Mon compte
    Le harcèlement scolaire à hauteur d'enfants : Un Monde sort au cinéma et c'est une vraie claque !
    Laetitia Ratane
    Laetitia Ratane
    -Rédactrice en chef adjointe
    Très tôt fascinée par le grand écran et très vite accro au petit, Laetitia grandit aux côtés des héros ciné-séries culte des années 80-90. Elle nourrit son goût des autres au contact des génies du drame psychologique, des pépites du cinéma français et... des journalistes passionnés qu’elle encadre.

    Présenté au Festival de Cannes 2021 et en salles cette semaine, le premier magnifique long métrage de Laura Wandel pénètre le monde de l'enfance, abîmé par le harcèlement scolaire. Un petit bijou et une vraie claque à découvrir absolument. Rencontre.

    Tandem

    Cour d’école. Une petite fille pleure à l’idée d’intégrer un monde inconnu. Elle s’accroche à son grand frère habitué des lieux, l’implorant de ne pas la laisser seule. Déjà le cadre est comme à genoux, à hauteur de ces deux petits êtres à la complicité évidente, que l’on va suivre alors qu’ils pénètrent cet espace a priori protégé, au sein duquel l’adulte n’a pas (plus) le droit de rentrer.

    Cette scène d’ouverture d’emblée bouleversante pose les fondements de ce que tient à nous peindre la sensible Laura Wandel, que l’on a rencontrée à Cannes en juillet 2021, au sein d’un petit jardin aussi isolé (mais plus sécurisé !) que le Monde à part qu’elle décrit dans son film, "celui de l’enfance et de l’école au sein duquel l’enfant découvre les choses pour la première fois, est en confrontation en dehors de la famille à un nouveau microcosme et apprend les codes sociaux. Un moment où des graines sont semées en nous, se répercutent plus tard en tant qu’adultes et influencent nos comportements au sein de la société."

    Un monde
    Un monde
    Sortie : 26 janvier 2022 | 1h 15min
    De Laura Wandel
    Avec Maya Vanderbeque, Günter Duret, Karim Leklou
    Presse
    3,8
    Spectateurs
    3,6
    louer ou acheter

    Espace clos, réduit, violent, à hauteur d'enfants

    Terreau possible de la violence, l’école est en effet cet espace fermé et réduit qui questionne la "notion de territorialité qui fait écho aux conflits du monde en général", notamment via le terrain de foot "qui en Belgique prend la majorité de l’espace" et confine donc ceux qui n’y jouent pas.

    Espace clos, espace violent, mais aussi espace réduit à l’image de la vision de l’enfant sur le monde. Le parti pris est clair pour la réalisatrice : ne jamais sortir de l’école, ne pas entrer dans l’univers familial et, afin de placer le spectateur en immersion et l’aider à se remémorer les choses vécues enfants ou par ses enfants, ne jamais quitter le regard bleu intense de l’héroïne du film, dont on suit le cheminement intérieur. Un point de vue qui laisse souvent littéralement hors champ les adultes pourtant désireux de bien faire, que ce soit le père (Karim Leklou toujours aussi physique, intense et charismatique) ou l’institutrice (Laura Verlinden d’une tendresse rare).

    "Il y avait vraiment une volonté de ne pas porter de jugements sur les actions des adultes qui essaient de faire comme ils peuvent. Mais dans tous les mécanismes de la violence, c’est difficile de repérer où cela commence, la racine des choses. Un enfant qui fait souffrir un autre est lui-même en souffrance dans un certain sens, il a manqué d’écoute et de bienveillance et j’ai essayé de transmettre cela notamment avec la scène du directeur où on peut sentir que le père du petit Antoine n’est pas bienveillant et que sa violence ne vient pas de nulle part."

    Alors qu'il souligne l'impossibilité d'agir des personnages, le hors champ rend en revanche le spectateur plus actif, "corporellement, pas que intellectuellement" selon les voeux de la cinéaste : en effet, pendant les 1h13 de film, nous nous sentons engagés viscéralement aux côtés de ses héros émouvants, incarnés par deux jeunes acteurs prodigieux qu’il ne faudra plus jamais quitter des yeux.

    Deux héros attachants, deux acteurs à suivre absolument

    Maya Vanderbeque et Gunter Duret : ils étaient ce jour-là à Cannes, devant nous aussi intenses que leurs personnages, répondant avec plaisir à nos questions, évoquant avec franchise leur émotion face aux réactions de la salle lors de la projection du jour, heureux de porter ce sujet dont -ils nous rassurent lorsqu'on leur pose la question- "on parle le plus à l’école, surtout dans les conseils de classe". Si Gunter a déjà joué auparavant, c’est la première fois pour Maya qui d’emblée nous impressionne par son engagement : "Je savais dès que j’ai vu Laura que je voulais être sur ce film, être avec elle, et c’est pour cela que je lui ai dit « moi je donnerai tout pour le film », c’est-à-dire toute ma force", nous confie-t-elle.

