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    "Don't Look Up ? C'est un peu ma vie..." : Cyril Dion (Animal) décrypte le film Netflix
    Yoann Sardet
    Rédacteur en chef depuis 2003 - Fan de SF et chasseur de faux raccords et d’easter-eggs, cet enfant des 80’s / 90’s découvre avec passion, avidité et curiosité tous types de films et séries.

    Réalisateur des documentaires engagés "Demain" et "Animal", Cyril Dion fait partie des spectateurs Netflix touchés par la satire "Don't Look Up", portée par Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence. Il revient avec nous sur le message du long métrage.

    Depuis la mise en ligne de Don't Look Up : déni cosmique sur Netflix le 24 décembre dernier, la satire d'Adam McKay bat tous les records sur la plateforme. Et surtout, le long métrage génère une intense conversation entre spectateurs et spectatrices, critiques, journalistes, activistes ou politiciens, à tel point que le hashtag #DontLookUp a aujourd'hui largement dépassé le simple cadre cinématographique sur les réseaux sociaux, en s'imposant comme un marqueur des questions (ou de l'inaction) face au changement climatique et à la crise écologique. Réalisateur des documentaires Demain et Animal, actuellement au cinéma, Cyril Dion a lui aussi beaucoup évoqué Don't Look Up depuis la fin d'année dernière. L'occasion de revenir avec lui sur l'impact du film et de son message.

    Don’t Look Up: Déni cosmique
    Don’t Look Up: Déni cosmique
    Sortie : 24 décembre 2021 | 2h 22min
    De Adam McKay
    Avec Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep
    Presse
    3,8
    Spectateurs
    3,9
    Voir sur Netflix

    AlloCiné : Quel regard portez-vous sur "Don't Look Up" ?

    Cyril Dion (réalisateur) : J'adore. Je pense que je suis l'un des premiers en France à l'avoir vu. Comme j'adore Adam McKay, on s'était donné rendez vous avec mon fils à 9h30 du matin le 24 décembre, dès qu'il est sorti, pour le regarder. Et je n'ai pas arrêté pendant tout le film de dire -et d'ailleurs mon fils en avait marre- : "Mais il est tellement brillant. Mais c'est tellement génial. Mais c'est dingue !" Parce qu'il a trouvé une forme -qu'il a déjà expérimentée avec The Big Short et Vice- qui mélange à la fois la satire, la comédie et les codes du blockbuster.

    Il a réussi à construire des personnages qui sont particulièrement touchants. Et il faut bien reconnaître qu'il y a beaucoup de situations qui m'étaient très familières... Quand ils se retrouvent sur le plateau de l'émission de télé, qu'ils passent après Ariana Grande et puis qu'ensuite, il y a encore un autre truc et qu'il faut faire tout ça avec le sourire, ne pas s'énerver et dire les choses gentiment... clairement c'est un peu ma vie. Quand je me retrouve dans des émissions avec beaucoup d'audience, c'est clairement ce qui m'arrive.

    Netflix

    Quand ils se retrouvent dans le bureau de Meryl Streep à la Maison Blanche, même si évidemment ça ne s'est pas passé de façon aussi caricaturale, quand je suis pour ma part dans les bureaux avec les ministres ou avec Emmanuel Macron, on a le même sentiment de parler comme si ce qu'on disait ne parvenait pas jusqu'à notre interlocuteur. Ils disent qu'ils ont entendu, mais on voit bien que ce n'est pas le cas... Tout ça est donc quand même très bien senti. 

    Et puis, Adam McKay a renouvelé quelque chose dans la forme pour parler de ces questions-là, du changement climatique et de la catastrophe à venir. Sans faire Le Jour d'après. Sans faire ce qu'on fait, nous, avec un documentaire comme Animal. Sans faire un film enquête type Dark Waters. Et ça, c'est fort.

    C'est vraiment un film sur notre incapacité à traiter cette information et à en faire quelque chose.

    Au final, "Don't Look Up" est plus un film sur nous, Humains, face à la situation que sur la situation en elle-même.

    Oui, complètement. C'est vraiment un film sur notre incapacité à traiter cette information et à en faire quelque chose. Et c'est encore une fois extraordinairement bien senti. Il ne fait pas que critiquer les politiques ou les journalistes : même ceux qu'on pourrait qualifier de militants s'en prennent plein la figure.Quand on voit le concert d'Ariana Grande, dans le film... (Rires) On voit bien que ça ne va servir absolument à rien et que tout le monde, soit se fait plaisir pour ce qui est d'Ariana Grande, soit se lance dans une espèce d'acte désespéré... 

