Depuis sa sortie le 24 décembre dernier, Don’t Look Up n’a cessé d’occuper le top 10 de Netflix mais surtout d’alimenter les conversations. La métaphore du film pour parler du changement climatique semble avoir une caisse de résonnance beaucoup plus forte que l’alerte lancée par exemple par Jacques Chirac en 2002 lors du 4ème Sommet de la Terre, lorsqu’il avait dit : "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs."
Devant le phénomène culturel et médiatique, nombreux sont les intellectuels à rebondir sur le film, à l’analyser, le porter aux nues, à nuancer son propos quand certains déplorent qu’il faut en arriver là pour commencer à s’alarmer. Et c’est vrai que Don’t Look Up a quelques arguments pour remettre le débat sur la crise écologique au centre des préoccupations.
Sa diffusion sur Netflix, qui compte plus de 200 millions d’abonnés dans le monde, et son casting complètement fou, avec Leonardo DiCaprio en tête, constituent des atouts majeurs. Fervent défenseur de la cause écologique, l'acteur semblait tout indiqué pour incarner le Dr Randall Mindy qui ne parvient pas à trouver une oreille attentive lorsqu’il annonce qu’une comète va s’écraser sur la planète dans 6 mois.
Les scientifiques
La communauté scientifique a été la première à sauter sur l’occasion et saluer le message du film. Quand certains ne s’intéressent qu’à l’aspect un peu trop littéral du film – à savoir la destruction de l’humanité par une comète – Time Magazine en profite pour remettre en avant les travaux de la NASA en la matière et l’impressionnant arsenal mis en place pour détruire un astéroïde qui foncerait tout droit sur la Terre.
Pour l'astrophysicien Neil deGrasse Tyson, la comédie catastrophe satirique d'Adam McKay sonne tellement juste qu’il a plaisanté sur Twitter en disant que Don't Look Up est en fait un documentaire.
"Enfin vu le film @Netflix "Don't Look Up", un conte fictif sur une nation distraite par la culture pop et divisée sur l'opportunité de tenir compte des terribles avertissements des scientifiques. Tout ce que je sais sur l'info en continu, les talk-shows, les médias sociaux et la politique me dit que le film était plutôt un documentaire" écrit-il.
Dans The Guardian, c’est le climatologue Pierre Kalmus qui affirme que Don’t Look Up capture la folie qu’il voit tous les jours : "Le film Don't Look Up est une satire. Mais en tant que climatologue faisant tout ce que je peux pour réveiller les gens et éviter la destruction planétaire, c'est aussi le film le plus précis sur la terrifiante non-réponse de la société à la dégradation du climat que j'ai vu."
Lisa Graumlich, présidente élue de l'American Geophysical Union et professeure à l'École des sciences environnementales et forestières de l'Université de Washington, a déclaré à Yahoo News : "Je suis passée du rire aux larmes, parce que ça sonnait tellement vrai. (...) Ne pas être prise au sérieux, parfois ridiculisée par la presse, avoir des politiciens parfois attentifs pendant un moment mais ensuite perdre leur concentration, pour beaucoup d'entre nous, c'était très proche de ce que nous avons vécu."
Les intellectuels de tous horizons
En France, le phénomène ne fait pas exception. Maxime Abolgassemi, professeur de culture générale en classes préparatoires à Rennes, s’est fendu d’une tribune dans Le Monde. Il y défend le film et l’engouement tout autour car cela confirme la leçon de La Fontaine dans Le Pouvoir des fables. En résumé, sonner l’alerte ne suffit pas à mobiliser. Pour souder le peuple, il faut lui raconter une histoire, le divertir, puiser dans son pouvoir d’imagination et là, il se mobilisera.
Toujours dans Le Monde, Elise Domenach, philosophe et maître de conférences en études cinématographiques à l’Ecole normale supérieure de Lyon, replace le film dans une histoire de l’écocinéma auquel appartient entre autres Cyril Dion, lui aussi fervent supporter de Don’t Look Up. Mais elle égratigne un peu le film, lui reprochant d’être trop démonstratif, et interroge sa capacité à provoquer un réel bouleversement politique et sociétal.
Une autre tribune, plus critique encore, a été publiée dans Le Monde. C’est l’écologue Philippe Grandcolas qui prend la plume pour dénoncer non pas le film en lui-même mais les réactions des scientifiques face au film. Ce directeur de recherche au CNRS reproche à ses confrères de faire l’impasse totale sur la crise de la biodiversité.
"Un silence d’autant plus choquant que le hashtag #dontlookup, omniprésent, dénonce fortement le déni climatique… mais fait l’impasse totale sur celui de la crise de la biodiversité. Serait-ce un déni dans le déni ?" écrit-il.
C’est la première fois que l’on voit un film Netflix devenir un tel phénomène culturel qui bouscule et interroge sur un sujet aussi urgent que le changement climatique. Une question se pose cependant au regard de toute cette agitation : est-ce la puissance de frappe de Netflix qui permet de remettre ce sujet brûlant au cœur du débat ou cette fable moralisatrice n’a-t-elle d’autre but que de redorer le blason de la plateforme ?