    Une force qui crève l’écran, mise au service d'un personnage attachant quand il apprend à déchiffrer non pas les mots comme on le fait au CP mais les comportements de ceux qui l’entourent : "J’avais envie de montrer davantage l’apprentissage social que l’apprentissage intellectuel des matières. L’apprentissage du rapport à l’autre, qui se fait différemment selon les deux enfants", reconnaît la réalisatrice.

    En effet, "Abel est assez timide, il a envie de ne pas empirer les choses. Il n’arrive pas à faire face au harcèlement qu’il subit, et vit un vrai dilemme. En attendant, il laisse faire sa sœur Nora et reste en retrait. Nora qui tente de protéger son frère du harcèlement qu’il subit cherche la bonne solution, comme un adulte devrait le faire, aux côtés de son institutrice qui est la seule à se rendre compte", poursuivent les enfants.

    AlloCiné

    Trouver le bon geste, la bonne manière pour aider l’Autre... Une question en effet très compliquée, "un mécanisme complexe avec différentes couches", qui au-delà de l’apprentissage de la violence questionne aussi la transmission de la bienveillance. Bienveillance qui passera ici non par les mots mais par le corps parce qu’elle se ressent et se transmet sans se dire. Au coeur du film, se joue aussi, il est temps d'en parler, l'évolution de la relation privilégiée ou non entre un grand frère et sa petite soeur, en plein cheminement intérieur :

    "Nora est très accrochée et pense que son frère va l’aider à intégrer cette communauté. Elle va se rendre compte des difficultés que lui traverse, lui va essayer de la protéger de cela car il a honte et ne veut pas qu’elle le voit dans ces difficultés, il veut rester protecteur. A un moment, il va devenir encombrant pour elle dans sa nécessité de s'intégrer." Lorsque ses amies remettent en question le statut de son père au chômage, ou de son frère victime, se fera en effet sentir le rejet né de "la nécessité de correspondre à la masse aux dépens de sa propre identité", résume Laura Wandel.

    Pour illustrer l'évolution des sentiments qui animent les deux enfants, une véritable trouvaille scénaristique consiste à les réunir plus désunis que jamais sous l'objectif d'un photographe lors de la traditionnelle photo de classe. A ce moment-là, le sourire est figé, le conflit latent : "Nora ressent de la violence et rejette son propre rejet de la violence sur son frère qui va faire basculer son moment à lui qui est en train de se réintégrer. Il va lui même expérimenter une autre violence, sentir qu’il peut avoir un pouvoir sur l’autre et va goûter ce pouvoir-là".

    Une direction de jeunes acteurs ludique et bien pensée

    Cet exercice du pouvoir se joue notamment dans une scène très difficile où le jeune garçon exprime comme il peut sa rebellion. "Ce ne sont pas certaines scènes qui ont été difficiles à faire mais ce sont justement les émotions à jouer qui l'étaient", explique Gunter Duret, avant de détailler leur travail avec une coach dédiée, Perrine Bigot, présente lors de l'interview à leurs côtés : "un an avant de tourner, on a travaillé en activité sans avoir le script. On devait faire quelque chose de similaire à ce qu’on nous avait dit sans trop réfléchir, mais il fallait rester spontané. Pour chaque scène, on nous donnait le sujet, le déroulé sans détail et on faisait une improvisation".

    On partait d’une des scènes, on expliquait la situation de départ et on proposait de discuter sur ce qu’il pouvait se passer, ce qu’on pourrait dire et on improvisait autour de cela au niveau de leur corps et on le dessinait sur un carton qui est devenu leur scénario visuel. Au moment du tournage, on ressortait le carton 5, séquence 5 et on savait de quoi la scène était faite", détaille Laura Wandel. L'important étant de toujours garder un intérêt, un amusement et de faire naître ainsi l'émotion.

    Colères, résistances différentes, culpabilité, initiation à un monde pour lequel ils n'ont pas encore les armes : le film brasse avec beaucoup d'émotion justement et une intelligence rare la guerre qui se joue dans les yeux d'un enfant, dont le combat est important et à accompagner.

    Cette semaine, en salles, découvrez ce premier film, coup de coeur et coup de poing du Festival de Cannes, qui a fait naître un talent et surtout un regard ; un nouveau monde, celui de Laura Wandel, digne héritière de Kiarostami ou des Dardenne quand il s'agit de mettre en images avec élégance et pureté des petits morceaux d'humanité....

    Dans notre podcast cannois, on vous parlait d'Un Monde :

    N'hésitez pas à partager, noter, commenter l'émission et suivre le fil de "Spotlight" sur les plateformes de podcasts. Elle est disponible sur Deezer, Spotify, Apple Podcasts :

      FBwhatsapp facebook Tweet
      Sur le même sujet
      Commentaires
      Back to Top