    Netflix

    Quand on voit le personnage de Leonardo DiCaprio qui se plait quand même à être un peu flatté, à être très content de faire la couverture des magazines, de passer à la télé, de rencontrer des belles femmes et d'être tout à coup considéré, là aussi, évidemment, on peut s'identifier à tout ça. On est tous sans doute passé par là quand on a été médiatisé autour de ces questions.

    Donc, oui, je trouve qu'il a fait fort. Et puis rien que le fait que le film ait déclenché autant de conversations, c'est ce qu'on attend d'un film en premier lieu. Qu'il fasse parler et que de plus en plus de gens se saisissent du film comme point de départ pour se poser des questions nouvelles. Et ça, Don't Look Up : déni cosmique le fait. Et il le fait dans le monde entier. Donc c'est réussi.

    La bataille culturelle, le cinéma et les séries sont aux premières loges pour la mener.

    Justement, on a l'impression que le message que vous vous portez pourtant depuis toutes ces années n'a jamais autant touché de gens que grâce à ce film et sa diffusion sur une plateforme. C'est évidemment positif mais d'un autre côté, on prend conscience qu'il faut en arriver à une fiction Netflix avec d'énormes stars pour que le message passe. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

    En 2019, j'ai lancé un appel au Festival de Cannes, baptisé "Résister et créer", pour appeler les réalisateurs, les scénaristes et les producteurs à faire des films à grande échelle qui nous aident justement à penser différemment et qui cherchent de nouvelles formes pour parler de tout ça. Donc, je suis ravi que cela se produise. Et je suis cette trajectoire moi aussi, à la fois dans les choses que je suis en train de développer en fiction à travers une série et un film, et aussi en créant un studio pour pouvoir financer de nombreux films chaque année qui participent à réinventer un peu nos imaginaires. Parce qu'on est dans une bataille culturelle. Vraiment. Profondément. Cette bataille culturelle, le cinéma et les séries sont aux premières loges pour la mener.

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    Dans le film, la dernière réplique de Leonardo DiCaprio est "Nous avions tout". J'imagine qu'elle trouve un écho particulier chez vous ?

    Oui, c'est ce qu'on ce qu'on essaie de montrer dans Animal, par exemple. Que la vie est quelque chose de précieux et d'absolument merveilleux. Quand on commence à s'intéresser aux mécanismes des écosystèmes, aux animaux ou aux insectes, c'est complètement fou de voir à quel point tout ça est parfait et extraordinaire. Et à quel point on n'a pas besoin de grand chose pour être heureux, car on peut jouir de tout ça. Ces moments de contemplation et d'émerveillement qu'on a pu traverser en faisant le film, ils ne demandent pas des quantités considérables d'énergie et de technologie. Ils peuvent même se produire juste à côté de chez nous. Et pourtant on regarde ailleurs, et on passe notre temps à chercher toujours plus, toujours plus, toujours plus. C'est sûr que cette phrase, à la fin du film, elle m'a bouleversé. D'ailleurs j'ai lu depuis que c'est Leonardo DiCaprio qui en avait eu l'idée en tournant la scène. Et ça donne un relief considérable à tout le film, cette réplique.

    C'est sûr que cette phrase, à la fin du film, elle m'a bouleversé.

    En parlant du personnage de Leonardo DiCaprio, vous disiez que vous avez souvent été dans sa position. Comment on se protège pour ne pas céder au piège de la vanité, pour ne pas se laisser embarquer dans le piège médiatique ?

    J'ai une femme, des enfants et des amis ! (Rires) Et je peux vous dire que si j'essaie d'avoir la grosse tête, ils me la dégonflent assez rapidement. Il faut garder les fréquentations qui vous ramènent à la réalité, qui vous regardent normalement. Les gens qui se mettent à ne fréquenter que des personnes qui les voient à travers le filtre médiatique, et donc qui les admirent ou qui ont éventuellement envie d'être avec eux par intérêt, ça finit par rendre fou. Et un peu con aussi.

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    J'ai la chance d'avoir un peu de notoriété -même si ce n'est pas fou non plus- mais je l'ai eue assez tard. Vers 36, 37 ans. Donc j'avais déjà une vie, et les amis que j'ai maintenant sont ceux que j'avais avant et ils me connaissent depuis très longtemps et ne sont pas "impressionnés". Ils ne comprennent d'ailleurs pas pourquoi les gens le sont par moi. Donc ça remet les pieds sur terre. Et c'est ce qu'il se passe avec le personnage de Leonardo DiCaprio : tout à coup, quand il revient chez lui et qu'il revient au contact des gens qu'il connaissait avant, il revient un peu sur Terre.

