévisions par le scénariste Gilles Taurand (Twist à Bamako). Un travail d'adaptation "colossal" qui a duré quatre ans et demandé des partis pris forts pour adapter un livre faisant plus de 500 pages, qui s'écoule sur trois décennies et dans plusieurs pays, en un unitaire de 120 minutes.
"Il faut reconnaître le courage et la prise de risque du service public sur un programme de prime time. Je pense que peu de chaînes en Europe oseraient s'attaquer à un livre aussi sulfureux, à un auteur aussi clivant. Ce n'est pas un coup d'audience pour la chaîne de faire faire ça, c'est vraiment pour accompagner une audace artistique" déclare le producteur.
L'enjeu étant de ne pas trahir Houellebecq et d'amener son oeuvre au grand public, explique-t-il. "La rendre accessible, mais en restant amoral" résume Guillaume Gouix. Le scénariste a dû faire des choix : couper des pans de l'histoire, sacrifier quelques personnages et réinventer d'autres choses pour créer du lien entre les différents parcours de Michel, Bruno et Anabelle.
"Quand j'ai lu le scénario la première fois, je me suis dit qu'il y avait de très fortes chances que j'allais devoir restructurer la narration au montage, et en fait pas du tout", poursuit le réalisateur Antoine Garceau, qui avait déjà collaboré avec France 2 en travaillant sur les séries Dix pour cent et César Wagner.
Le film navigue entre deux temporalités, celles de l'enfance de Michel et Bruno à la fin des années 1960 et celle de leur vie adulte à l'aube du XXIème siècle. "J'ai monté le film dans l'ordre du scénario, à de très rares exceptions près. Je n'ai pas eu besoin d'artifices de montage pour qu'on comprenne le passage d'une époque à l'autre, et du suivi qu'on a de ces personnages."
Comment les acteurs se sont-ils confrontés à l'oeuvre d'un auteur aussi controversé ? "Houellebecq est autant attirant que repoussant", commente Guillaume Gouix. "Il regarde l'humanité avec un scalpel. J'ai l'impression de voir un homme en train de disséquer une grenouille, mais avec des humains."
Sur le plateau, Déborah François (L'Ecole de la vie) s'amuse à interroger chacun sur sa perception du roman, qu'elle n'avait elle-même pas lu et découvre à travers le script. "C'est tellement clivant que chacun me racontait le livre d'une façon différente. J'ai trouvé ça fascinant. C'était vraiment une bonne idée de l'adapter, car il y a tellement de choses dedans que ça laisse libre cours à plein d'interprétations."
"Sans épouser tout ce que [Houellebecq] raconte, c'était un peu un rêve de jouer ce personnage-là, à la fois drôle et cynique, repoussant mais qui a du succès... Il est dans le paradoxe permanent. C'est génial pour un acteur", explique Jean-Charles Clichet, vu dans Mytho et Une Belle Histoire.
"Dans son écriture même, on sent qu'il y a des passages terriblement feignants, et puis ensuite des sortes d'envolées d'une magie littéraire... On passe du grand au petit, du laid au beau. C'est un grand auteur d'aujourd'hui. Après, on peut discuter de ses positions, mais je ne suis pas reposé là-dessus", ironise-t-il.
"Pour moi, Houellebecq est le plus grand écrivain français vivant", renchérit Patrick Mille, qui incarne le père démissionnaire de Bruno. "Donc j'attendais beaucoup de l'adaptation des Particules, et tous les thèmes étaient bien retranscris dans le temps imparti. Ca montre une époque qui n'est plus du tout celle d'aujourd'hui, c'est impensable. C'est le propre des fictions, de montrer des choses qui paraissent impensables maintenant."
Evolution notable par rapport au roman, les personnages féminins, notamment celui d'Anabelle, ont été réhaussés, selon Anthony Garceau. "Dans le livre de Houellebecq, les personnages masculins sont toujours un peu désespérés. L'émotion et de l'attachement passent justement par les personnages féminins, pour aller comprendre ces deux frères. Les portraits de femmes autour d'eux permettent de mieux comprendre qui ils sont."
Ces deux demi-frères souffrant de névroses, l'une psychique et l'autre psychologique, sont comme deux parties d'un même personnage. " Pour le réalisateur, Gilles Taurand a fait gagner en humanité à ces deux personnages par rapport au livre.
"Il a fait en sorte qu'on ne les observe pas seulement de façon ultra-clinique, mais qu'on s'étende un peu plus sur leur psychologie, quu'on comprenne leurs blocages affectifs - la solitude de Michel, les obsessions de Bruno - et qu'on soit plus en empathie avec eux. Ce qui n'est pas forcément simple..."
Mais respecter l'esprit du roman, c'est aussi ne pas occulter toutes les scènes "un peu sulfureuses", selon Antoine Garceau, notamment sur les obsessions sexuelles de Bruno et l'esprit new age des années 1960 propices aux scènes d'orgie. "C'est du prime time qui sent la clope et le cul" renchérit Guillaume Gouix.
Mais aussi sur certaines séquences difficiles, notamment le traumatisme subi par Bruno enfant lorsqu'il était au pensionnat. "Je pense qu'on les a traités comme il fallait", poursuit le réalisateur.
Le romancier, quant à lui, n'a pas demandé d'avoir le contrôle fr l'adaptation, et a simplement validé le choix du scénariste et du réalisateur. "C'est sa façon de faire, soit il ne veut pas que ses livres soit adaptés, et lorsque c'est le cas, il choisit à qui il les cède, et ensuite c'est une nouvelle oeuvre qui se fait à partir de la sienne."
Une figure aussi clivante qu'incontournable qui a servi de référence pour le personnage de scientifique solitaire de Michel. Le romancier était très proche du biologiste Jean Rostand dans sa jeunesse ; très à l'aise avec les concepts scientifiques, c'est un domaine qui l'a toujours fasciné, le mettant au service de son étude chirurgicale de la société contemporaine.
"La chance qu'on a avec Houellebecq, c'est que c'est un personnage médiatique qui, on ne peut pas le nier, parle de lui dans ses livres. Même s'il s'agit d'autofiction, on a des références", conclut Jean-Charles Clichet. "J'ai essayé d'imaginer une sorte de Houellebecq possible, probable." Plus humain aussi, peut-être.
Propos recueillis lors du Festival de la Fiction TV de La Rochelle 2021