    On voit bien que ce qu'il vit avec Cate Blanchett est complètement faux. D'ailleurs, il y a une scène touchante et assez hilarante quand il lui dit en gros qu'il a des sentiments pour elle dans la voiture : elle a l'air à la fois hyper attendri et un peu effaré. (Rires) Tout ça est complètement faux.

    C'est un film, ça ne suffira pas. C'est une brique parmi d'autres.

    Comme vous le disiez, le film a provoqué beaucoup de discussions très positives et en même temps pas mal de critiques négatives, notamment des médias américains. Comment expliquer cela ?

    On a aussi un peu vu ces critiques en France. En tout cas plutôt de la part des militants, pour dire que c'est finalement un film qui pourrait presque nous dédouaner de notre inaction parce qu'il la met en scène. On peut dès lors se demander quelle peut être la portée du film. Si je compare par exemple avec Demain, où l'on voyait plein de gens se mettre à faire plein de choses un peu partout après avoir vu le film, plusieurs personnes se sont posées cette question avec Don't Look Up en se demandant ce que les gens allaient faire après avoir vu le film.

    Mais d'une certaine manière, je crois que c'est demander au film plus que ce qu'il ne propose. D'une part, ça n'est qu'un film. Il ne faudrait pas non plus être dans une espèce de fantasme qui voudrait que, tout d'un coup, un film provoque une sorte d'épiphanie dans le monde entier et que tout le monde se mette à changer du jour au lendemain. C'est un film, ça ne suffira pas. C'est une brique parmi d'autres.

    Netflix

    Et encore une fois, le propre d'un film et le propre d'une oeuvre, c'est de créer des conversations, de proposer des imaginaires, de faire en sorte qu'un certain nombre de gens se posent des questions qu'ils ne s'étaient pas posées avant. Et de faire en sorte aussi que des gens ne soient pas d'accord et que des points de vue s'affrontent. C'est le propre d'une oeuvre : si tout le monde la voit de la même façon, si tout le monde est d'accord, ça ne provoquerait pas de débat.

    Donc, il y a une certaine logique dans le fait que des gens en attendent plus. Et je comprends, parce qu'ils aimeraient bien qu'un film ait plus de pouvoir que ce qu'il n'a en réalité. Et puis c'est normal qu'il y ait des gens qui ne soient pas d'accord sur l'interprétation qu'ils peuvent en faire. Ou qui ne soient pas d'accord avec ce qui est dit dans le film.

    Pour en revenir à "Animal" le film vit sa vie en salles, mais bien moins fort que "Demain" qui avait attiré plus d'un million de spectateurs. Et cela a été le cas aussi pour les différents films de la sélection Climat à Cannes qui n'ont pas forcément trouvé leur public en salles. Et là, on a au contraire un énorme succès sur Netflix. Est ce que cela veut dire que ces films à impact devraient avoir une autre caisse de résonnance que la salle de cinéma ?

    Je ne vais pas vous mentir, on s'est quand même fait la réflexion au moment où ça a été très dur en salles au moment de la sortie. Nous en sommes aujourd'hui à 130 000 entrées avec Animal, ce qui est très bien pour un documentaire, mais effectivement on aurait voulu plus. Étant donnés la couverture presse et le succès des avant-premières, on n'a pas pu s'empêcher de se dire que si le film était sur Netflix ou une plateforme, il aurait sans doute trouvé un public plus large. Particulièrement en ce moment où c'est plus difficile de faire sortir les gens de chez eux, où il y a une baisse structurelle de la fréquentation à l'exception de Spider-Man, et où les films sont de plus en plus faciles d'accès sur les plateformes.

    UGC Distribution / Orange Studio

    Au mois de décembre, on a eu les films de Paolo Sorrentino, de Jane Campion et de Adam McKay en exclusivité sur Netflix. Des films que les gens pouvaient regarder simplement en allumant leur télé là où il fallait les attirer en salles, les faire sortir de chez eux, leur faire mettre un masque, présenter un pass, éventuellement faire des kilomètres... Il y a une sorte d'incompréhension pour un certain nombre de gens qui se demandent pourquoi Animal n'est pas sur une plateforme. Pourquoi est-ce que je ne peux pas y avoir accès, là, tout de suite ? J'ai reçu plein de messages de gens qui me disaient être d'accord pour payer pour le voir en ligne.

    On essaie d'expliquer à ces gens que la chronologie des médias, ça existe en France. C'est ce qui a protégé les cinémas pendant des années et qui fait qu'on a des salles de cinéma en France, contrairement à tout un tas d'autres pays. Et c'est de plus en plus difficile à comprendre pour eux, étant donné la facilité d'accès pour les films sur les plateformes et le fait que des films sortent de plus en plus en exclusivité. Et de grands films. Honnêtement, les films que j'évoquais sont les trois meilleurs films que j'ai vus en décembre. C'est donc en train de bouleverser structurellement quelque chose dans la façon dont le cinéma et les films sont distribués.

    Je considère que la salle est vraiment le meilleur endroit pour voir un film. Vraiment. Je n'ai aucun aucun doute là dessus. Mais je vois bien aussi que les modes de consommation des films se transforment profondément.

    Ce qui signifie, peut-être, que sur un prochain documentaire vous vous poserez la question de le diffuser là où il touchera plus de gens ?

    Pour un documentaire, oui. En l'occurence, on est en train de préparer le deuxième volet d'Animal, puisqu'on avait énormément de séquences qu'on n'a pas pu intégrer dans ce film-là.  A priori, je ne pense pas qu'il sortira au cinéma : je pense qu'il sortira sur une plateforme ou à la télévision. En revanche, le film de fiction que je suis en train de préparer, on va le sortir au cinéma. Parce que ça reste important de le faire.

    Ce qui va être une question aussi, c'est la chronologie des médias. En quel laps de temps on va pouvoir voir un film sur une plateforme après sa sortie en salles ? C'est aussi ça le sujet. Parce que là, pour le moment, il faut attendre deux ans et demi. Si on arrive à trouver une articulation qui soit suffisamment proche, je pense que ça résoudrait pas mal de problèmes.

    UGC Distribution / Orange Studio

    "Don't Look Up" montre différentes réactions humaines face à la catastrophe. Le désintérêt, le déni, le rejet, l'apathie, la peur... On assiste, dans la vraie vie, à de plus en plus de phénomènes d'éco-anxiété. Comment gardez-vous espoir alors que le temps commence à être assez compté ? Comment on continue le combat ?

    La crise écologique nous confronte à une angoisse qui ressemble beaucoup à l'angoisse de la mort. En fait, on a peur que tout s'effondre, que ça aille de mal en pis... D'une certaine manière, c'est une peur existentielle qui existe déjà puisque malheureusement nous allons tous mourir un jour. Et ce n'est pas parce qu'on sait qu'on va mourir que l'on perd espoir chaque matin en se levant. Ce serait terrible. On ne se lève pas tous les matins en se disant qu'on va mourir donc à quoi bon faire tout ça et continuer à vivre ?

    Tout n'est pas perdu. Au contraire.

    Ça peut être le contraire. Comme la vie est précieuse et qu'elle est courte, on essaie de lui donner un maximum de sens et on essaie de faire en sorte que chaque journée vaille la peine d'être vécue, soit la plus belle, la plus utile, la plus intense. Moi c'est un peu ça que j'essaie de faire. Me dire que quoi qu'il arrive dans le futur, comment je fais pour avoir chaque matin de bonnes raisons de me lever ? Et pour que ce que je fais me passionne et soit à la fois utile aux autres et par rapport à toutes ces questions-là ? C'est ce qui me donne de l'énergie pour avancer. C'est d'une certaine manière, revenir un peu dans le présent.

    COADIC GUIREC / BESTIMAGE

    Sinon effectivement, si on garde simplement les yeux braqués vers le futur et toutes les catastrophes qui pourraient se produire, ça a quelque chose de paralysant et de décourageant. Et puis, l'autre chose qui me donne de l'espoir, c'est de voir que les êtres humains sont capables du pire mais qu'ils sont aussi capables du meilleur. Quand on a fait Demain ou Animal, on a rencontré des gens absolument formidables qui font des choses absolument formidables.

    Animal
    Animal
    Sortie : 1 décembre 2021 | 1h 45min
    De Cyril Dion
    Presse
    3,5
    Spectateurs
    4,3
    louer ou acheter

    On voit bien qu'on peut et qu'on y arrive. Et que pour plein de choses,  on sait comment il faudrait faire. Ça, c'est aussi un motif d'espoir. Tout n'est pas perdu. Au contraire. Simplement, il faut qu'on sorte de cette espèce de brouillard. C'est ce que montre vraiment extrêmement bien Don't Look Up. On est bombardés d'informations avec les réseaux sociaux, avec le divertissement, avec les chaînes d'info, avec cette espèce d'agitation permanente qui fait qu'une information est chassée par une autre. Nos cerveaux sont sur-sollicités par ce qu'il se passe sur Instagram, sur Snapchat... C'est très difficile de prendre du recul et de créer des priorités dans nos existences pour se dire que ça c'est plus important et que j'y mets de l'énergie. Et que sur le reste, j'arrête de m'agiter et de passer mon temps à regarder des trucs sur Instagram.

     

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